À Clermont-l'Hérault, le sculpteur Paul Dardé met le souvenir à nu
Clermont-l’Hérault, là, en plein cœur de la place Jean-Jaurès, un monument aux morts fait sa propre révolution. Imaginez : pas un ange pieux ni une figure austère, mais une femme nue, la poitrine découverte, aux ailes d’un autre monde et au sourire ambigu.
Elle veille un soldat couché, un “poilu” des tranchées étendu là, le visage figé. Ce monument, signé Paul Dardé (1888-1963), sculpteur de Lodève, n’a jamais rien eu de conventionnel. Avec ses airs de muse des années 1920, l’œuvre étonne, choque, interpelle.
Ange sensuel
Paul Dardé n’était pas homme à s’enfermer dans les codes. Quand la municipalité de Clermont-l’Hérault lui confie la création de ce mémorial en 1921, elle pense avoir affaire à une commémoration sobre et solennelle. Mais Dardé voit les choses autrement : pour lui, les morts méritent plus qu’un hommage figé, ils méritent une présence vivante, presque en chair et en os. Ainsi naît l’idée de cette femme ailée, cette danseuse d’un autre genre, tout en courbes et en mystère, venue veiller le soldat d’une manière troublante, presque irrévérencieuse. Elle est là, posée sur son coude, à moitié étendue, sa chevelure encadrant un sourire ambigu.
Cette audace artistique ne tarde pas à faire parler d’elle. Car il faut comprendre qu’à l’époque, un monument aux morts est censé rassurer, glorifier, apaiser la douleur des vivants. Or, ici, Dardé ébranle toutes les certitudes : son ange, s’il en est un, est une créature sensuelle, une meneuse de revue qui pourrait tout aussi bien descendre des cabarets parisiens que des cieux. Elle est tout ce qu’un monument aux morts ne devrait pas être : envoûtante, charnelle… Pour certains, elle flirte avec l’indécence, pour d’autres, elle est une beauté insaisissable.
De la controverse à la protection
Mais cette œuvre d’art, elle a bien failli ne jamais voir le jour. Dès le départ, ce projet est un parcours du combattant : les fonds manquent, les débats font rage, Dardé en personne s’attire les foudres de certains notables. Après des années d’attente et de controverses, l’œuvre est enfin prête en 1932. Des artisans de Lodève et de Montpellier, des tailleurs de pierre et des forgerons, des entrepreneurs ont mis la main à la pâte. On lui a même forgé des grilles, pour encadrer ce qui se révèle être une provocation poétique. Coût total : 140 783 francs. Inauguration : un dimanche de juillet, sous les regards des Clermontais.
Aujourd’hui, le monument, classé au patrimoine historique depuis 2005, reste une curiosité qui n’ouvre ses portes que deux jours par an, les 11 novembre et 8 mai. Alors, quelques privilégiés s’approchent et redécouvrent cette femme ailée, figée pour l’éternité aux côtés d’un soldat qu’elle semble protéger – ou séduire.