Baillargues : d’éleveur de chèvres à distillateur, l’étonnante reconversion de ce couple dans le rhum artisanal
Nathalie et Cédric Carpentier sont d'anciens éleveurs de chèvres reconvertis en distillateurs de rhum artisanal. Ils produisent depuis trois ans, à Baillargues, dissimulés dans leur ancienne chèvrerie, leurs alcools. Reportage.
La liqueur de lait de chèvre, c’est le genre d’idée qu’on a en toute fin de soirée avec des amis. Un soir, il y a un éleveur qui est venu avec du lait de la traite du jour. Et on s’est dit, pourquoi pas mélanger les deux ? Et puis bizarrement, ça a matché du premier coup !”, explique Cédric Carpentier au côté de son épouse, Nathalie, devant leur distillateur, en plein fonctionnement à Baillargues dans l’Hérault, non loin de Montpellier. C’est la Hidden Distillery. Ce couple a décidé de miser sur la confection artisanale et locale de rhum tout en gardant leur identité d’origine, à travers certains de leurs produits, comme le “Goat save the King”, au lait de chèvre. Car ces distillateurs travaillent à l’insu de tous, cachés dans ce qui était une ancienne chèvrerie. Et pas n’importe laquelle puisqu’elle leur appartenait.
Une reconversion en distillateurs
D’éleveurs de chèvres, ces derniers se sont reconvertis. Ces anciens éleveurs d’ovins ont tout arrêté, presque du jour au lendemain, pour confectionner des alcools, et plus particulièrement du rhum. Mais pourquoi ? Cédric Carpentier explique : “On a monté cet élevage en 2017 avec une centaine de chèvres productrices de lait. On faisait jusqu’à 180 000 fromages pélardons à deux avec Nathalie, par an. On réalisait un chiffre d’affaires aux alentours de 200 000 euros sur la dernière année. Ce qui, pour un couple d’éleveurs comme nous, permettait de sortir à peu près un SMIC”, raconte le producteur.
Il poursuit : “C’était une production gigantesque. Et puis on a passé une mauvaise période avec le Covid. Nos principaux clients, les cantines et les restaurants, ont fermé. Mais on a su rebondir : on s’est retrouvé à écouler nos fromages à travers la grande distribution. On a été un petit peu victime de notre succès, car on travaillait quasiment 14-15 heures par jour, 7 jours sur 7. Et puis, il y a un matin où on n’a pas trouvé la force de se lever. On a fait un burn-out”, conclut Cédric.
À partir de là, le couple dépoussière de vieux rêves : “Mon premier métier, quand j’ai commencé à travailler, c’était de vendre des produits d’hygiène et de désinfection pour les brasseries et distilleries. Tous ces artisans qui fabriquaient de l’alcool m’avaient toujours fasciné. Et je me suis dit : “Et pourquoi pas ?” On a les locaux, on n’est pas très loin du savoir-faire fromager, en tout cas sur un certain nombre d’étapes, et on reste dans l’agroalimentaire”, argumente Cédric pour qui, le travail en duo avec sa compagne sur ce projet est capital.
“Je ne saurais pas travailler avec quelqu’un d’autre que ma femme parce qu’on fait cela depuis toujours et que du coup, on n’a même pas besoin de se parler pour se comprendre. Mais en plus de cela, on est complémentaire sur tout un tas de points, c’est-à-dire qu’il y a certainement beaucoup d’inventivité et d’impulsivité de ma part et beaucoup de rigueur et de suivi de la part de Nathalie qui nous permet là aussi de prendre les bonnes décisions au bon moment”, explique-t-il, en ajoutant : “Elle a un palais hors du commun, elle a fait les championnats du monde d’analyse sensorielle dans les années 90 à Minneapolis, aux Etats-Unis. Elle a des papilles affinées !”, dévoile-t-il.
Une culture de canne à sucre expérimentale à Baillargues
Alors, les anciens éleveurs de Baillargues troquent finalement les machines à traire et les tracteurs pour un alambic, “au prix d’un joli 4×4”, soit 50 000 euros, d’après Cédric. Malgré une somme conséquente, cela reste un alambic de taille réduite, puisqu’il peut sortir environ 22 litres par jour, contre 90 000 litres pour une usine. Quand ils y pensent, le couple ne regrette pas la transition : “On aurait péri financièrement parlant”, explique Cédric.
Un produit de Baillargues qui est confectionné localement et en circuit-court : le couple travaille avec un tonnelier du Gard pour leurs fûts et un verrier français. Pour renforcer cet aspect, les distillateurs ont pris une décision étonnante : produire dans l’Hérault, sur leur terrain dans la commune de Baillargues, leur propre culture de canne à sucre qui servira à la confection du rhum.
“C’est encore très fragile. C’est une expérimentation qui va durer neuf ans avec le CIRAD et différents organismes, pour voir l’adaptation des cannes à sucre dans notre région, les rendements que ça va générer et ainsi de suite. On n’a pas de visibilité là-dessus pour l’instant. Ce sont des interrogations de tous les jours, parce qu’on avance à tâtons. Ce n’est pas fait et ça n’a jamais été fait”, indique Cédric.
Et surtout un produit artisanal, un point positif face à la concurrence des grandes industries, selon ces producteurs : ”Le temps qu’il fait dehors, la quantité, la main du distillateur sur la quantité de produits au moment des assemblages, fait qu’on n’aura pas une bouteille identique”, explique le couple. “Et on joue la carte de la transparence. Nous dans notre rhum, il y a du rhum et c’est tout. S’ils sont colorés, c’est à cause du bois. S’ils sont gras et sucrés, c’est parce qu’ils ont passé du temps en fût de chêne”, ajoute-t-il.
100 000 euros de chiffre d’affaires
“Au terme des trois ans depuis le démarrage de notre activité, on va franchir la barre des 100 000 euros”, se réjouissent les anciens éleveurs. Un chiffre d’affaires qui est en augmentation de 50% chaque année selon eux, mais qui ne permet toujours pas au couple de sortir un revenu. Toutefois, ils sont optimistes pour la suite, car chaque année, ils mettent en vieillissement, en fût de chêne, la moitié de leur production. Et c’est justement à partir de 2025 que les distillateurs pourront mettre en vente un nouveau produit. “On va pouvoir arrêter de marcher sur une jambe, comme on le fait depuis trois ans, s’exclame Cédric. Ça devrait représenter 4 500 à 5 000 bouteilles, soit un tiers de nos ventes”, conclut le distillateur.