« Au théâtre, le silence est une véritable arme au service de la parole » confie l’humoriste et comédien Marc Fraize
Marc Fraize, figure singulière de l’humour français, s’est imposé par son art du silence et son goût pour l’absurde. Il présentera son spectacle "Madame Fraize" à l’occasion de la Saint-Valentin, le vendredi 14 février à La Cigalière, à Sérignan.
Révélé au public dans l’émission On n’demande qu’à en rire, ainsi qu’au cinéma, il a récemment été vu à l’écran dans Astérix et Obélix : L’empire du milieu de Guillaume Canet, dans Daaaaaalí ! de Quentin Dupieux, et plus récemment dans Les barbares de Julie Delpy. Au théâtre, il a su marquer les esprits avec son personnage de M. Fraize. Introverti et maladroit il avait alors séduit le public et revient aujourd’hui sur scène avec un nouveau personnage, tout aussi attachant : Madame Fraize. Avec une robe verte, une perruque rousse et une personnalité lumineuse, Madame Fraize parle d’amour, de relations de couple et du temps qui passe, tout en restant fidèle à son univers farfelu.
« Quand je parle de mes personnages, je réalise que j’ai toujours le même enthousiasme. C’est une immense joie de pouvoir rassembler des gens et de créer des émotions. Même après 25 ans, je n’en reviens toujours pas d’exercer ce métier. Je suis profondément heureux. »
Comment est née l’idée de transformer Monsieur Fraize en Madame Fraize ? Était-ce une évolution naturelle pour vous ?
Marc Fraize : C’est vrai que le personnage de Monsieur Fraize, cela faisait près de 20 ans qu’il arpentait les scènes. Je le connaissais presque trop bien, et le risque était de m’enfermer dans ce rôle. Il avait connu un joli succès, il était suivi, demandé, et j’aurais pu facilement écrire une suite ou continuer à le faire vivre. Mais, pour moi, cela aurait été un peu trop confortable.
Ce que j’adore dans ce métier, c’est justement de prendre des risques, de me lancer sur des terrains inconnus. L’idée de jouer une femme est alors apparue comme une évidence. Au départ, j’ai simplement eu cette intuition : passer de Monsieur Fraize à Madame Fraize. Je ne savais pas encore ce que j’allais faire d’elle. Puis, j’ai décidé de porter des talons… pas trop hauts, sinon cela vire au clown de cirque et perd en élégance !
La création de Madame Fraize a été relativement simple, car j’ai complètement inversé le personnage précédent. Monsieur Fraize était timide, victimaire, un vrai anti-héros. Madame Fraize, elle, est bien dans ses chaussures salomées, elle choisit de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Elle a bien sûr ses failles, mais elle est visiblement heureuse et épanouie.
C’était un nouveau terrain de jeu pour moi, et depuis quelques années maintenant, je prends un plaisir immense à la jouer. Madame Fraize surprend le public, tout comme Monsieur Fraize le faisait. Mes personnages ont toujours une écriture qui cherche à dérouter, à aller là où on ne les attend pas. C’est ce que j’aime en tant que spectateur : rire, bien sûr, mais surtout être surpris.
Votre humour repose beaucoup sur les silences et les malaises. Comment cette approche a-t-elle évolué avec le personnage de Madame Fraize, qui semble plus enjouée et plus bavarde ?
Elle est effectivement plus bavarde, mais, comme son homonyme Monsieur Fraize, les silences ne lui font absolument pas peur. Au théâtre, le silence est une véritable arme au service de la parole. Madame Fraize les utilise différemment : ils ne créent pas de malaise, mais reflètent plutôt son bien-être.
Elle est tellement heureuse d’être avec le public qu’elle choisit de prendre son temps. Si une pensée lui vient et qu’un silence s’installe, ce n’est pas un moment de gêne, mais un moment de plénitude. C’est là toute la différence : chez elle, le silence n’est pas pesant, il est apaisant.
Vous troquez un célèbre polo rouge et un pantalon trop court contre une robe verte et une perruque rousse. Que représente ce changement de costume pour vous ?
C’est tout. Dans un personnage, le costume fait absolument tout. Chacun construit son spectacle à sa manière, mais pour moi, le costume est la première étape : c’est dès qu’on met les pieds sur scène qu’il prend tout son sens. Enfiler un costume, c’est comme mettre ses chaussures le matin pour partir au travail : ça nous ancre dans le rôle. Ensuite, il y a le choix des matières, de la coupe de cheveux, du maquillage… Tout ça est essentiel quand on construit un personnage au théâtre.
Pour Madame Fraize, la robe verte est un élément clé. D’ailleurs, c’est un choix un peu audacieux, car, traditionnellement, on dit qu’il est interdit de porter du vert sur scène. C’était donc un petit pied de nez. La robe fendue, quant à elle, reflète son élégance, mais aussi sa liberté. Dans cette tenue, je peux me permettre de monter la jambe bien haut ou de faire voler le tissu, ce qui ajoute une touche spectaculaire au personnage.
L’amour, le couple, le temps qu’ils passent ensemble sont au cœur du spectacle. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour aborder ces thèmes ? Des expériences personnelles ?
Oui, tout à fait. Monsieur Fraize évoquait davantage mon adolescence et ma vie de jeune adulte. À l’époque, bien que j’aie rencontré ma femme très tôt, je ne me sentais pas encore prêt à parler véritablement de la vie de couple. Aujourd’hui, après 32 ans de vie commune, je me sens un peu plus légitime pour aborder ce sujet. Vivre 32 ans ensemble, ce n’est pas que du bonheur, il y a des pièges, des défis, mais c’est avant tout une belle aventure. Ce spectacle est un témoignage de cette aventure-là. C’est aussi un petit hommage à ma mère, cette femme qui a partagé ma vie si longtemps, et plus largement à la gent féminine. Sans être un militant de la cause #MeToo, il n’y a aucune revendication dans mon propos. J’avais donné beaucoup de place à un monsieur avec Monsieur Fraize, je trouvais naturel, aujourd’hui, de mettre en lumière la féminité.
Et puis, je dois vous faire un aveu : les femmes m’ont toujours fasciné plus que les hommes. Ce n’est pas sexiste du tout, c’est simplement un constat. Que ce soit dans mes amitiés ou dans la vie en général, les femmes m’impressionnent davantage. Alors, il fallait bien que je témoigne de tout ça, toujours de manière joyeuse et légère, bien sûr.
Ce qui me tient aussi à cœur, c’est de proposer quelque chose d’universel, accessible à tous les âges. Peut-être pas aux petits enfants, ce n’est pas un spectacle de clowns ! mais suffisamment élégant et poétique pour toucher un large public. J’avais envie de m’éloigner des sujets d’actualité souvent abordés par les humoristes, et de faire un petit pied de nez au cynisme ambiant.
Le spectacle est décrit comme une leçon de vivre ensemble. Qu’espérez-vous que le public retienne de cette expérience ?
En tant que comédien, on a toujours cette envie que le public se souvienne de nous. Inconsciemment, on fait ce métier pour être vu et laisser une trace. Je crois qu’une phrase de Prévert a été le déclencheur de l’écriture de ce spectacle. Une phrase que ma mère m’a souvent répétée et qui m’a profondément marqué : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour montrer l’exemple. » Là où nous en sommes aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, mais il y en a aussi qui vont bien. Il est essentiel de s’y accrocher, de se rappeler que, malgré tout, nous avons peut-être beaucoup de chance par rapport à d’autres.
C’est un peu le message subliminal que j’essaie de transmettre dans ce spectacle. On se plaint beaucoup, on a peur, on est envahi par l’angoisse face à ce qui se passe dans le monde et par notre manque de confiance en l’avenir. Mais il y a encore des choses belles et positives, et il ne faut pas oublier de les regarder, de les apprécier pleinement.
Après une vingtaine d’années avec Monsieur Fraize, est-ce que c’est plus facile d’être une femme ?
Forcément, c’est plus facile. Monsieur Fraize me faisait beaucoup transpirer, car c’était un personnage très mal dans sa peau, toujours en tension. À l’inverse, Madame Fraize est légère, aérienne, presque de la mousseline. C’est plus simple à jouer, mais il faut tout de même rester vigilant. Le danger, c’est de tomber dans le confort. Sur scène, il faut toujours être alerte, pleinement présent, et éviter de se laisser trop porter par cette légèreté.
Monsieur Fraize, lui, était épuisant à incarner : il ne savait pas ce qu’il faisait sur scène, il était malheureux, engoncé, étriqué. Physiquement, c’était une vraie épreuve, pour les muscles comme pour le corps. Jouer une femme, c’est plus simple, notamment grâce à une question de posture. Les femmes, en général, se tiennent mieux que les hommes. Et avec Madame Fraize, je suis suffisamment gainé pour me tenir droit pendant 1h20.
Madame Fraize est solaire, tournée vers le positif. Dans une époque parfois pessimiste, comme vous l’avez dit, ce choix de célébrer la joie et la légèreté s’est-il imposé comme une évidence pour vous ?
Ce spectacle, je l’ai commencé en mars 2020, au moment où nous avons été confinés. Très vite, au bout de deux mois à remplir des attestations pour avoir le droit de sortir, je me suis rendu compte que ce qui allait le plus nous manquer, ce ne serait ni la moutarde ni le papier toilette, mais bien la liberté. La liberté d’aller à la rencontre des autres, de vivre ensemble. C’est quelque chose de profondément ancré dans notre culture, notamment en France.
Même avec Netflix et nos écrans pour nous distraire, la vie devient vite triste quand on n’est plus ensemble. Et de toute façon, c’est ensemble qu’on est plus fort. Cette prise de conscience m’a marqué, et j’ai eu envie de rappeler que, souvent, ce sont les autres qui enrichissent nos vies, qui nous permettent de partager des moments précieux.
Madame Fraize incarne un peu tout cela. Elle porte en elle cette joie de vivre et ce besoin de lien, cette idée que, même dans une époque morose, on peut célébrer la légèreté et les plaisirs simples d’être ensemble.
Un message pour le public qui viendra vous voir, le 14 février à Sérignan ? Est-ce que c’est un peu comme une thérapie conjugale pour la fête des amoureux, au final ?
Non, non, pas du tout. Déjà, le simple fait de sortir et d’aller voir un spectacle, c’est une chance qu’on a dans notre pays. On sort beaucoup, parfois même trop à Paris et peut-être pas assez dans le reste de la France. Mais on a cette belle opportunité d’aller au théâtre, dans des centres culturels, de couper avec nos portables pendant une heure et demie, de rencontrer des gens, d’échanger un peu avant ou après le spectacle. Et ça, ce n’est pas quelque chose qu’il faut attendre le 14 février pour célébrer.
Alors oui, ce clin d’œil au 14 février tombe bien et tant mieux. Je pense que beaucoup d’amoureux se réjouiront d’entendre parler de la vie de couple. Mais pour leur propre vie de couple, là, j’ai envie de dire qu’ils se débrouillent, parce que moi, je n’ai pas les clés ! Chaque couple est unique : on a tous nos histoires, nos blocages, nos particularités.
Ce qui est certain, c’est que pour être bien ensemble, il ne faut pas oublier de faire des choses ensemble. Aller au spectacle, c’est aussi ça : se laisser cueillir, se laisser surprendre. Après, c’est vrai qu’on peut parfois aller voir quelque chose qu’on adore et être déçu parce que ce n’était pas le bon soir. Mais c’est l’esprit de curiosité qui compte, cette ouverture.
Mon spectacle, lui, est heureux, léger et drôle, donc je pense qu’il n’y a pas trop de risques à le choisir pour la Saint-Valentin ! Et en plus, je garde un très bon souvenir du public de Béziers, donc je ne suis pas inquiet.
Après Monsieur Fraize et Madame Fraize, y a-t-il d’autres projets, d’autres choses en perspective ?
Honnêtement, je ne sais pas. Cela fait maintenant 25 ans que je suis seul en scène, et je dois dire que je maîtrise bien cet exercice, qui devient de moins en moins périlleux avec le temps. Depuis 2015, le cinéma m’a ouvert de nombreuses portes, et il me donne l’occasion de jouer avec d’autres comédiens, de donner la réplique, ce qui est un plaisir différent.
Peut-être que le prochain « Fraize » se retrouvera derrière une caméra ou au fond d’une salle, parce qu’il aura découvert une pépite et qu’il se dira : « Tiens, cette personne, je pourrais peut-être l’aider, lui apporter quelque chose, la booster. » Un peu comme mon propre metteur en scène l’a fait pour moi à une époque. Peut-être que le futur, ce sera Marc Fraize en tant que metteur en scène. Mais, pour être franc, je ne fais pas de plans sur la comète pour l’instant. On verra où la vie me mène.
Marc Fraize présentera son spectacle Madame Fraize à l’occasion de la Saint-Valentin. Rendez-vous le vendredi 14 février à 20h30 à la salle La Cigalière de Sérignan.