À la Mosson, les commerçants des halles dénoncent la "mafia" des vendeurs clandestins
À Montpellier, les Halles de la Mosson vivent au rythme d’un marché clandestin qui attise colère et insécurité. Entre concurrence déloyale, affrontements violents et mobilisations des forces de l’ordre, les commerçants parlent d'une situation explosive. Reportage.
Dans les allées des halles Quatre saisons de la Mosson, tout est calme ce mercredi. À l’entrée, seuls quelques clients sont attablés dans l’unique café de l’établissement, ce qui laisse un peu de temps à Matthieu, le gérant, pour parler de l’atmosphère qui règne ici depuis plusieurs années. “Depuis deux ans environ, l’ambiance est de plus en plus électrique. Les commerçants des halles et du marché sont excédés”. La raison : plus de 70 vendeurs à la sauvette se sont installés en bordure du marché officiel et cassent les prix. “C’est une mafia, ils sont en groupe et ça génère un bordel sans nom, ajoutent le gérant et sa collègue. Ça aurait pu finir bien plus mal le jour où les jeunes ont fait une descente”.
La “descente” dont ils parlent a eu lieu le 21 décembre dernier lorsqu’un groupe d’une dizaine de personnes cagoulées et armées de haches, de mortiers et de machettes s’en est pris aux stands de ces vendeurs illégaux. De violentes altercations ont eu lieu, des tirs ont été entendus, une femme a été blessée au visage. Depuis, la police nationale a mené deux opérations pour déloger les vendeurs clandestins et des tonnes de marchandises illégales ont été saisies. “Ils n’ont pas eu d’autre choix que d’intervenir, la tension était devenue ingérable, mais ça faisait des mois qu’on interpellait les pouvoirs publics, ajoutent les commerçants. Même nous, qui avons un ticket moyen à 1,5 euro, le prix d’un café, on a vu notre chiffre d’affaires baisser. Alors imaginez ceux qui vendent des fruits et légumes !”
Un chiffre d’affaires en baisse “de 30 à 40% le samedi”
Primeurs, poissonniers, boulangers, tous les commerçants sont impactés par ce marché illégal, car “ils vendent de tout, même des poules vivantes !” Accoudé derrière son étal de boucher, un travailleur des halles discute avec un vendeur de tapis du marché officiel. Au cœur de la conversation, ces “forains” qui leur pourrissent la vie depuis des années. Tous sont d’accord pour dire que l’intervention des forces de l’ordre est la bienvenue. Mieux : ils aimeraient une présence policière tous les jours de marché. “Il nous faut une action pérenne, explique le boucher. C’est sécurisant pour tout le monde, nous et nos clients”.
Car c’est bien de sécurité qu’il s’agit désormais. Les deux hommes, qui souhaitent rester anonymes, parlent de “peur de représailles” si ces vendeurs qui “sont des gens violents et dangereux” parvenaient à les reconnaître. Et puis, bien sûr, leur sécurité financière est également menacée, eux qui ont vu leur chiffre d’affaires baisser, “de 30 à 40% le samedi”. “Nous, on paye des charges et des salaires à nos employés, ce n’est pas leur cas, ajoute un vendeur de fruits secs qui exerce aux halles depuis 20 ans. On a tout un tas de contraintes qu’ils ne respectent pas. Moi, je travaille avec des produits qu’il faut savoir conserver dans de bonnes conditions, qui ont une traçabilité. Ces vendeurs qui viennent de Nîmes et d’Espagne travaillent à la sauvette, ils baladent leur produits, ils vendent du périmé et ils cassent les prix”.
“Certains vivent dans une telle pauvreté qu’ils se fichent des règles d’hygiène non respectées“
Ces prix particulièrement attractifs leur amènent en effet des nombreux clients. “On sensibilise les gens, ajoute le vendeur de dattes, mais qu’est-ce que vous voulez faire, certains vivent dans une telle pauvreté qu’ils se fichent des règles d’hygiène non respectées, à ces prix-là, ils achètent !” Selon lui, la solution serait une intervention commune de “l’État, de la police et du Fisc. Il faut saisir le parc roulant et les mettre en prison”.
“Ça faisait plusieurs années qu’on appelait à ce que l’État intervienne, explique Sébastien Cote, adjoint au maire délégué à la tranquillité publique, et donc en charge de la police municipale. Parce que c’est l’État qui est en capacité, avec ses pouvoirs de police particuliers, de saisir des camions, de contrôler les vendeurs, de voir ceux qui sont en situation régulière ou irrégulière. Les policiers municipaux ne peuvent pas faire tout ça mais en un trimestre, ils ont tout de même mené 35 opérations sur ce marché” et à chaque fois, les vendeurs fuient et abandonnent leur marchandise, qui est saisie et donnée à des associations.
“On a mis en place une stratégie pour lutter contre ce marché sauvage“
Selon l’élu, la Ville de Montpellier travaille sur ce problème depuis longtemps, mais “effectivement, on n’arrive pas à déraciner ce marché, faute de pouvoirs de police suffisants. Ce qui s’est passé le 21 décembre, sans doute, alerté les services de la préfecture. Une réunion a été organisée le 2 janvier. Le préfet a pris le taureau par les cornes. On a mis en place une stratégie pour lutter contre ce marché sauvage. Il y aura une pression qui va être maintenue constamment et sur la longue durée”.
Pour la Ville, le coût de ce marché clandestin est “colossal. C’est un million d’euros par an : 200 000 euros d’heures supplémentaires pour les policiers municipaux et 800 000 euros de nettoyage parce qu’évidemment ce marché sauvage nous laisse le sol dans un état déplorable”.