Agde : Nicolas Ait Benalla, lettre ouverte d’un enseignant à son ministre
Enseignant d’histoire-géographie, à Agde dans l’Hérault, Nicolas Ait Benalla s’adresse au ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Gabriel Attal, après ses annonces pour un « choc des savoirs. » Il lui propose, entre autres, un « choc des effectifs » pour que « les écoles de ce pays restent debout et remplissent un tant soit peu leurs missions. »
Monsieur le ministre,
Des années, des décennies, probablement, que l’école souffre, et s’inquiète. Des années que le niveau des élèves baisse dans les savoirs fondamentaux. Et des années que les enseignants constatent cette chute du niveau, impuissants et même, pire encore, complices forcés. À tel point que nombre d’entre eux seraient bien incapables de savoir quel fut le dernier ministre de l’Éducation nationale qu’ils ont eu envie de remercier. Certainement aucun de vos prédécesseurs de ces vingt dernières années.
Merci pour votre bon sens
Votre bon sens, notamment, quand vous annoncez que vous souhaitez désormais que ce soient les enseignants qui décident du passage, ou non, d’un enfant dans la classe supérieure. J’ai su, au moment où j’ai pris connaissance de vos décisions, qu’il y aurait immédiatement des voix qui allaient s’y opposer, au prétexte -classique- que le redoublement serait une « punition », une « stigmatisation », ou je ne sais quoi d’autre. Pourtant, la quasi-interdiction du redoublement, en vigueur maintenant depuis dix ans, a donné les résultats que l’on voit : des centaines de milliers d’enfants arrivant au collège sans maîtriser suffisamment le français et les mathématiques, matières qui conditionnent évidemment l’apprentissage de toutes les autres. Il était absurde de décréter cette quasi-interdiction. Absurde, et même coupable. Il était donc urgent de faire preuve de bon sens, et de rétablir la possibilité du redoublement : celui-ci est toujours, quoi qu’on en dise, une nouvelle chance donnée à l’élève.
La fin d’une absurdité : les « compétences » au Brevet
Votre bon sens, également, quand vous décrétez la fin d’une autre absurdité. D’une double absurdité, même. Celle liée au Brevet des collèges. Des années, là aussi, que les enseignants de collège s’échinent à expliquer que le brevet des collèges ne s’obtient plus par des notes de contrôle continu additionnées aux notes aux examens finaux, mais par des « compétences », véritable usine à gaz dénuée de toute logique, et déconnectée du niveau disciplinaire des élèves. Pour ma part, j’aurai résisté de longues années, en évitant de dire explicitement à nos élèves sur quoi ils allaient être notés au Brevet. Je suis donc ravi et, surtout, soulagé, de revenir à un système clair, logique, et compréhensible par tous. Logique également cette autre mesure que vous prenez concernant le caractère désormais obligatoire du Brevet pour accéder à la Seconde. Il semble que le bon sens n’était pas le fort de vos prédécesseurs, qui ne voyaient pas de problème dans le fait de continuer à faire avancer des élèves qui n’avaient pas le niveau. Probablement ces anciens ministres espéraient-ils, en faisant ainsi plaisir aux familles qui voyaient leurs enfants « progresser », gagner quelques précieux points de popularité ! Ce sont donc leurs mesures clientélistes, hors de tout bon sens, qui sont aujourd’hui en partie responsables de l’état déplorable de notre système scolaire. Pas en totalité, non. Mais en partie.
La nécessaire fin de l’illusion du collège dit unique
Votre bon sens, enfin, quand vous annoncez la mise en place de « groupes de niveaux » à partir de l’année prochaine dans les collèges de France. Il était grand temps, là aussi, de mettre fin au sacro-saint collège unique instauré en… 1975 ! À cette époque, l’enseignement se massifie, les enfants des baby-boomers arrivent en nombre, et l’on décrète que, pour la population française élevée au mythe de l’égalité, il faut un collège « unique ». Au passage, relevons quand même que, si en effet tous les élèves de France suivent les mêmes matières depuis 1977, on a aussi vu apparaître (et disparaître) pléthore de dispositifs pour s’adapter dans les faits à l’hétérogénéité des élèves (« aide et soutien », SES, Segpa, prépa-pro, pour les plus récents). Notons également la dimension très politique et totalement idéologique de la notion de collège unique. Au nom de quoi tous les enfants devraient-ils impérativement suivre la même formation de 11 à 14 ans dans nos collèges ? Au nom d’une égalité des aptitudes ? Au nom d’une égalité des ambitions ? Ni l’une ni l’autre n’existent, évidemment. Vouloir donner une formation généraliste et une culture commune à l’ensemble des collégiens de France était sans doute une belle idée, qui présentait aussi l’avantage de flatter un progressisme de gauche en vigueur à l’époque, et des politiques convaincus que l’élévation du niveau scolaire protègerait du chômage de masse. Quarante ans après, il n’est donc pas saugrenu de revenir sur des politiques qui ont (peut-être) convenu à une époque, mais ne sont plus adaptées à la nôtre. Contentons-nous donc d’abord de l’essentiel, de l’indispensable : s’assurer que nos enfants de 6 à 11 ans apprennent tous réellement à lire, écrire, compter. Puis, par la suite, adaptons leurs apprentissages à leurs capacités, à leurs ambitions, et à leurs appétences. Comme vous semblez vouloir le faire.
80% au bac …Et après ?*
En vous attaquant ici, monsieur le ministre, au Collège unique -sans trop le dire cependant et sans le faire non plus vraiment disparaître, soyons clairs -, vous écornez aussi au passage un autre mythe, une autre lubie, pourrait-on dire, qui date elle aussi de cette époque de la massification scolaire, celle des « 80% de jeunes au niveau du baccalauréat » voulue en 1985 par M. Chevènement. Or, nous sommes même allés largement au-delà, puisque 90% des jeunes décrochent aujourd’hui leur baccalauréat. Mais pour quel résultat ? Nous vous avons entendu dire, à peine votre présentation terminée, que vous aviez parfaitement conscience du fait que vos mesures entraîneraient probablement une baisse du taux de diplômés dans les années à venir, qu’il s’agisse du Bac ou du Brevet. Combien de vos prédécesseurs auraient aussitôt renoncé à présenter leur copie si leurs conseillers leur avaient clairement dit que cela allait entraîner une baisse de la réussite aux examens ! Votre ambition annoncée est de revaloriser les diplômes, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Nous n’attendions rien de vous
À la vérité, monsieur le ministre, nous n’attendions rien de vous. Nous n’attendions rien de vous ni en tant que parents, ni surtout en tant qu’enseignants. Tout simplement parce que nous avons tant été floués, ignorés, ou méprisés, que ne n’avions, objectivement, pour beaucoup d’entre nous, plus aucun espoir qu’advienne un jour un responsable de l’Éducation nationale qui soit réellement …responsable. Tout simplement aussi parce que nous n’attendions plus d’un ministre, de quelque couleur politique qu’il fût, qu’il agisse au nom de l’intérêt général.
Certes, les chantiers devant vous sont encore nombreux. Tout est encore à faire concernant les salaires des enseignants français et les effectifs d’élèves par classes, les plus élevés d’Europe. Tout est à revoir concernant la désastreuse politique d’inclusion, ou la tolérance coupable de l’absentéisme des élèves. Mais, après ces mesures salutaires et inespérées que vous venez de prendre, nous serions presque en droit d’espérer que vous continuerez d’agir au nom de l’intérêt général, comme vous semblez là vouloir le faire. Presque, dis-je. Car, aussi bienvenues que soient vos décisions de cette semaine, vous n’avez posé que la première pierre d’un chantier colossal. Il serait donc bien dommage de vous arrêter en si bon chemin. Le bon sens ponctuel, c’est bien. Le bon sens durable, c’est encore mieux.
En attendant, nombre d’enseignants retiendront avec malice que, en dépit de la logique, le ministre de l’Éducation de la Ve République qui aura fait le plus preuve de bon sens fut, au moins le temps d’une annonce, le plus jeune.
Le chantier agathois
Nous n’attendions rien de vous au niveau national. Mais, au niveau local, nous attendons tout de vos services ; la première demande de classement en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP) des écoles de la ville d’Agde remonte à … 20 ans. Inlassablement, enseignants et parents crient leur besoin spécifique, qui passe par la lutte efficace contre l’absentéisme scolaire, la réduction drastique des effectifs par classes, et la stabilisation des équipes. En moyenne, dans l’ensemble de l’Union Européenne, on compte 21 élèves par classe. En France, 26. Au collège René Cassin d’Agde, 27,5 à la rentrée 2023. Que dictent le bon sens et la logique, face à de telles données ? Rien ? Votre « choc des savoirs » doit aussi inévitablement passer, d’abord, par un « choc des effectifs ». Du moins si vous souhaitez que les écoles de ce pays restent debout et remplissent un tant soit peu leurs missions. Les enseignants et parents agathois attendent de vos services qu’ils fassent donc enfin preuve du même bon sens que vous.
Nicolas Ait Benalla,
Enseignant d’histoire-géographie, Agde (Hérault)
* 80% au bac …Et après ? D’après le titre de l’ouvrage du sociologue Stéphane BEAUD, 80% au bac…et après, La Découverte, 2003.
Le message de cet enseignant est sympathique à l égard du ministre mais combien réaliste sur le doute à ce qu il soit effectif
Car pour cela il conviendrait de revoir sérieusement à la hausse le budget de éducation.. qui une fois encore aura baissé à la dernière orientation budgétaire de 3.5 milliards si je ne m abuse
Entièrement d’accord.
Je suis fière de mon professeur d’histoire géographie
Tout à fait d’accord avec ce professeur.
D’ailleurs le niveau des élèves a baissé, on ne se demande pas pourquoi… Le programme au CP n’est pas dans une chronologie logique. Ils enseignent d’abord l’enregistrement visuelle des mots, des sons, des …. Etc…. et au milieu de l’année ils passent à l’alphabet🤔🤔
Pas étonnant ….