Société — Clermont-l'Hérault

Dans le Cœur d'Hérault, l'intégration des demandeurs d’asile est un jeu d'équilibriste

Dans l’Hérault, plus de 1 200 personnes ont demandé l’asile en 2021. En attendant une réponse de l’Etat, elles sont logées à Béziers ou Montpellier, mais aussi dans de petites villes du département. Comment s’intégrer dans ces territoires alors que l’on vient de l’autre bout de la planète ? Reportage.

Melyna, cinq ans et petites lunettes rondes sur le nez, rentre de l’école avec sa mère à travers les rues du centre-ville historique de Saint-André-de-Sangonis. À la main, elle arbore un cahier de dessins, offert par ses camarades de l’école maternelle le dernier jour de classe avant les vacances. 

Car Melyna et ses parents kabyles algériens ont obtenu le statut de réfugiés pour dix ans : ils vont enfin pouvoir quitter le logement dans lequel ils sont hébergés en cohabitation depuis un an et demi, pour déménager dans un HLM à Villeneuve-lès-Béziers. “Nous avons obtenu d’être logés dans un petit appartement où nous vivrons que tous les trois”, explique Amokrane Tirache, le père de famille qui attend ce vendredi 20 décembre le camion du Secours populaire qui va l’aider à transporter toutes ses affaires. Dans la rue, il croise son voisin, un vieil homme, qui lui dit au revoir avec émotion.

Melyna, 5 ans, a reçu des dessins de ses camarades de l'école. © T.O / Hérault Tribune
Melyna, 5 ans, a reçu des dessins de ses camarades de l’école. © T.O / Hérault Tribune

521 demandes d’asile acceptées dans l’Hérault

Dans le département de l’Hérault, 1 216 personnes ont déposé une demande de protection internationale, dont 521 ont été acceptées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2021 selon des chiffres rendus publics en octobre 2022. Pendant le temps du traitement de leur dossier, ces personnes sont logées par des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, financés par l’Etat.

C’est le cas d’Adages qui accueille, héberge et accompagne les personnes en situation d’exil en France. D’abord présente à Montpellier, l’association a délocalisé une partie de son activité depuis deux ans et demi. “Il n’y avait plus beaucoup de places à Montpellier, il fallait sortir de la métropole”, explique Sylvain Mathieu, coordinateur et travailleur social qui a implanté Adages à Clermont-l’Hérault. 

60 demandeurs d’asile hébergés

Aujourd’hui, l’association propose des places pour 60 personnes dans quatorze appartements entre Clermont-l’Hérault, Gignac et Saint-André-de-Sangonis. “Nous avons voulu infuser les demandeurs d’asile dans différentes localités pour ne pas emboliser les écoles, ni alourdir le Secours populaire ou les Restos du cœur”, continue Sylvain Mathieu, qui explique que certaines communes peuvent être réticentes à recevoir ces personnes qui ont souvent très peu de revenus et donc beaucoup de besoins.

Au début, il a eu du mal à trouver des agences immobilières ou des propriétaires prêts à lui louer des appartements à un prix accessible. “Ils savent que l’association, qui est le locataire financé par l’Etat, va payer le loyer. Mais ils savent aussi que les personnes logées ne restent pas longtemps et ils ont des craintes concernant l’entretien du logement”, constate le coordinateur, qui a finalement trouvé des appartements ou des petites maisons, souvent un peu vétustes, dans des petites rues pas très lumineuses du centre-ville, sans extérieur. 

Cohabitation internationale  

Derrière la porte rouge d’une maisonnette dans une impasse où deux voitures ne peuvent pas se croiser, Amokrane Tirache est installé au premier étage dans une chambre qu’il partage avec sa femme et sa fille depuis le 16 mai 2023, quand ils ont été propulsés à Saint-André-de-Sangonis, petite ville d’environ 6 000 habitants. Au rez-de-chaussée, la salle de bain, la cuisine et la salle à manger sont partagées avec un couple d’Arméniens et un Bangladeshi, tous aussi demandeurs d’asile en attente d’une réponse de l’État français. 

On découvre toutes les nationalités, certains parlent arabe, anglais ou français… on se débrouille comme on peut”, explique Amokrane Tirache qui a d’abord cohabité avec un Congolais et ses trois filles, ainsi qu’avec une famille guinéenne. 

Amokrane Tirache dans sa maison à Saint-André-de-Sangonis. © T.O / Hérault Tribune
Amokrane Tirache dans sa maison à Saint-André-de-Sangonis. © T.O / Hérault Tribune

“Les premiers jours, j’étais stressée” 

Amokrane Tirache est arrivé le 1er avril 2023 à Paris avec sa femme et sa fille, muni d’un visa touristique espagnol dans la poche. “Depuis le début, notre intention était de s’arrêter en France et de ne pas prendre notre correspondance pour Barcelone”, explique l’homme de 52 ans, qui avait essayé à sept reprises d’obtenir le visa français, sans succès. “Mon frère qui militait pour le mouvement d’autodétermination de la Kabilye (MAK) a été assassiné en 2014. Depuis ce drame, pratiquement toute ma famille sauf mon père est partie en France”, explique Amokrane Tirache, qui était lui-même adhérent au MAK et qui a subi beaucoup de pression, jusqu’à craindre de “finir comme son frère”. 

Après quelques semaines à Paris puis un mois à Toulouse, la petite famille algérienne a été envoyée à Saint-André-de-Sangonis. “Les premiers jours, j’étais stressée, c’était un petit village où l’on ne connaissait personne”, se rappelle sa femme, Sabrina Tirache, qui a pris ses marques petit à petit. “Le fait que la ville soit petite, c’est finalement plus facile pour régler nos problèmes car tout est proche”, constate Amokrane Tirache qui est bénévole au Secours populaire de la commune. 

Sa femme, Sabrina prend pour le moment des cours de français quatre fois par semaine à Montpellier. Au total, elle doit faire 400 heures de cours imposées par l’Office français de l’intégration et de l’immigration (OFII). “Je prends un bus à 6h30 du matin, puis un tram puis je dois marcher. C’est un long voyage chaque jour”, décrit Sabrina Tirache sans se plaindre pour autant. Diplômée en couture et en pâtisserie, elle espère bientôt valider ses cours pour pouvoir trouver un emploi dans le ménage. Amokrane Tirache, lui, s’est inscrit à France Travail.

On est content de son travail, on a fait un pot de départ et on lui a donné un peu de sous pour sa nouvelle vie”, explique Éric, membre du Secours populaire au nom de tous les bénévoles de Saint-André-de-Sangonis.

Amokrane Tirache devant sa maison à Saint-André-de-Sangonis. © T.O / Hérault Tribune
Amokrane Tirache devant sa maison à Saint-André-de-Sangonis. © T.O / Hérault Tribune

Une intégration fastidieuse 

Mais l’intégration n’est pas toujours aussi fluide. Le 20 décembre au matin, Sylvain Mathieu a installé une famille de Guinéens avec trois enfants, dont un bébé d’un mois, qui a d’abord refusé d’emménager dans le logement proposé à Saint-André-de-Sangonis. “La chambre des enfants et des parents n’était pas au même étage, ils trouvaient cela dangereux pour les petits”, explique le travailleur social. Malheureusement, ils n’ont pas vraiment le choix. Décliner ce logement engendrerait la coupe des allocations pour demandeurs d’asile (ADA). 

Mais la principale difficulté de l’association Adages est de réussir à intégrer ces personnes qui viennent parfois de l’autre bout de la planète et qui se retrouvent catapultés dans de petites villes héraultaises. Car l’accompagnement ne se résume pas uniquement au logement mais aussi à construire leur dossier de demande d’asile, à les aider dans leur parcours de soin ou pour la scolarité des enfants.

De façon générale, ça se passe bien. Mais nous rencontrons du racisme ordinaire au quotidien, comme les professeurs qui passent par nous pour s’adresser à une famille congolaise de peur que les parents ne comprennent rien alors qu’ils sont parfaitement francophones”, explique Sylvain Mathieu. 

En arrivant sur le territoire, il a alors organisé des réunions publiques avec les habitants, les acteurs de la société civile et les élus pour expliquer son travail et décrire le profil des personnes qui seront logées chez eux. “Nous avons déconstruit des croyances comme certains qui disaient qu’ils n’avaient plus accès aux colis alimentaires de la Croix Rouge à cause des demandeurs d’asile alors qu’une seule famille en bénéficiait”, prend pour exemple Sylvain Mathieu. Un dialogue pour fluidifier la communication et l’accueil de ces personnes, aux parcours déjà vulnérables. 

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