Droit : l'intelligence artificielle remplacera-t-elle un jour les professionnels du droit ?
En février prochain aux États-Unis, un individu va être assisté pour sa défense lors de son procès par une Intelligence artificielle (IA). La rédaction s’en entretenue avec Maître Marie-Isabelle Guérin, Conseillère de l’Ordre des Avocats de Montpellier et Présidente de la Commission « Innovation » du Barreau de Montpellier pour savoir si les IA allaient un jour remplacer les avocats ou les juges.
Ce procès concerne un simple excès de vitesse. Cette ‘expérience’ américaine est menée en utilisant un ordinateur dans lequel énormément de données ont été intégrées, dont des jurisprudences. L’automobiliste sera guidé avec une oreillette par l’IA en fonction de ce qui sera dit dans le tribunal lors de l’audience. Il n’y aura donc aucun robot en robe noire en train de plaider. Mais cette expérience où l’enjeu est limité pose des questions sur l’avenir du droit et les futurs rôles potentiels de l’IA au sein de la justice. Maître Guérin nous livre son point de vue.
L’Intelligence artificielle déjà utilisée en France
« L’intelligence artificielle est déjà utilisée dans le cadre d’activités juridiques. Dans la recherche de jurisprudence et dans la gestion des contrats, il y a déjà des ‘Légal Tech’ qui se sont penchées sur la question. Ils ont optimisé les décisions de jurisprudence avec l’intelligence artificielle pour comparer les décisions de justice », explique Maître Guérin.
Dans la gestion des contrats, cela concerne notamment leur rédaction : « cela se fait déjà en France d’utiliser l’IA pour rédiger des contrats. En fait l’utilisation de cette IA est faite pour gagner du temps et simplifier le travail. Il s’agit d’optimiser le temps et s’en libérer pour travailler différemment et se concentrer intellectuellement sur les choses qui ne peuvent pas être automatisées », complète l’avocate.
L’attente du justiciable
« Le particulier, l’utilisateur ou le justiciable attend avant tout d’être entendu et écouté. Aujourd’hui, c’est ce qu’il nous manque à l’heure actuelle du temps pour accueillir le mieux possible les justiciables, de pouvoir leur apporter de l’écoute et de l’attention afin de les accompagner de façon personnalisée. Et cela ne peut pas être fait par une IA. Nous avons besoin d’avoir le temps nécessaire pour écouter les gens et traiter leur dossier, les accompagner au mieux », continue Maître Guérin.
« L’IA ne peut pas répondre à l’émotion lorsque vous êtes en relation avec quelqu’un, lors d’une audience ou en rendez-vous. Si vous avez un traitement automatique d’une sanction, par exemple les procès-verbaux de stationnement par caméras, cela peut paraître très injuste. Si vous vous arrêtez 2 minutes pour acheter votre pain à la boulangerie, si vous avez un interlocuteur à qui vous expliquez, cela se passe ‘bien’, il peut y avoir une compréhension, une tolérance qui satisfait tout le monde. Mais avec l’IA, quand tout est automatisé, il n’y a plus cette relation personnelle et c’est extrêmement grave, car la sanction, le choix de la décision est complètement déshumanisé, c’est de l’automatique sans prise en compte de la personne. En matière pénale ou familiale, ce qui est pris en compte c’est la personnalité, la situation, les antécédents, on prend en compte la globalité des éléments sur la personne. L’IA ne peut pas faire cette réflexion et on perdrait tout le caractère humain de la justice si on automatisait les décisions avec cet outil ».
L’IA est un outil, une aide à la prise de décision
Donc l’intelligence artificielle est un outil facilitateur de travail et permettant de gagner du temps pour le concentrer sur l’essentiel, c’est comme un outil de veille très poussé et très spécialisé qui analyse des millions de données pour en ressortir des éléments utilisables ensuite par les avocats. « C’est un outil qui fait gagner du temps sur les tâches qui peuvent être automatisées. Cela peut permettre en matière de jurisprudence, face à un problème chiffrable, d’avoir un retour des décisions rendues précédemment. Cela peut permettre un apprentissage plus rapide sur certaines problématiques. Et surtout, cela nous libère du temps à passer avec nos clients. Ce n’est pas un gadget, car cela fait accélérer certaines utilisations », complète l’avocate. Elle compare cette utilisation aux avancées qu’il y a pu y avoir en matière de comptabilité : « l’IA va directement saisir les éléments chiffrés du relevé de banque par exemple et les intégrer dans le logiciel de comptabilité ». L’IA est donc un outil technologique comme un autre qui soulage les professionnels du droit et libère du temps pour la réflexion et l’accompagnement.
L’IA ne peut pas se substituer à une justice humaine
Chaque situation justiciable est unique, rien n’est simple, beaucoup de choses et d’éléments rentrent en compte et l’IA ne peut pas gérer cela. « Je ne crois pas que la justice en l’état en France puisse arriver à ce stade là. À l’heure actuelle, les États généraux de la Justice ont mis en valeur le fait que nous avions besoin de personnel pour pouvoir traiter les dossiers avec une appréciation personnelle. La justice est une prise de décision en équité et en droit. Donc nous avons besoin de plusieurs éléments, de beaucoup d’éléments, sur la vie des gens, des circonstances : un faisceau d’indices. La Justice doit également avoir un côté empathique, les avocats comme les juges. Tout cela, l’intelligence artificielle ne le fera jamais, c’est impossible », explique Maître Guérin.
L’avocate fait une comparaison avec la solution Alexa d’Amazon : « vous lui parlez, elle vous répond. Mais si votre question est subtile, ou si vous mettez de l’humour dans votre question, elle ne saura pas vous répondre. Cela reste des réponses basiques et détachées de toute subtilité humaine. Donc l’IA dans le droit va vous fournir des éléments, mais il y aura toujours un juriste qui va prendre la meilleure solution, qui va optimiser la décision et faire le choix de l’action. Il va savoir ce qu’il faut faire avec ces données que nous sommes arrivés à collecter grâce à l’IA ».
D’ailleurs, la médiation est en ce moment ce vers quoi les choses tendent : « la médiation, c’est l’écoute. Nous essayons d’écouter pour amener les gens à réfléchir sur les décisions qui vont être prises. Je ne vois pas ce que viendrait faire l’IA là-dedans. Elle doit rester un outil qui apporte une plus-value à notre travail, ce sont des données mathématiques pour réaliser des barèmes d’indemnisation par exemple, mais on en garde la maîtrise », conclut Maître Guérin.