Castelnau-le-Lez, expo : une rétrospective des polyfactures de Fabien Boitard au Kiasma
A Castelnau-le-Lez, la coursive du Kiasma accueille plus d'une vingtaine de peintures et sculptures de Fabien Boitard, artiste local "extrêmement connu en France", comme l'a rappelé Numa Hambursin, directeur du Mo.Co, présent lors du vernissage, qui a salué cette initiative lancée par la municipalité castelnauvienne.
L’idée de cette exposition intitulée “Prolongations” est née tout simplement : voyant sur un réseau social que le peintre Fabien Boitard cherchait un lieu d’exposition, l’adjointe à la Culture de Castelnau-le-Lez, Sylvie Ross-Rouart, est entrée en contact avec lui et lui a proposé d’exposer au Kiasma. Entretien avec l’artiste…
Quel est l’objet de cette exposition ?
Fabien Boitard : “Cette rétrospective me permet de montrer un peu tout ce que j’ai abordé durant ces quinze dernières années, de façon non chronologique : le support avec des châssis déformés datant d’années différentes, mais aussi les toiles plus “classiques”, avec des formats identiques, qui abordent des thématiques différentes. J’ai souhaité qu’il n’y ait pas de cartels [ces pannonceaux qui accompagnent en général chaque tableau dans les expositions, NDLR], afin que les visiteurs ne puissent pas dater les tableaux, qu’ils ne sachent pas où sont le début et la fin.
Je présente 3 toiles nouvelles, réalisées cette année : Le Trou n°2 [un chemin troué], « D’après l’autre… [ou la jeune fille sans la perle, l’autre étant Vermeer], et Le Coucher de soleil.
En général, les titres renseignent un peu sur l’intention de l’artiste. Je n’ai pas voulu qu’ils soient affichés.”
On remarque dans cette exposition des regards sur l’histoire de l’art…
Fabien Boitard : “Oui, à travers des thématiques traitées par des maîtres, comme la jeune fille à la perle [Vermeer], Leda et le cygne [Léonard de Vinci…].
Mais aussi parce que je me sers de toutes les trouvailles de l’histoire de l’art. Par exemple trouer une toile comme l’a fait Lucio Fontana avant moi. Des gestes qui ont des temporalités différentes dans la peinture sont réunis dans mon monde, en toute cohérence. Cela me demande d’être partout techniquement, de ne pas être gêné par la technique, car cela doit rester de l’expression. J’aime faire des grands écarts formels. J’ai développé une syntaxe et un langage qui me sont propres ; il ne s’agit pas d’une simple mise bout à bout de techniques.”
Que signifie ce bâton que l’on retrouve dans certains de vos paysages ?
Fabien Boitard : “J’ai d’abord mis un point rouge, puis un bâton, dans l’environnement. Par exemple, sur un paysage d’étang, je pose un geste radical d’une facture différente. C’est proche de l’autoportrait ; c’est un peu comme si j’étais planté là, quelque part. Dans le tableau d’étang, ce qui m’intéressait était le rapport entre la peinture sortie du tube et celle, aquatique, du fond…”
Vous travaillez beaucoup sur le flou dans vos tableaux…
Fabien Boitard : ” Le flou évoque la sensation, il peut renvoyer à des ambiances déjà vécues, à la mémoire…”
Qu’est-ce qui vous inspire pour créer ?
Fabien Boitard : “Je me sers de tout : mes souvenirs, des documents, la nature qui m’entoure et donc travailler “sur le motif”, faire poser une personne… Je n’ai pas de protocole préétabli. Je n’emprunte pas toujours les mêmes voies pour ouvrir les choses. J’avance en peinture comme sur un chemin, je découvre en même temps que je crée.”
L’exposition met en regard un tableau de corbeau mazouté avec des sculptures reprenant le même sujet.
Fabien Boitard : “Le corbeau est un motif récurrent dans mon travail. D’ailleurs, une série de peintures de corbeaux a été acquise par le Frac Occitanie. Le corbeau mazouté est une image forte, qui parle pour la cause environnementale. Dans la lancée, j’ai réalisé les corbeaux mazoutés en céramique lors d’une résidence à l’invitation d’Arte Linea, il y a deux ou trois ans.”
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Fabien Boitard : “Je poursuis une série à la thématique écologique. Il y a Avant (un chemin enneigé dans une vallée), Pendant (le même paysage au printemps) et Après (le même paysage incendié).”
Vous êtes un artiste engagé sur le plan social, écologique…
Fabien Boitard : “J’ai fait plusieurs séries engagées socialement, oui. Dans le tableau Un Puissant, un homme porte sur lui la culpabilité des morts qu’il a générées. C’est une reprise des vanités, un thème qui signifie que nous sommes tous impuissants face à la mort. Malgré le statut que l’on a dans la société, on finit toujours dans un trou. La mort remet tout le monde au même rang.
J’ai créé ma série des Grimaces en réaction à la violente répression des Gilets Jaunes, qui a laissé des personnes défigurées, énucléées. J’ai fait environ 50 Grimaces ; autant de portraits de citoyens blessés par l’Etat.
Donc si l’on reprend l’ordre des choses, il y a d’abord les Puissants, les commanditaires cravatés, et les Grimaces, les oppressés. Mon petit pouvoir de peintre est de rendre justice. Dans mes premiers Puissants (dont celui acheté par le Frac en janvier 2021), j’ai poussé le portrait dans le classicisme pour mieux le détruire. Il s’agit de bien faire les choses pour mieux les massacrer, de maîtriser la peinture pour mieux la saccager.
La peinture reste un endroit où il reste du beau, du sacré, mais dans ce monde, le beau est massacré tous les jours, donc ce geste se justifie.
Je me positionne à la fois en justicier social et en justicier écolo, notamment quand j’évoque le thème des chasseurs, qui font partie des oppresseurs écologiques, ils le représentent bien. Au Kiama je n’expose pas de chasseurs à proprement parler, mais le paysage au chien courant rappelle cette thématique. Je suis né dans une région où la chasse faisait partie du décor. L’idée que l’on s’en fait dans les villes m’intéresse plus que la réalité. Je manipule des lieux communs”.
Vous manipulez également vos châssis…
Fabien Boitard : “Cette façon de travailler le châssis m’est venue il y a longtemps, depuis que je fais mes châssis. Faire mes châssis et leur donner la forme que je veux me laisse une grande liberté. J’ai voulu inscrire le sujet dans le châssis. Comme le terrain de tennis en perspective ou la tente château exposés au Kiasma…”
Le motif de la tente-château revient régulièrement dans vos œuvres…
Fabien Boitard : “Je suis né près des châteaux de la Loire, ils ont bercé mes rêves d’enfant. Pour un enfant, un château peut être une tente. Depuis tout petit je rêve d’habiter un château. Les châteaux comptent pour moi culturellement. Dans un des tableaux du Kiasma, j’ai trouvé intéressant de réunir deux habitats radicalement opposés en un même lieu : un château et une montagne, motif récurrent qui me permet de parler de nature”.
En effet, la nature semble beaucoup vous inspirer…
Fabien Boitard : “Je vis dans la nature, loin de la ville. Cela me donne du recul. Mon atelier a toujours été dans la nature. Ce fut d’abord un chai, et maintenant un atelier financé par la Drac et la Région sur une parcelle que je loue. Après être sorti de l’Ecole des Beaux-Arts avec les félicitations, je ne suis pas allé à Paris. Economiquement parlant, vivre et peindre auprès de la nature était le plus simple pour moi. Ce recul est également apporté par le travail à l’huile. La peinture à l’huile mettant du temps à sécher, je travaille sur plusieurs toiles en même temps, ce qui m’apporte une mise à distance, un temps de réflexion bénéfique. J’apprécie à la fois la mise à distance par rapport au monde et au temps. Sur mon chemin, j’ai pris le temps de développer un langage sans répondre aux injonctions. Quand j’étudiais dans les années 90 aux Beaux-Arts, ils voulaient tous la mort de la peinture. Je ne les ai pas écoutés.”
Y a-t-il un sujet qui vous résiste ?
Fabien Boitard : “Parmi les sujets qui me titillent mais que je repousse régulièrement, il y a un portrait de dame nature. Je vais sans doute le faire un jour.”
D’où proviennent les œuvres exposées au Kiasma ?
Fabien Boitard : “Elles proviennent de mon atelier. Après l’exposition, certaines iront soit à la La Serre en janvier où j’exposerai en duo avec mon ami Hervé Ic, d’autres à Paris à la Galerie Derouillon en février-mars”.
Que pensez-vous de la Coursive du Kiasma, en tant qu’espace d’exposition ?
Fabien Boitard : “C’est un lieu incroyable qui permet d’avoir une vue d’ensemble d’un seul point dès qu’on entre ! Et le balcon rappelle le Guggenheim…”
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Castelnau, une ville d’artistes depuis bien longtemps
Le directeur du Mo.Co., Numa Hambursin, et l’une des curatrices du Mo.Co, Pauline Faure, étaient présents lors du vernissage. En effet, des œuvres de Fabien Boitard sont actuellement exposées à La Panacée/Mo.Co. dans le cadre de la biennale SOL, qui expose des artistes locaux. “Travailler avec le Mo.Co, il y a quelque temps, on n’y aurait pas pensé”, s’est enthousiasmé le maire de Castelnau-le-Lez, Frédéric Lafforgue, louant les efforts de son adjointe à la Culture. Au passage, Numa Hambursin a souligné que le Mo.Co est une institution métropolitaine, et “pas uniquement une institution du centre-ville de Montpellier”.
Le directeur du Mo.Co a souligné : “Castelnau est une ville d’artistes depuis bien longtemps. Frédéric Bazille l’a représentée de l’autre côté du Lez, depuis le domaine Méric. Et une artiste majeure de la sculpture du XXe siècle connue dans le monde entier, Germaine Richier, y est née. Son église est dotée de superbes vitraux réalisés par François Rouan, et le mobilier par Jean-Michel Wilmotte. Plus récemment, Robert Combas y a installé son grand cheval, au Prado-Concorde, et Abdelkader Benchamma a réalisé une fresque à Sakura“.
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Informations pratiques
Le Kiasma – 1, rue de la Crouzette – 34170 Castelnau-le-Lez. 04 67 14 19 06.
Exposition visible aux horaires d’ouverture du Kiasma.