Béziers : cour d'appel submergée, le manque de moyens humains pour rendre une justice de qualité pointé du doigt
Ce jeudi 20 janvier, un point presse avec les deux chefs de juridiction a eu lieu afin de dresser un bilan de l'activité 2021 du tribunal.
Afin de respecter les prescriptions du code de l’organisation judiciaire, une audience formelle et sans public s’est tenue par les chefs de juridictions, deux assesseurs et Madame la Directrice de greffe par intérim. Raphaël Balland, le procureur de la République de Béziers et Jean-Bastien Risson, le président du tribunal judiciaire déplorent le manque de moyens humains pour rendre une justice rapide de qualité. Comme c’est le cas dans de nombreux tribunaux de France, le manque d’effectifs se fait largement ressentir.
Une cour d’appel submergée d’affaires en attente
En ce début d’année, le manque d’effectifs a de nouveau été mis en exergue. Au regard de l’augmentation significative du nombre de jugements, les magistrats doivent faire face à un manque de temps, de moyens et de personnel. En 2021, 22 961 plaintes et procès-verbaux ont été reçus par le parquet de Béziers. Une augmentation de 6 % par rapport à 2020. Une diminution de 9 % des gardes à vue a été observée, 2106 gardes à vue pour l’année dernière. Aux 36 audiences de procédures collectives du tribunal de commerce, le parquet a obtenu 23 sanctions commerciales, soit + 187 %.
« Nous sommes encore très loin de la réalité des besoins. L’enjeu ce n’est pas d’être à la tête de grosses équipes. L’enjeu est de rendre une justice digne de ce nom pour nos concitoyens. Nous ne pouvons travailler plus, on le fait déjà énormément. Depuis des années, nous faisons preuve de beaucoup d’imagination pour que cela puisse fonctionner. Mais il faut être honnête, c’est au préjudice de la qualité », explique Raphaël Balland.
Le délai moyen pour obtenir une décision de justice en 2019 était de 6,2 mois devant le juge d’instance, de 9,4 mois devant le tribunal de grande instance, de 14,5 mois devant le conseil de prud’hommes, de 14 mois devant la cour d’appel, de 15,5 mois devant la Cour de justice de l’Union européenne et de deux ans devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Un effectif en dessous de la moyenne européenne
Comme le souligne Jean-Bastien Risson, « la justice n’est pas un simple service public, c’est un pouvoir, un pouvoir nécessaire en démocratie, dans un état de droit. Elle est rendue au nom du peuple français. Elle doit avoir les moyens de fonctionner si l’on ne veut pas que l’état de droit soit affaibli. Il y a une norme européenne, sur le nombre de juges qu’il faut par habitant. La médiane est de 17,7 % pour 100 000 habitants. La France est à 10,4 %. Nous sommes censés être 24 juges à Béziers, là, nous sommes 22. Alors que nous devrions être même 41 juges au tribunal de Béziers d’après les chiffres. Si j’avais 41 juges, je n’aurais plus d’audience qui se termine la nuit, plus de stock qui s’accumule dans les placards et les justiciables auraient des réponses sous 15 jours, ou dans les deux mois pour les dossiers qui méritent plus de réflexion.»
Raphaël Balland, ajoute que « par procureur et par an, la moyenne européenne du groupe est à 189 dossiers traités par substituts ou magistrats. De notre côté, nous avons reçu 2200 affaires. Nous avons du mal à laisser penser que ce n’est qu’un problème d’organisation ou travail, alors que nous sommes depuis très longtemps au taquet. On peut certes s’améliorer sur des points y compris sur la modernisation des outils, mais de réels efforts ont été faits ces dernières années. »
Du côté des chiffres
92,5 % des procédures juridiquement poursuivables ont fait l’objet d’une réponse pénale avec en 2021 :
- 2587 alternatives aux poursuites ordonnées par le parquet : + 6,5 %. Des mesures mises en œuvre par des délégués du procureur, ex : rappel à la loi, obligation de soins, stage payant de citoyenneté ou de sensibilisation aux stupéfiants ou à la sécurité routière ou aux violences conjugales, interdiction de se présenter dans certains lieux ou de fréquenter certaines personnes, etc.
- 4850 condamnations correctionnelles : + 4,46 %. 1779 en audiences correctionnelles, 591 CRPC, 2100 ordonnances pénales et 180 compositions pénales.
- 640 mesures éducatives ou sanctions pénales prononcées par les juges des enfants. Soit +85% en raison d’un important rattrapage des stocks en attente de jugement.
- 299 condamnations par le tribunal de police pour les contraventions de 5e classe. Soit -8,5 %, 119 jugements et 180 ordonnances pénales.
Pour sa part, le procureur de la République de Béziers Jean-Bastien Risson note que la justice manque cruellement de moyens en France, le tribunal de Béziers tout particulièrement. « Comme nous sommes optimistes malgré ce contexte difficile, nous avons quand même de bonnes idées et des réussites… Mais avec de réelles difficultés. Le manque de moyens a de vraies conséquences pour les justiciables et pour l’activité de cette juridiction, qui devrait avoir plus de magistrats. »
Priorité à l’indemnisation rapide des victimes
Pour 2022, l’une des priorités de Jean-Bastien Risson est le traitement rapide des dossiers pour l’indemnisation des victimes.
« On ne met pas assez de moyens pour l’indemnisation des victimes. Par exemple : vous avez le procès pénal, l’auteur est condamné et la victime reconnue. Elle a souvent le droit à une indemnisation en tant que victime. Aujourd’hui, à Béziers, je peux trancher 150 dossiers/an. En moyenne, j’en reçois 250. Donc, chaque année, je crée 100 dossiers en stock. Aujourd’hui, j’en ai déjà 300. Ce qui veut dire que lorsqu’un dossier arrive aujourd’hui, je dois dire à la victime qu’elle attende deux ans pour que je puisse examiner son cas. Concrètement, il y a un manque de moyens énorme. Il faut juger des gens dans des conditions normales, et bien les juger », conclut-il.