Exposition : immersion dans le monde des fake news
Dangereuses, fascinantes et omniprésentes, les fake news constituent aujourd’hui un phénomène sociétal majeur dans un monde où la moitié de l'humanité a adopté les réseaux sociaux. Décryptage, dans l'exposition "Fake news, Art, Fiction, Mensonge", à la Fondation EDF.
« Des hélicoptères vont répandre des produits chimiques dans les rues pour éradiquer le nouveau coronavirus ». Le 15 mars 2020, la rumeur point au Guatemala. Cinq jours plus tard, après être passée par plusieurs pays, dont l’Espagne, l’Inde et l’Argentine, elle rejoint l’Allemagne. Et enfin, le 2 avril, au terme de ses pérégrinations à travers la planète, elle termine sa course en Colombie… Sur la carte du monde affichée au mur, des points s’allument successivement, retraçant le parcours de « cinq fake news autour de la pandémie ». C’est le résultat d’une étude réalisée par Poynter Institute de Saint Petersburg, Floride, et présentée dans le cadre de l’ exposition « Fake news, Art, Fiction, Mensonge », qui se tient à l’Espace Fondation EDF, à Paris, jusqu’au 30 janvier prochain.
Plusieurs autres œuvres y sont exposées, qui témoignent du fait que la pandémie a constitué un terrain favorable au phénomène des fake news. Comme les saynètes de Pierre Kroll, dessinateur belge, qui en illustrent une vingtaine : “Les éoliennes propagent le virus“, “ La banane protège du virus”, “La CIA a lancé l’épidémie pour isoler la Chine“…
Mais les fake news sont loin d’avoir attendu la pandémie pour proliférer. Et elles constituent un enjeu complexe et crucial pour nos sociétés, comme le démontre l’exposition. Laquelle fait intervenir des artistes et des chercheurs du monde entier pour explorer les diverses facettes de ce phénomène. Comment fabrique-t-on une fake news ? Pourquoi se diffusent-elles si vite? Quel rôle jouent les réseaux sociaux ? Quelles sont leurs conséquences et comment s’en prémunir ?…
D’où vient l’expression “fake news” ?
C’est à la fin des années 90 que l’expression fake news (fausse nouvelle, en français) est apparue aux États-Unis. Une pratique qui fait appel à des techniques de falsification de plus en plus sophistiquées, aboutissant à des résultats où la tromperie est de moins en moins décelable. Exemple avec « Big data » (2019), une vidéo réalisée par les Américains Bill Posters et David Howe : plusieurs personnages publics y professent leur adhésion au système de surveillance des data numériques mis en place outre-Atlantique. « J’ai fait le plus gros casse du siècle et personne n’en a aucune idée », déclare notamment Donald Trump. En réalité, l’ex-président américain n’a jamais tenu ces propos : la vidéo a été manipulée. Il s’agit d’un deepfake, ou hyper truquage, réalisé grâce à l’Intelligence artificielle.
Un film sur les fake news
Toutefois, si la sophistication croissante des technologies a de quoi inquiéter, des moyens très simples peuvent suffire, rappelle un extrait du film Le mystificateur, de Billy Ray (2003). Il relate l’histoire véridique de Stephen Glass, journaliste américain des années 90, qui a contribué au succès du journal New Republic, avant de déclencher un scandale : il avait tout simplement inventé ses scoops !
Ravages sociétaux et liberté
Si le phénomène des fake news suscite autant d’inquiétudes, c’est parce ses conséquences peuvent être dramatiques. Un deepfake, comme celui imaginé par Bill Posters et David Howe, peut avoir des effets dévastateurs dans le monde politique, économique, ou, tout simplement, sur la réputation d’un individu. Pis, en 2016, une fake news a failli déclencher une tuerie de masse, rappelle une vidéo de l’exposition consacrée à l’épisode du « Pizza gate ». Celui-ci se déroule lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Sur le darknet, des rumeurs courent alors selon lesquelles Hillary Clinton, candidate, serait à la tête d’un réseau pédophile. Et lorsque les mails de son directeur de campagne sont rendus publics par Wikileaks, ils sont interprétés suivant ce prisme : la pizzeria de Washington où se réunissent les Démocrates est propulsée quartier général du soi-disant réseau pédophile. La rumeur remonte du darknet pour se diffuser sur les réseaux sociaux. Et le 4 décembre, c’est le drame : un homme, qui a cru à cette fake news, s’engouffre dans la pizzeria, armé d’un fusil d’assaut et ouvre le feu, sans faire de victime.
Au-delà de cet exemple extrême, plusieurs artistes alertent sur les dangers psychiques des fake news, et, plus généralement, de l’addiction aux réseaux sociaux. Comme Kevin Lau, artiste singapourien, qui réalise des dessins numériques imprimés inspirés du Pop Art. Un « like » fait office d’appât positionné dans un piège à souris, dans son œuvre « Piégé » (2017)… De fait, fake news et réseaux sociaux, (qui sont utilisés par plus de la moitié de la planète) sont indissociablement liés. C’est ce qu’explique Laurent Bigot, directeur de l’École publique de Journalisme de Tours, dans une vidéo : à la base, les réseaux sociaux se fondent sur le partage d’informations, « qu’elles soient fausses ou qu’elles soient vraies », précise Laurent Bigot. Il est vrai que les divers Facebook ou Twitter ont mis en place des dispositifs pour lutter contre les fake news (vérification des données, suppression de comptes, comme celui de Donald Trump). Toutefois, pour Laurent Bigot, il s’agit d’un « double jeu » : ces garde-fous sont d’une ampleur insuffisante. Et surtout, le cœur du dispositif, les fonctions de partage et de commentaires, ne sont pas remises en cause… Mais est-ce réellement souhaitable ? Ne serait-ce pas un retour de la censure ? Dans les années 2010, la démocratisation des réseaux sociaux s’est aussi révélée un outil de la libération de la parole sans précédents, notamment lors des printemps arabes…
« #NotiTweety 2.0 »(2020), une œuvre poétique de Encoreunestp souligne cette dimension : 14 « oiseaux » de Twitter y sont enfermés dans des cages… A quelques pas de là, le visiteur est invité à entrer dans une pièce obscure, pour participer à un karaoké aux accents ironiques, « le Poinçonneur de l’IA », de Filipe Vilas-Boas(2020). Cette parodie de la célèbre chanson de Serge Gainsbourg, « Le poinçonneur des Lilas », pointe une autre réalité : celle du micro-travail indispensable au fonctionnement économique des réseaux sociaux. « Des petits clics, des petits clics, toujours des petits clics. Il y a de quoi devenir dingue... » . Un refrain qui acquiert un double sens…
La Fondation EDF questionne l’avenir
Sis au cœur de la Capitale (6, rue Juliette Récamier 75007), l’espace de la Fondation groupe EDF, s’est fixé comme objectif de questionner l’actualité au croisement de l’art, de la science et de l’environnement. Elle organise des expositions qui conjuguent œuvres d’artistes et propos de chercheurs. Depuis 1990, plus d’un million de visiteurs s’y sont rendus.