Affaire du Mediator : le dénouement d'un procès historique
Les laboratoires Servier ont été condamnés par la justice, ce lundi 29 mars, dans l'affaire du Mediator. Le Mediator, médicament antidiabétique responsable de centaines de décès entre 1976 et 2009, a déclenché un scandale sanitaire inédit en France. Cette affaire a pris fin devant le tribunal correctionnel de Paris à la fin du mois de mars dernier.
Chronologie d’un scandale national
« Le Mediator m’a fait autant de mal physiquement que psychologiquement. J’avais plein de projets que je dois abandonner à cause de lui. J’ai un cœur malade, je vis avec, c’est terrifiant. » Cette forte déclaration de Stéphanie, victime du médicament, en dit long sur l’impact qu’a eu le médicament sur des milliers de Français. Plus de dix ans après le début de l’affaire judiciaire, les laboratoires Servier ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Paris. Le médicament français, retiré de la vente en 2009 après que le scandale a éclaté, était présenté comme un antidiabétique. En réalité, il a été constaté que la prescription avait souvent pour but d’administrer un anorexigène, un médicament « coupe-faim » permettant de perdre du poids. Or, de nombreuses études ont démontré que le médicament serait à l’origine de dysfonctionnements des valves cardiaques ainsi que d’hypertensions artérielles pulmonaires. Le géant de l’industrie pharmaceutique s’est vu reprocher le fait de ne pas avoir réagi à ces mises en garde. Aujourd’hui, on estime à 5 millions le nombre de personnes ayant consommé du Mediator, dont 1 500 à 2 100 qui auraient trouvé la mort.
Une lanceuse d’alerte
En 2007, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest et emblème de la lutte contre le Mediator, lance l’alerte sur ses dangers après avoir enquêté pendant dix longues années sur ses effets cardiaques. Elle signale un danger de valvulopathies cardiaques à l’Agence du médicament. En 2009, elle publie son livre Mediator 150 g, combien de morts ? afin d’alerter la population. Ce dernier rencontre un franc-succès.
Ouverture du procès
Une dizaine d’années après le début du scandale, le procès du Mediator s’ouvre. Nous sommes alors le lundi 23 septembre 2019. Sont poursuivis tant les cadres du laboratoire Servier que l’Agence du médicament. Les faits reprochés aux accusés sont : tromperie aggravée avec mise en danger de la santé, escroquerie, homicides et blessures involontaires et trafic d’influence.
Verdict
Le tribunal parisien a rendu son verdict : les laboratoires Servier sont reconnus coupables de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires ; ils ont cependant été relaxés pour le délit d’escroquerie. Ils devront s’acquitter de 2,7 millions d’euros d’amende. Jean-Philippe Seta, quant à lui, ancien bras droit de Jacques Servier, a été condamné à quatre ans d’emprisonnement avec sursis. Jacques Servier, fondateur du deuxième groupe français en matière de pharmaceutique, est décédé en 2014. L’Agence nationale de sécurité du médicament, accusée d’avoir tardé à suspendre la commercialisation du produit, est condamnée à 303.000 euros d’amende. Amende constituée de 225.000 euros pour homicides et blessures involontaires par négligence, ce qui est la peine maximale. On ajoute à cela des peines d’amendes contraventionnelles à hauteur de 78 000 euros. Si l’ANSM a déjà déclaré ne pas faire appel de cette décision, l’avocat du groupe pharmaceutique n’a pas totalement fermé la porte à un éventuel recours.
Des sentiments contrastés pour la partie civile
Malgré les dizaines de millions d’euros dont bénéficieront les victimes du médicament, les réactions sont mitigées. Irène Frachon, figure du combat, se sent soulagée et déclare : « Le tribunal reconnaît ce que je dis depuis quatorze ans : le Mediator était une amphétamine dangereuse, Servier le savait parfaitement et a sciemment trompé des millions de consommateurs ». Mais d’un autre côté, elle laisse apparaître une certaine déception : « Les sanctions pénales apparaissent bien faibles (…) et soulignent l’insuffisance, certainement, des dispositions du droit pénal pour punir à la hauteur de leur gravité les délits à col blanc ».
Ce sentiment est partagé par Charles Joseph-Oudin, avocat de la partie civile, qui est constituée de plus de 6.500 personnes. Le tribunal a rendu « une décision un peu en demi-teinte, notamment en ce qui concerne les montants des dommages et intérêts et des amendes à la charge des laboratoires Servier ». « Ils sont condamnés à une amende de 2,7 millions d’euros, alors qu’ils font 10 millions de chiffre d’affaires par jour ! », souligne maître Joseph-Oudin une fois la sentence prononcée. Cette critique est notamment due au fait que la peine prononcée paraît dérisoire au vu du profit réalisé par la firme durant la commercialisation de ce produit. On estime à 30 millions d’euros par an le bénéfice généré par ce seul médicament. Néanmoins, la peine prononcée est la peine maximale au regard de la loi.
Une avocate montpelliéraine à la barre
Dans le sud de la France, une partie des victimes a assisté au délibéré depuis la cour d’appel de Montpellier. Deux salles de la cour d’appel de Montpellier sont équipées pour accueillir les victimes qui viennent du Gard et de l’Hérault. Au total, près de 20 % de la partie civile est issue du Sud de la France. Parmi eux, 120 sont défendus par maître Catherine Szwarc, avocate montpelliéraine. Les victimes présentes ont pu voir et entendre le jugement en direct. Même si toutes les victimes ne seront probablement pas entrées dans la cour d’appel de Montpellier à cause des restrictions sanitaires.
Le délibéré était pourtant long, très long, puisque trois heures étaient prévues. Maître Catherine Szwarc salue ce dispositif : « Les juges sont venus jusqu’à nous, ce qui a permis aux victimes du Sud, qui n’ont pas pu jusqu’à présent participer réellement, physiquement, personnellement à cette procédure, d’être malgré tout présentes lorsque le délibéré a été annoncé. Montpellier est en pole position, c’est bien, et c’est une porte ouverte vers une justice plus proche du justiciable. » L’opération est une première pour un dossier qui était déjà hors norme. Dans cette affaire, il était question d’usure, estime maître Szwarc : « Les parties civiles ont vécu une guerre systématique, avec face à elles des moyens de procédure très forts de la part des laboratoires, une tentative de paralysie du processus judiciaire, de discrédit sur les médecins. Il a fallu dix ans pour discuter d’une tromperie ».