Bassin de Thau : les forces de l’ordre, primo-intervenants en cas de violences conjugales
Le 25 novembre, c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Un grand nombre d’événements, de conférences, de focus ont lieu à cette occasion. Hérault Tribune a choisi de mettre l’accent sur l’accompagnement de ces victimes, de rendre compte de leur parcours. Il existe sur le territoire plus d’une dizaine d’acteurs, associatifs, judiciaires, publics, sociaux qui travaillent en réseau, réseau en construction incessante depuis plus de 10 ans. Ce travail interdisciplinaire, en confiance, porte ses fruits et permet aux victimes de disposer de plusieurs ‘points d’entrée’ pour demander de l’aide. Ce reportage sera publié en plusieurs épisodes tout au long de la semaine. Rencontres.
C’est l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui instaure cette journée en 1999. La date du 25 novembre a été choisie en mémoire des trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines brutalement assassinées sur les ordres du chef d’État. La violence contre les femmes résulte d’une discrimination à l’égard des femmes, tant dans le droit que dans les faits, ainsi que de la persistance d’inégalités entre hommes et femmes. La violence contre les femmes est un problème mondial : jusqu’à 70% des femmes sont victimes de la violence au cours de leur vie. Une femme victime qui souhaite demander de l’aide se retrouve avec plusieurs acteurs qui peuvent la secourir, sans forcément savoir vers qui se tourner en premier : les avocats, le juge aux affaires familiales, la police municipale, police nationale, gendarmerie, le procureur, le Samu, les pompiers, les services sociaux, les professionnels de santé, les associations ou encore le 3919.
Sur le Bassin de Thau, nous avons pu échanger avec une de ces victimes, que nous appellerons Edith. Edith a réussi à passer le pas et s’est rendue au commissariat de Sète pour déposer plainte : « c’est très perturbant de parler à un interphone, que tout le monde entende. À l’accueil, on n’a pas d’intimité. Ensuite, on m’a conduit dans un bureau au calme, avec deux personnes. » Edith a été accompagnée par une association, Via Voltaire : « ils m’ont beaucoup aidée. L’intervenante sociale du commissariat également. Heureusement qu’ils sont là ». Car une fois le cap du dépôt de plainte passé, il y en a des questions qui se posent sur l’hébergement, les suites de la plainte, les procédures à suivre, les aspects logistiques et financiers, tout cela dans un état de peur, de culpabilité, de traumatisme : douleurs physiques et/ou psychologiques. Mais Edith est allée au bout. L’auteur de ce qu’elle a subi a été condamné et incarcéré : « quand j’ai été convoquée par le tribunal et que mon agresseur était là, à deux pas de moi, j’étais terrorisée. Cette confrontation est insoutenable, même si je comprends qu’elle est nécessaire. » Edith a ensuite pu s’appuyer sur l’accompagnement de Via Voltaire pour commencer à se reconstruire, à guérir. Mais, son histoire n’était pas terminée. Son compagnon a récidivé « je ne savais pas qu’il était sorti et je suis tombée sur lui au marché ». C’était comme des montagnes russes émotionnelles, Edith, qui recommençait à se sentir en sécurité, a replongé dans la crainte et la peur. Aujourd’hui, Edith est toujours accompagnée par Via Voltaire et France Victime. Le parquet lui a fourni un TGD (téléphone grand danger) et elle continue à se reconstruire.
Du côté de la Police Nationale
Les services de police (municipale et nationale) comme la gendarmerie et autres services de sécurité sont souvent les ‘primo-intervenants’. Au commissariat de Sète, ils sont une équipe permanente de 3 enquêteurs, renforcée par d’autres policiers pour des durées déterminées (les équipes de renfort tournent tout au long de l’année). La capitaine Carole Vergne, chef de sécurité urbaine à Sète, chapeaute tous les groupes d’enquête du commissariat à Sète et Frontignan. Le groupe de protection de la famille est l’unité qui s’occupe notamment des violences conjugales. Le commissariat dispose d’une intervenante sociale (ISCG), Claudia Beldame, depuis quelques années : « ce poste a été créé afin de mieux prendre en charge les victimes de violences conjugales. L’aménagement des locaux a été réalisé dans le cadre d’un chantier local d’insertion mené sous l’égide de la Mission locale d’insertion jeune du bassin de Thau. Nous essayons au maximum de prioriser l’accueil de ces victimes. Elle travaille au commissariat et peut se déplacer sur diverses antennes pour les victimes qui ne viennent pas au commissariat ». Le commissariat de Sète en partenariat avec les associations Via Voltaire et le CIDFF, a développé plusieurs outils pour améliorer l’accueil des victimes, dont « un questionnaire qui est remis à l’accueil à la victime et lui évite de ne pas répéter et répéter plusieurs fois son histoire, cela balise son parcours et permet à l’enquêteur d’avoir rapidement les grandes lignes pour optimiser l’audition. Nous sommes l’un des premiers commissariats de l’Hérault à le mettre en place. » Ce questionnaire permet d’une part de respecter l’intimité de la victime à l’accueil, mais également de lui faire prendre conscience des violences qu’elle a subies : « souvent elles viennent à la suite de violences physiques. Avec le questionnaire elles peuvent se rendre compte également de violences psychologiques dont elles n’avaient pas conscience. »
Le commissariat réalise aussi des démarches de prévention, à l’exemple de l’action menée « avec le CFJ, centre de formation des jeunes de la police, la Brigade des familles intervient régulièrement pour parler respect, harcèlement, rappels à la loi… L’été dernier, les jeunes du Centre de loisirs de la police ont réalisé et distribué une carte avec les numéros d’urgence à destination des commerces (coiffeurs, esthéticiennes), des cabinets médicaux et paramédicaux, carte discrète, facilement mise dans un sac à main pour la victime ou tout simplement pour faire circuler les informations. »
La Police Municipale
À Sète toujours, pour la police municipale, son responsable Eric Peyriguey se félicite de l’évolution de l’implication des agents hommes sur ces questions : « il y a encore quelques années, c’était les agents femmes qui demandaient des formations complémentaires. Maintenant nous sommes presque à 50/50. Notre formation initiale comprend bien entendu le thème des violences intrafamiliale. Sur notre territoire, nous avons également les associations Via Voltaire ou le CIDFF qui nous organise des formations complémentaires. » Si la police municipale n’a pas de mesure particulière d’accompagnement, son rôle est « d’intervenir sur appel ou sur flagrant délit, de s’interposer, et de contacter la police nationale pour qu’elle prenne le relais. Notre rôle de proximité avec la population nous permet également d’aiguillier une victime vers le commissariat. » Le policier reconnaît qu’il est encore difficile pour une victime de se faire reconnaître en tant que tel et d’aller déposer plainte, « mais nous avons une piste d’amélioration sur la question de la prévention du passage à l’acte. Les victimes de violence ne doivent pas attendre un acte de violence qualifié de ‘grave’ pour venir demander de l’aide. » Sur la question du travail en réseau, Eric Peyriguey précise « c’est utile pour tous dans l’intérêt de l’accompagnement des victimes. Par exemple, lorsque l’on fait un signalement d’enfants en danger, le conseil départemental est réactif, ce qui est appréciable pour la reconnaissance de notre action. »
À Marseillan, David Artero raconte « être confronté aux violences conjugales dans un état d’urgence d’intervention. Nous sommes là pour sécuriser, interpeller l’auteur présumé pour le confier aux gendarmes et commencer l’accompagnement de la victime. » Même si à Marseillan les policiers municipaux sont peu confrontés à ces situations, ils travaillent avec le CCAS qui a des solutions d’hébergement d’urgence et qui permet la mise en lien avec des associations qui prennent le relais dans l’accompagnement des victimes. « L’association Via Voltaire nous propose également des ½ journées afin de nous informer sur les différents partenaires, leurs rôles, leurs champs d’intervention et les contacts directs ».
À Balaruc, Ivana Simic, responsable de la police municipale s’occupe de 7 000 habitants à l’année et 4500 curistes par jour « nous avons un rôle de proximité et d’assistance. Sur la question des violences conjugales ou intrafamiliales, nous travaillons en lien avec le CCAS et la gendarmerie. Nous disposons d’un travailleur social et de trois ‘gendarmettes’ qui reçoivent les victimes et les auditionnent. En tant que « primo intervenants », nous orientons, nous alertons, nous portons assistance. » Il est arrivé que la police municipale organise des événements de prévention en allant sur le terrain avec des associations rencontrer les gens et les informer, les sensibiliser. Ivana Simic ajoute « nous sommes partenaires et acteurs du CISPDR (Conseil intercommunal de sécurité, de prévention de la délinquance et de la radicalisation). Ce qui nous permet de travailler ensemble, d’améliorer nos pratiques, de nous connaître et d’être en confiance pour aller les uns vers les autres pour accompagner une victime : cela facilite les démarches. »
A la gendarmerie
Du côté de la gendarmerie, la lieutenante-colonelle Danièle Goury est la référente violences conjugales et explique « chaque victime est particulière, son parcours de vie est spécifique, son histoire … Nous devons cerner son environnement, sa situation de façon globale. Si nous sommes face à des violences physiques, nous effectuons des constatations et demandons l’intervention d’un médecin légiste pour caractériser la gravité des blessures. Mais la majorité des violences sont surtout psychologiques : l’auteur présumé a une emprise sur son conjoint. Une personne en détresse qui n’a pas de marque physique de violences, c’est encore plus difficile de comprendre exactement ce qu’elle a vécu. Elle est de plus traumatisée, depuis plus ou moins longtemps. Chaque réaction de victime est différente. C’est pour cela que nous suivons des formations, pour comprendre le cycle de la violence, le pouvoir de manipulation et les réactions psychiques des victimes, car chacune gère différemment son traumatisme : je me rappelle avoir reçu une femme qui me racontait son viol en rigolant, c’était sa manière à elle de gérer, de mettre de la distance avec ce qu’elle avait subi, comme si cela ne lui était pas arrivé. »
Les gendarmes sont donc régulièrement formés pour trouver les mots justes, pour comprendre les réactions potentiellement qualifiées de « anormales » d’une victime quand elle raconte son calvaire. Les auditions durent entre 3 et 4h avec le même enquêteur, car « c’est important de prendre le temps d’expliquer la procédure, de rassurer la victime effrayée, de lui permettre dans de bonnes conditions. En moyenne, les victimes entament 7 à 8 démarches avant d’effectivement quitter le conjoint. » Les gendarmes ont une formation initiale concernant les violences intrafamiliale. En un peu plus d’un an, sur l’Hérault, 95% des gendarmes ont reçu une formation complémentaire. La gendarmerie dispose également de 4 gendarmes experts de ces questions. Ces formations complémentaires durent une journée et permettent : de mettre des mots sur l’invisible, de rappeler comment intervenir au domicile et observer, la préparation de l’audition et enfin l’accompagnement social et donc le lien vers l’ensemble du réseau d’accompagnement avec chacun leur champ de compétence et d’intervention.
Tous ces services des forces de l’ordre ont une démarche d’amélioration continue : formations obligatoires, formations supplémentaires animées par les associations telles que Via Voltaire, CIDFF, … Les enquêteurs font face à autant de situations différentes que de victimes. Ils connaissent les mécanismes de l’emprise, le cycle de la violence et sont de plus en plus au fait des réactions et comportements opportuns à adopter face à une victime, des éléments de langage pour ne pas bloquer ou blesser la victime, tout en gardant l’objectif de faire la lumière sur les faits et de trouver les éléments de preuve.
Prochain épisode : Condamnation, incarcération et prévention, mardi 23 novembre à 17H