Bassin de Thau : le travail en réseau pour mieux accompagner les victimes de violence
Le 25 novembre, c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Hérault Tribune a choisi de mettre l’accent sur l’accompagnement de ces victimes, de rendre compte de leur parcours. Il existe sur le territoire plus d’une dizaine d’acteurs, associatifs, judiciaires, publics, sociaux qui travaillent en réseau, réseau en construction incessante depuis plus de 10 ans. Cet épisode montre à quel point le travail en réseau, la complémentarité des tous ces acteurs est importante et donne déjà des résultats. Rencontres.
L’état psychologique et physique d’une victime est une réelle situation de traumatisme. Le réseau des structures accompagnantes doit donc s’organiser afin de ne pas rajouter du stress, de l’opacité dans les démarches. Ce travail de bon sens, tous ensemble, est indispensable, chacun connaissant les limites de compétences des autres et donc s’inscrivant dans une complémentarité utile pour la victime. Mais la force de ce réseau, c’est également de faire avancer les choses, de monter des actions de prévention et d’informer l’ensemble des acteurs des contacts et des démarches. Un comité départemental dédié aux violences faites aux femmes vient d’être lancé (voir notre article : https://www.herault-tribune.com/articles/violences-faites-aux-femmes-un-comite-departemental-dedie-des-moyens-renforces/). Sur le département de l’Hérault, 9 réseaux d’accompagnement sont déployés sur le territoire. Certains sont animés par le Cidff, d’autres par l’association Via Voltaire, les autres directement par les CCAS. Tous ont pour objectif d’entretenir les liens et de faciliter l’accompagnement des victimes en posant la bonne question à la bonne personne. Les services publics et collectivités ne sont pas en reste et déploient également des moyens.
La préfecture de l’Hérault
Hervé Durif est le délégué du préfet politique de la ville Lunel et Sète de la préfecture de l’Hérault. Il travaille sur les politiques de la ville « notamment par les contrats de ville par lesquels nous apportons un soutien aux associations du réseau des accompagnateurs des victimes de violences. Nous avons participé, avec le conseil départemental, au financement du poste d’intervenant social au commissariat de Sète. Nous intervenons sur les questions d’égalité femme/homme. Nous avons également financé les marches exploratives du quartier de l’Île de Thau à Sète. Ce dernier point nous a permis d’intégrer les remarques de ces femmes qui sont revenues se promener dans la rue dans le projet de rénovation urbaine », explique Hervé Durif. La préfecture travaille sur la prévention, car « c’est par la formation que nous ferons avancer les choses », déclare le délégué du préfet. « Un projet de Maison citoyenne des femmes est en cours. Nous finançons le CIDFF qui anime une partie du réseau et forme nos forces de sécurité sur l’accompagnement des victimes. À l’inverse, pendant le confinement, c’est grâce à des associations telles que La Matrice de Thau ou Concerthau que nous avons pu identifier des situations à risque pour des violences conjugales. Les liens que nous entretenons tous sont la garantie de continuer à faire toujours mieux » conclut-il.
Stéphanie Canovas est la Déléguée Départementale aux Droits des Femmes et de la Famille à la préfecture de l’Hérault. Elle n’est pas là par hasard puisqu’elle a été intervenante sociale en commissariat et bénéficie donc d’une expérience terrain très complète : « je vois encore le regard de certaines de ces femmes, elles ont une telle force pour traverser tout cela, croyez-moi, elles vous donnent des leçons de vie ! » raconte Mme Canovas. Pour replacer le contexte et l’état des lieux, Stéphanie Canovas nous donne des chiffres, qui à eux seuls expliquent la situation préoccupante sur le territoire : « en 2019, 7 féminicides sur le département de l’Hérault (3e département au niveau national) ; sur la période 2016-2021 en cumulé, 17 homicides conjugaux sur le département (là où le Gard ou la Haute-Garonne sont à 9 sur la même période). Ces statistiques placent l’Hérault à la 1re place régionale. Le numéro national 3919 a reçu en 2019, 1080 appels en provenance de l’Hérault et 1415 appels sur 2020 (soit une augmentation de 27%) ». Mme Canovas voit tout de même des choses positives sur le territoire « grâce à une synergie et un volontarisme exemplaire de tous les acteurs du territoire. C’est une chance pour faire avancer les choses. Nous avons installé un 6è poste d’intervenante sociale, renforcé les structures d’hébergement pour les victimes et leurs enfants. Nous disposons de 13 zones de mise à l’abri en zone rurale. Nous avançons et améliorons l’équipement du territoire ». Autre moyen utile, le lancement de l’application App-Elles (https://app-elles.fr/) sur le département en 2020 : « elle a été déjà téléchargée 37 457 fois. C’est à la fois une bonne nouvelle sur une solidarité qui se met en place, mais en même, ces femmes-là ne se sentent pas en sécurité pour sortir, pour vivre ! » s’interroge Stéphanie Canovas.
Dans ce qu’elle appelle ‘la chaîne de solidarité des professionnels qui accompagnent les victimes’, Stéphanie Canovas y rajoute « le point de vue des premières concernées : je pense que c’est inédit de les consulter ainsi. En effet, ces femmes qui ont été des victimes, qui ont suivi le parcours, qui s’en sont sorties, elles disposent finalement d’un point de vue d’usage du parcours, une vision très concrète des pistes d’amélioration. Cette expertise, ce regard affiné, elles nous les font partager dans un comité participatif que nous avons créé. Nous avons déjà eu 3 réunions qui ont démontré la puissance de leurs analyses. On se rend compte que dans le parcours, il y a des moments clefs, des moments stratégiques pour la victime. Le déclencheur n’est pas toujours facile à identifier : cela peut être le regard de son enfant qui fait prendre conscience de quelque chose, une phrase, un mot entendu … Partager ainsi leur expérience avec du recul est une chance pour améliorer les points qui peuvent encore l’être. C’est aussi un moyen pour ces anciennes victimes de participer à un changement social. De transformer un traumatisme en expérience grandissante et fortifiante ». L’observatoire départemental des violences qui est en cours de préfiguration utilisera le travail de ce comité participatif.
Concernant plus spécifiquement les enfants, victimes eux-mêmes ou victimes ‘collatérales’, un chiffre encore, qui fait froid dans le dos : « au niveau national, 143 000 enfants vivent dans des foyers où la violence conjugale est présente. On sait que cela entraîne des répercussions sur leur développement social, psychologique, affectif et parfois même physique. 25 enfants en 2019 sont morts dans un contexte d’homicides conjugaux en France » énonce Mme Canovas. Et rajoute que « c’est un des points de ma ‘feuille de route’ car pour les enfants, les questions qui se posent concernent notamment l’exercice du droit d’hébergement par l’auteur présumé ou reconnu coupable. Car seul un féminicide fait perdre l’autorité parentale au père. Sans compter que la suspension du rapport au père est difficile à maîtriser à l’heure des portables et réseaux sociaux, pour des enfants qui eux, veulent souvent continuer à voir leur père. Une complexité de relations humaines qui trouve une solution dans la mesure d’accompagnement protégé et l’espace de rencontre protégée. C’est le juge aux affaires familiales qui ordonne ce droit d’hébergement et son fonctionnement. Il s’agit d’une sorte de médiation : un éducateur va chercher l’enfant chez sa mère, échange et discute avec la maman et l’enfant et prépare les retrouvailles avec le père. Puis il emmène l’enfant chez son père et échange à nouveau, introduit les sujets, vérifie que la situation est sécurisée pour l’enfant. »
En conclusion, Stéphanie Canovas partage une réflexion sur la prostitution : « il y a de la prostitution dans les violences conjugales. La définition de la prostitution c’est un échange d’acte sexuel contre de l’argent. Mais cela peut également être un échange contre des menaces. La situation dans les deux cas est assez proche. Les processus des auteurs sont les mêmes. La source de la prostitution vient également d’une situation d’emprise, de manipulation, de menaces, et souvent liée à une relation conjugale. »
Le Conseil Intercommunal de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CISPDR)
François Commeihnes est le président de ce CISPDR. Il explique que « le combat contre les violences faites aux femmes en constitue le premier pilier. Depuis 2001 en tant que maire et depuis 2017 en tant que Président du CISPDR, j’ai fait de cette lutte ma priorité, et j’y attache la plus haute importance. » Des améliorations ont ainsi été apportées telles que l’installation de Via Voltaire sur Sète : « dès 2001, j’ai souhaité que le réseau Via Voltaire, jusqu’alors installé à Montpellier, vienne sur Sète. J’ai permis pour Via Voltaire, le CIDFF, le conseil juridique, le conseil conjugal et familial, le défenseur des droits, les avocats-conseils gratuits, de disposer de locaux et du matériel nécessaire pour qu’ils puissent mener des permanences d’accueil pour les victimes » détaille François Commeinhes. D’autres actions et moyens ont également été développés : « dans le cadre du CISPDR en partenariat avec M. Saby commissaire divisionnaire de la police nationale, nous avons mis en œuvre un plan d’action pour améliorer l’accueil des victimes, avec en 2018, la formation des agents de police nationale, qui a pu se réaliser grâce à l’implication de Mme Canovas Déléguée Départementale aux Droits des Femmes et de la Famille. Puis en 2019, la création du bureau de l’intervenante sociale au sein du commissariat de Sète pour la zone Sète et Frontignan. L’an dernier en 2020, nous avons organisé deux couloirs au sein du commissariat pour permettre que les auteurs et les victimes ne se croisent pas, ce chantier a été réalisé par les jeunes de la Mission locale d’Insertion du Bassin de Thau. Sans oublier la réalisation de cloisons phoniques pour auditionner les victimes en toute confidentialité. Et enfin en 2021, l’installation de la salle Mélanie pour auditionner les jeunes victimes dans une ambiance chaleureuse et confidentielle » liste le président du CISPDR.
François Commeinhes, médecin obstétricien a beaucoup de projets encore sur ce thème, inspirés des retours de terrain : « la sensibilisation de tous les professionnels de santé qui sont les premiers interlocuteurs des femmes victimes, mais la majorité d’entre eux non pas encore les outils nécessaires pour répondre. Aussi, avec la communauté des professionnels de santé (CPTS) nouvellement installée sur le territoire des formations vont pouvoir se mettre en œuvre pour pallier à ce déficit. J’aimerais également améliorer et développer l’accueil d’urgence pour ces femmes victimes et leurs enfants, en 2022 dans le cadre du CISPDR une réunion élargie au territoire va permettre d’engager cette réflexion, et qui j’espère, aboutira sur des pistes et des propositions d’hébergements. Un dernier point important, il faut donner plus de visibilité sur le parcours à suivre pour une femme victime, la victime se sent démunie, elle doit connaître les bons interlocuteurs, les contacts d’urgence. Une large communication doit être effectuée en tout lieu : restaurants, boulangeries, coiffeurs, kinés. Mieux nous informerons, plus les victimes sauront à qui s’adresser pour trouver l’aide nécessaire pour se reconstruire », conclut-il.
« Les violences subies par les femmes constituent la plus aiguë des inégalités homme-femme. Le combat est long, mais les acteurs sont déterminés. Le réseau mis en place au sein du CISPDR, les multiples partenaires tels que la gendarmerie, la police nationale, France Victimes, le CIDFF ; Via Voltaire, la justice… ont tous la même volonté affirmée pour lutter contre ces violences, et améliorer la défense, l’accueil, le soin, l’hébergement de ces victimes » explique Pierrette Roucoulet la coordinatrice du CISPDR. Les améliorations qui ont déjà pu être réalisées « sont un bonheur pour ces femmes qui peuvent maintenant se rendre dans les permanences des associations en toute confidentialité, toute discrétion. Le réseau organise des réunions d’échanges mensuelles pour entretenir les liens et faciliter le travail de chacun. Au niveau national, des campagnes sont faites avec le 3919, France Victime … mais au niveau local nous devons améliorer la visibilité pour que l’accès à l’aide soit simple. Notre réseau d’accompagnement nous permet d’être plus réactifs, de nous entraider et surtout un meilleur accompagnement des victimes, car c’est bien là notre unique objectif », complète-t-elle. Parce que, il faut le préciser, sur le territoire de Sète, « depuis le début du covid-19 on a noté une augmentation de 32% d’actes de violences conjugales » précise Mme Roucoulet qui enchaîne « ce travail en réseau et de terrain permet de créer des outils, d’activer au bon moment la bonne force vive, d’être à l’écoute et en proximité avec les victimes ».
Comme le souligne, en complément des propos de Mme Roucoulet, la capitaine Carole Vergne au commissariat de Sète : « nous participons aux réunions mensuelles interréseau que Via Voltaire animent sur notre territoire. Cela participe à la connaissance les uns des autres. Nous participons aux réunions intersecteurs avec les professionnels de santé par exemple. Cela nous permet de voir ensemble comment améliorer nos démarches, à l’hôpital, avec les professionnels de santé, avec les divers acteurs. De connaître les contraintes de chacun et d’optimiser nos démarches les uns envers les autres ».
Le Comité Professionnel Territorial de Santé (CPTS)
Récemment créé (décembre 2020), le comité professionnel territorial de santé du Bassin de Thau a démarré son existence sur les chapeaux de roue en gérant l’installation du centre de vaccination et la gestion des centres de test covid-19 dès janvier 2021. C’est un partenariat entre l’ARS et la CPAM qui a permis de mettre en œuvre une volonté politique. Maintenant, sa coordinatrice, Florence Pucheral, infirmière de formation, se concentre sur sa mission : « coordonner les acteurs de santé, avec l’hôpital, avec les CCAS, les divers acteurs pour créer du liant et faciliter ainsi le parcours santé, l’accès aux soins …. Nous avons également une mission de prévention et c’est dans ce cadre-là que nous participons au réseau des l’accompagnement des victimes de violences. Nous essayons d’informer les professionnels de santé sur comment appréhender, gérer des soupçons de victimes de violence, comment on les repère, vers qui on les oriente… C’est notamment l’objectif de la sensibilisation du 23 novembre au soir à l’Hôpital de Sète. Sans prétention, nous nous inscrivons en complémentarité avec tout ce qui existe déjà. Nous prévoyons de créer et diffuser des outils opérationnels pour les professionnels de santé, d’organiser des formations plus pointues et spécialisées. Nous pouvons participer à mettre tout le monde autour de la table pour faire avancer des dossiers. » Le CPTS du Bassin de Thau va notamment mettre en place, par la signature d’un Contrat de ville, des actions spécifiques sur des quartiers prioritaires intégrant de la prévention sur les questions de violences.