Art : en cas de dégradations, les collectivités doivent procéder à la restauration de sculptures contemporaines
En ne procédant pas à la restauration d’une oeuvre sculpturale à la suite du vol d’une partie de la sculpture et de sa détérioration, une commune, qui en avait la garde, a participé à l’atteinte au droit moral de l’auteur sur son œuvre et lui doit réparation.
Faits et procédure
Une œuvre sculpturale intitulée T.O.L.É.R.A.N.C.E, constituée de 9 sculptures en bronze patiné représentant les lettres du mot « tolérance » avait été remise le 21 mars 2007 à une commune et implantée sur son territoire. Une convention avait été conclue entre la commune et l’artiste Guy Ferrer, définissant les droits et les obligations des parties sur cette œuvre. Cette convention confiait notamment à la commune l’entretien et la restauration de l’œuvre. Elle stipulait également des clauses réservant la propriété intellectuelle de l’auteur.
Des dégradations sur les lettres « T », « R », « A » et « C » et même le vol de trois lettres « É », « N » et « E » avaient eu lieu en mars et avril 2016.
Faisant valoir que, malgré ses demandes réitérées, la commune n’avait pris aucune mesure concrète permettant de restaurer l’œuvre, Guy Ferrer l’avait fait assigner, notamment, en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à son droit moral. Le TGI ayant condamné la commune à lui verser à ce titre la somme de 5 000 euros, l’artiste avait interjeté appel, réclamant l’augmentation des dommages et intérêts ainsi alloués à hauteur de 300 000 euros.
Décision
En premier lieu, la cour retient que c’est à juste titre que l’artiste Guy Ferrer, à qui il appartient de caractériser son œuvre, la décrit et l’appréhende comme une œuvre unique constituée de 9 sculptures/lettres. C’est ainsi également que l’œuvre est décrite dans la convention en date du 14 mai 2007 liant les parties. La cour constate au demeurant que l’œuvre tire sa signification par la juxtaposition des 9 lettres composant le mot « tolérance ». Ainsi, la commune ne peut être suivie lorsqu’elle prétend que le vol de 3 lettres ne constituerait pas une atteinte au droit moral de l’auteur. La dégradation des 4 lettres constitue également une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et dès lors au droit moral de l’auteur.
Ensuite, bien que la commune ne soit l’auteur ni des vols de 3 lettres, ni de la dégradation des 4 autres, la sculpture était sous sa garde et sa responsabilité. De plus, elle était tenue contractuellement à la restauration de l’œuvre «dans les délais les plus brefs possibles en cas de dégradation». Or, la restauration de l’œuvre ne peut s’entendre que comme sa restauration dans l’intégralité de ses lettres formant le mot « tolérance ». Ainsi, en laissant visible l’œuvre dégradée sans y apporter de restauration, elle a participé à l’atteinte du droit moral de l’auteur sur son œuvre et doit réparation à son auteur.
Enfin, pour la cour, le préjudice né de l’atteinte au droit moral doit s’évaluer au regard de la présentation au public de l’œuvre dégradée et amputée de 3 des lettres la composant, perdant de ce fait tout sens et toute signification intellectuelle et artistique. Elle confirme dès lors le jugement qui a condamné la commune au paiement d’une somme de 5 000 euros en réparation de cette atteinte.
NB : une sculpture Tolérance de Guy Ferrer est également installée aux abords du Parc Charpak, avenue Raymond-Dugrand, derrière le miroir d’eau, à Montpellier. Ce n’est pas celle qui est en cause dans cette affaire.
Réf. : CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 12 février 2021, n° 19/17832.