Avène, sécheresse : "Je ne sais pas ce qu'il va advenir, mais je m'attends au pire"
Dans les collines du Haut-Languedoc, les éleveurs de brebis Basile et Emilie Dequiedt parviennent à s'adapter tant bien que mal au changement climatique en modifiant leur manière de travailler dans leur bergerie La Part du Loup. Mais pour combien de temps encore ?
“Je ne sais pas ce qui va advenir mais je me prépare au pire.” Lucide, Basile Dequiedt ne se perd dans d’hasardeuses suppositions ni de vains espoirs. “Parce que nous, on les lit les rapports du Giec, poursuit l’éleveur de brebis à la tête d’un cheptel de 200 bêtes avec sa compagne Emilie. On a une carte de l’Hérault où l’on voit les zones où ça va être compliqué. On savait qu’ici, le régime des pluies allait être modifié et que donc nos rendements allaient baisser. Et que, fatalement, il faut s’adapter.”
Les deux éleveurs, installés à Avène depuis 2012, anticipent le changement climatique depuis plusieurs années. Dans un premier temps prestataires pour une grande marque de produits laitiers, ils ont décidé de se réapproprier leur production en 2018 en optant pour la vente directe avec une GAEC au nom évocateur : La Part du Loup. D’une part pour bénéficier d’un meilleur prix au litre du lait – “mais je ne vends pas mon fromage plus cher pour autant”, précise Basile – et d’autre part pour se détacher d’un cahier des charges trop rigide pour s’adapter rapidement au changement. “Nous avons ainsi pu réduire notre troupeau de moitié, on est passé de 400 à 200 brebis”, indique l’éleveur.
“Tout le rendement baisse”
En effet, l’accumulation des sécheresses depuis 2017 – “le premier coup de semonce” – affaiblit considérablement leur système fourragé basé sur une alternance saisonnière. Les éleveurs font paître leurs bêtes sur environ “150 hectares physiques disponibles, dont 90 hectares d’herbe comprenant 45 hectares en champ et près “travaillables” avec le tracteur, les meilleures surfaces”, indique le berger. “Quand les parties cultivées qui permettent de donner du stock en sec, essentiellement de la luzerne, ne donnent plus, on a des près pour les pâturages qui tiennent à peu près jusqu’à mi-juin. Ensuite, en période estivale, on passe sur ce qu’on appelle les bois et les parcours. On fait pâturer de la feuille d’arbre, des ronces et de la prairie naturelle“, détaille-t-il
Sauf que “si on commence déjà à avoir du sec au printemps, tout le rendement baisse et, en plus, on a des fortes chaleurs. Les plantes on du mal à s’adapter, cela modifie l’équilibre qualitatif des près et des parcours, et nous aussi, dans les parties cultivées, on a du mal à s’adapter. C’est un ensemble de facteurs”, se désole le berger au milieu de son troupeau, paissant dans un près encore verdoyant en cette fin d’avril.
“On arrive à une limite”
“On est tout le temps sur du chaud et du sec. On voit que le biotope est en train de changer. Dans les bois, on voit que châtaigniers commencent à disparaitre, les chênes pubescents et sessiles régressent au profit des chênes verts, et sous les chênes verts, il n’y a pas d’herbe qui pousse”, observe-t-il.
S’adapter. Plus une option, une nécessité donc. “On a tendance à réduire nos troupeaux, mais on arrive à une limite, économiquement parlant. Avec la vente directe, on s’est un peu mis à l’abri de tout ça parce qu’on peut se permettre d’acheter pour produire, on gagnera un peu moins mais on ne sera pas fragilisé, ça ne va pas remettre en cause équilibre financier de la ferme”, confie Basile Dequiedt.
Les éleveurs sont toutefois obligés de réduire les coûts, partout où ils le peuvent : “On supprime, par exemple, tous les temps de tracteurs qui ne sont pas indispensables, je me limite à la fauche et au travail du sol. Après, malheureusement, cela touche les salariés, les associés, etc. On avait deux salariés, entre l’inflation et la sécheresse, on a pas pu les garder”, regrette l’éleveur.
Des ajustements nécessaires mais limités
Cette année, ils n’avaient plus de stock de fourrage au moment de sevrer les agneaux, ils ont donc fait le choix de modifier leurs ventes. “On les élève un peu plus gros en les laissant sous la mère, donc on fait un peu moins de lait, et on en a vendu à la boucherie sans les avoir engraisser, mi-lourd, ce que l’on ne faisait pas avant.” Ils essayent également de diversifier les races de brebis – uniquement des lacaunes lorsqu’ils étaient astreints au cahier des charges de leur ancienne filière industrielle – comme la basco-béarnaise, présentant un rendement plus intéressant. “Nous sommes aussi passé à une seule traite par jour quand nous étions obligés d’en faire deux avant, poursuit Basile. Comme on est pas très haut en lait, on peut se le permettre. Du coup, c’est une heure de machine et une demi-heure de lavage en moins, et une économie de plus.”
Des ajustements nécessaires mais cependant limités pour assurer indéfiniment l’équilibre de leur ferme. “Nous devons garder le troupeau nécessaire pour produire le lait dont on a besoin mais il y a des critères pour obtenir les primes de la PAC. Si on descend en dessous d’un certain chargement [ratio du nombre de brebis par hectare] les primes disparaissent”, s’inquiète Basile Dequiedt. Surtout que ce seuil était “relativement bas jusqu’à maintenant” mais qu’il vient tout juste d’être rehaussé par la nouvelle PAC. “On arrive en limite, ce qui veut dire que l’on risque de perdre sur la vente directe et sur les primes. Et là…”, termine l’éleveur, laissant en suspension une conclusion aujourd’hui plus qu’incertaine.
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