Entreprises : la limite s'estompe entre mécénat et RSE
Les entreprises s'engagent-elles au titre de la RSE, responsabilité sociétale de l'entreprise, ou du mécénat ? La frontière devient floue entre les deux démarches. Au bénéfice d'une plus grande cohérence, mais aussi avec le risque de délaisser certaines causes...
De plus en plus, volontairement ou sous la contrainte de la loi, les entreprises s’investissent dans des missions qui dépassent leur seul objet économique. Le statut d’entreprise à mission, défini par la loi Pacte de 2019, et le mécénat encadrent les démarches volontaires. Mais la RSE, Responsabilité sociétale d’entreprise, s’impose aux sociétés qui dépassent les seuils de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et 500 salariés… Dans ce cadre complexe, comment agissent les entreprises, qui combinent les deux approches ? Se dirige-t-on « vers la généralisation de l’alignement RSE/mécénat ? ». La question a fait l’objet d’une table ronde, le 12 octobre, dans le cadre du Forum annuel d’Admical, association qui réunit quelque 200 entreprises mécènes.
Premier constat, ce phénomène est effectivement en train se réaliser. Il se traduit par une structuration dans les entreprises, ont confirmé les 4 intervenants, aux profils pourtant très différents. « Aujourd’hui, cette question traverse toutes les organisations qui déploient des démarches de mécénat et de RSE. Le sujet est crucial en matière de lisibilité des actions. Souvent, pour les bénéficiaires, il n’est pas facile de les distinguer », confirme Arthur Toscan du Plantier, directeur de la stratégie RSE, mécénat et communication pour Emerige. Chez ce spécialiste de l’immobilier, équipé d’un fonds de dotation, RSE et mécénat sont tous deux liés à la direction de la stratégie de l’entreprise.
Même tendance chez Evolem, family office spécialiste de l’investissement dans des entreprises durables. Dès l’origine, le fondateur de l’entreprise, Bruno Rousset, a visé des enjeux sociétaux. Et depuis janvier dernier, une équipe de 4 personnes est chargée de la politique RSE de l’entreprise et du pilotage du mécénat. « Il s’agit d’avoir une vision stratégique, de ne pas faire de bricolage », explique Ségolène de Montgolfier, directrice RSE de la société. Cette structuration est le fruit d’une évolution progressive. La société a initié une démarche de mécénat en créant un fonds de dotation en 2014. En parallèle, Evolem a déployé une politique de RSE « au fil de l’eau, en lien avec la philanthropie », ajoute Ségolène de Montgolfier. Entre les deux démarches, existait déjà un pont : le mécénat de compétences.
Faut-il se concentrer sur un même sujet ?
La démarche du groupe M6 va dans le même sens d’une convergence entre les deux démarches, mais questionne une autre facette du sujet : faut-il soutenir des causes en rapport avec l’objet de l’entreprise ? La fondation du groupe, qui soutient des projets concernant l’univers carcéral depuis douze ans, préexiste à la politique RSE de l’entreprise. Mais en 2020, une direction de l’engagement a été mise sur pied, chargée de la politique RSE et de la fondation. « Nous avons des méthodologies assez similaires pour les deux sujets, même si les positionnements sont très différents puisque le but de la fondation n’est pas lié à l’activité du groupe », explique Isabelle Verrecchia, déléguée générale de la Fondation et directrice de l’engagement du Groupe M6. La séparation des sujets est même érigée en principe : la fondation a exclu de son champ le soutien à des projets audiovisuels sur le thème carcéral.
C’est tout l’inverse chez Identicar, spécialiste des garanties et services automobiles. Les projets accompagnés dans le cadre du mécénat et l’activité de l’entreprise sont volontairement liés, voire se confondent... Au départ, « il y a quatre ans, nous sommes partis avec un fonctionnement séparé entre la RSE et le mécénat, en créant une fondation. La PME faisait du business et la fondation, de la philanthropie », expose Olivia Féré, déléguée générale de la Fondation Identicar, qui se consacre à la « mobilité solidaire » (par exemple, dans le cadre de l’insertion professionnelle). Depuis, les démarches ont en quelque sorte fusionné. La « mobilité solidaire » est devenue « un axe stratégique de l’entreprise. Nous le traitons comme les autres projets, avec le même professionnalisme », détaille Olivia Féré : une équipe de 4 personnes élabore des offres « non profit » et travaille avec des associations identifiées dans le cadre de la fondation.
Efficacité accrue et causes oubliées
La démarche d’Identicar découle d’un souci d’efficacité, car elle permet de « combiner plusieurs leviers », explique Olivia Féré. « Nous avons choisi de lier la cause soutenue par la fondation et le cœur du business, car en philanthropie, on apporte de l’argent. Or, en tant que PME, nous ne disposons pas d’un budget énorme. Alors, pour optimiser notre soutien financier, nous le combinons avec d’autres actions : nous apportons de la compétence, notre réseau... ». Par exemple, Identicar pourra aider un loueur solidaire, accompagné dans le cadre de sa fondation, à trouver un assureur aux tarifs abordables…
Autre regard, celui du groupe M6, qui souligne l’intérêt et les difficultés à dissocier les thématiques. Comme un rappel à la spécificité des démarches, RSE et mécénat. « Le mécénat peut permettre de faire un pas de côté par rapport à l’activité de l’entreprise, et d’aller vers des sujets où l’on n’est pas attendu. Au départ, nous avons été interrogés sur notre légitimité. C’était une difficulté, mais aujourd’hui, nous sommes identifiés comme un acteur sur le sujet. Le mécénat permet d’être un laboratoire d’expérimentations, alors que la RSE est liée à la performance. Elle accompagne des changements en intern . (..). Toutefois, cette fondation contribue à la performance, via la fierté d’appartenance à une entreprise qui a fait ce pas de côté », analyse Isabelle Verrecchia.
Pour Ségolène de Montgolfier, aussi, il demeure une distinction de nature entre RSE et mécénat. « La RSE a une dimension moins libre, car elle va aller questionner les pratiques des métiers. Le mécénat, en revanche, n’a pas forcément vocation à être lié au business ».
A ce titre, souligne Arthur Toscan du Plantier, l’alignement trop strict entre mécénat et RSE comporte un risque : celui des potentielles « causes oubliées », car ne correspondant pas à la problématique interne des entreprises…