Bassin de Thau : condamnation, incarcération et prévention dans les cas de violences conjugales
Le 25 novembre, c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Hérault Tribune a choisi de mettre l’accent sur l’accompagnement de ces victimes, de rendre compte de leur parcours. Il existe sur le territoire plus d’une dizaine d’acteurs, associatifs, judiciaires, publics, sociaux qui travaillent en réseau, réseau en construction incessante depuis plus de 10 ans. Cet épisode met en avant le travail juridique, judiciaire et de prévention. Rencontres.
Les faits de violences conjugales sont pris très au sérieux et la justice condamne. Mais il faut condamner à la hauteur du préjudice subit, à la fois pour que la victime se sente reconnue, mais également pour que l’auteur ne récidive pas. L’accompagnement des auteurs est souvent incompris, même décrié par certains. Pourtant, l’ensemble des personnes que nous avons contactées pour ce reportage nous ont expliqué qu’il était nécessaire de tout faire pour éviter la récidive sur le même conjoint ou sur le suivant. Sans compter que lorsqu’il y a des enfants, victimes directes ou collatérales, ces situations de violences intrafamiliales peuvent les entraîner vers le même chemin. La violence conjugale, injustifiable, est très complexe à expliquer et très complexe à prévenir. Il faut donc s’occuper de tous les acteurs de ces drames pour avoir une chance que la victime retrouve un jour une vie « normale ».
Les acteurs
France Victime est une association agréée par le ministère de la Justice, elle est organisée en fédération et regroupe 130 associations départementales. Dans l’Hérault, c’est Joséphine Cesbron, la directrice qui nous a expliqué son rôle : « nous sommes un service public d’aide aux victimes (attentats, infractions pénales, accidents collectifs et catastrophes naturelles). Nous sommes une équipe de 12 sur le département et assurons 18 permanences dans les tribunaux, le CHU, les commissariats, les unités médicojudiciaires. Notre équipe est composée de juristes, de psychologues cliniciens et victimologues. » Leur travail est d’accompagner les victimes sur leurs droits, le parcours judiciaire, les commissions d’indemnisation et bien entendu l’accompagnement psychologique. France Victime reçoit les victimes directement ou par les services qui ont recueilli la plainte, voire même par le parquet. « Sur certains dossiers, le parquet nous saisit pour réaliser une évaluation de vulnérabilité de la victime. Il s’agit de voir de quoi elle a besoin en fonction de sa situation personnelle : bracelet d’éloignement, téléphone grand danger, ordonnance de protection… Notre rapport est une pièce de la procédure. Nous complétons le dossier et donnons notre avis dans une synthèse » détaille Joséphine Cesbron. France Victime continue d’accompagner les victimes sur la longueur « d’abord parce qu’elles en ont besoin, mais également quand l’auteur des violences sort d’incarcération. C’est une période difficile pour la victime qui a peur d’une récidive. » En 2021, l’année n’étant pas encore terminée, France Victime a reçu et suivi 1070 victimes de violences conjugales et a assuré la suite de suivi de 950 victimes accueillies en 2020.
Le Parquet de Montpellier est très réactif quand on parle de violences conjugales. La capitaine Carole Vergne souligne d’ailleurs « M Tixier est le vice-procureur de Montpellier, référent violences conjugales. Nous avons une extraordinaire collaboration avec ses services. Ce monsieur possède une humanité rare et une empathie impressionnante. Il donne de son temps, il est très dynamique. Il répond toujours présent à toutes nos sollicitations. Ensuite, le tribunal de Montpellier condamne. Le tribunal a à cœur de poursuivre les mis en cause, de les condamner et de les incarcérer en fonction de leur dangerosité, même pour des faits de harcèlement. La sanction tombe et rapidement. »
Jean-Christophe Tixier est vice-procureur à Montpellier. Son travail consiste à évaluer la gravité des actes et se prononcer sur les conséquences des violences avec des condamnations et incarcérations. « Nous faisons ou faisons faire des enquêtes de vulnérabilité pour être le plus juste possible. Nous cherchons les solutions pour protéger la victime comme placer le conjoint mis en cause dans un hébergement jusqu’à la date de l’audience pour éviter qu’il retourne au domicile. Nous disposons de peu de logements dédiés, mais trouvons des solutions avec le réseau partenaire ou les services de la préfecture », explique le vice-procureur. Le travail du parquet ne s’arrête pas à la condamnation ou l’incarcération : « cela commence par prévenir la victime lorsque le conjoint va sortir de détention et voir si des mesures de protection sont nécessaires ou pas. Le comportement du détenu a été analysé pendant sa détention, et même si nous ne sommes pas dans une justice prédictive, nous arrivons à interpréter certaines choses. C’est aussi pour cela que l’accompagnement des auteurs est important : des associations s’en occupent, le SPIP (service pénitentiaire d’insertion probatoire) intervient également. Nous pouvons utiliser les bracelets antirapprochements ou les téléphones grands dangers (18 sont utilisés actuellement sur les 24 disponibles) ».
Le docteur Yves Galéa, médecin généraliste à Sète, est médecin légiste et expert auprès des tribunaux. Nous avons l’image du médecin légiste à la morgue, mais il faut savoir « que je vois 80% de personnes vivantes et 20% de personnes décédées dans cette spécialité de médecin légiste », explique-t-il.
Le médecin légiste est l’interface entre la médecine et la loi, sur réquisition du parquet : « le procureur me demande d’évaluer la gravité des choses. Je me prononce donc sur des marques, des blessures, et je confirme si les conditions racontées dans lesquelles elles auraient été commises sont plausibles ou pas. » C’est lui qui déclare les fameuses ITT (interruption temporaire de travail), élément qui permet de déterminer la gravité des faits et qui a une conséquence sur la reconnaissance de la victime en tant que telle et sur la future condamnation de l’auteur. Par exemple, une ITT de 3 jours n’entraîne pas la même peine qu’une ITT de 15 jours. Le docteur Galéa reçoit également des victimes lorsqu’il est au CHU ou encore lorsque les urgences lui envoient une personne qui ne portera pas forcément plainte, mais le dossier sera ouvert et il y aura une trace. En tant que médecin généraliste, il reçoit des patientes « qui viennent pour autre chose, mais comme on les connaît, on va creuser et essayer de la faire parler. Évidemment, si on remarque une marque on va également chercher à ‘savoir si elle est vraiment tombée dans l’escalier’. Mais c’est très complexe à gérer d’abord, puis en termes de responsabilité. Si elles nous parlent, on peut les guider. Mais si elles ne se livrent pas et que le soir même elles reçoivent des coups, voir sont tuées, qu’en est-il de la question de la ‘non-assistance à personne en danger’ ? Nous ne sommes autorisés à effectuer un signalement que si leur vie est en danger (secret médical). Comment peut-on nous, médecin, être sûr de la réalité de la situation, surtout si elle ne se confie pas ? ».
Des exemples d’outils adaptés
Pour auditionner les victimes et les témoins, souvent des enfants, le commissariat de Sète est équipé de plusieurs bureaux insonorisés, de jouets pour occuper les enfants et de matériels spécifiques pour l’audition des enfants (poupées sexuées par exemple). Et d’une salle Mélanie, salle d’audition spécifique pour les enfants mineurs (3 à 8 ans) : les enquêteurs sont en civil, le décor est coloré et fait penser à une chambre d’enfant. Ces salles sont équipées de caméra de vidéosurveillance ainsi que de micros pour enregistrer l’audition, ce qui évitera à l’enfant de devoir répéter et donc de revivre sans cesse le traumatisme. Ce dispositif permet aussi à un pédopsychiatre de se tenir dans une salle de contrôle près de la salle d’audition et de surveiller et interpréter le comportement de l’enfant. Au commissariat de Sète, un arbre de vie, réalisé par les enfants, est disponible pour eux, afin de symboliquement leur permettre de déposer un fil, un bout de tissu dans cet arbre de vie pour « laisser derrière ce qu’il s’est passé ».
L’éviction du domicile de l’auteur présumé est de plus en plus courante. Ce sont les gendarmes qui interviennent lors de ces décisions. La lieutenante-colonelle Goury explique que « lorsque nous interpellons le mis en cause, nous le plaçons en garde à vue. En fonction de la gravité des faits constatés, le parquet nous ordonne une éviction de domicile. Pendant le confinement, nous en avons réalisé un certain nombre, plaçant les autres présumés à l’hôtel. Mais cela étant, il y a peu de place en situation hors confinement. Nous manquons de place pour ces hébergements qui permettent à la victime de rester chez elle en sécurité. »
Des actions d’accès à l’information
À la sortie du premier confinement, alors que l’on sait que les actes de violences conjugales ont augmenté de 25% pendant cette période, une campagne d’information a été réalisée afin de permettre de se rendre compte si le comportement de son conjoint était « à risque » ou si la personne était victime de violence. Le Violentomètre a été créé, largement diffusé, repris par beaucoup d’associations et dans les médias. La gendarmerie avec les services de la préfecture et d’autres partenaires, a mis en place une action durant l’été dernier : « l’affiche mise en place cet été dans les paillotes et bars musicaux du littoral de l’Hérault, et même sur l’A9 dans les grandes aires de repos. Elles ont été apposées dans les toilettes individuelles, dans un contexte de sortie de confinement période propice à de potentielles déviances démesurées. En une semaine, les deux tiers des languettes détachables avaient disparu » explique la lieutenante-colonelle Goury.
Prochain épisode : Les acteurs sociaux, mercredi 24 novembre à 17H