Figures singulières : des portraits qui visent à "lutter contre le stéréotype des néo-Sétois"
Le deuxième tome du livre “Figures singulières, 25 portraits de Sétois d’aujourd’hui” sera présenté ce samedi 18 janvier à 11h au Bar du Plateau à Sète en présence de l’auteur, Laurent Cachard. Des portraits “psychologisants”, selon l’auteur. Interview.
Écrivain et ancien professeur de philosophie et de lettres au lycée de la Mer à Sète, Laurent Cachard s’est lancé dans un ambitieux projet : rédiger les portraits des “figures singulières” de Sète. L’homme de 56 ans, qui a déjà écrit une vingtaine d’ouvrages et dont le premier roman édité date de 2008, a déjà sorti un premier tome en janvier 2024 et sort le deuxième ce samedi 19 janvier 2025. Grand lecteur de la presse, l’auteur originaire de Lyon et habitant à Sète depuis plus de dix ans, explique s’inspirer du portrait publié en dernière page du journal Libération. Assis à la table du café Le Tabary’s, il nous livre les dessous de ce travail de longue haleine.
Hérault Tribune : Vous avez publié principalement des romans ou des essais. Comment en êtes-vous arrivé à vouloir écrire des portraits ?
L.C : J’ai toujours aimé écrire en privé des portraits de proches, de gens que j’avais rencontrés, dont je voulais arrêter l’instant. Une somme de portraits qui fait mon alter-biographie car en écrivant sur les autres, on finit par écrire sur soi. Et sur proposition de Jean-Renaud Cuaz, qui est l’éditeur de l’An Demain, j’ai commencé à faire des portraits de Sétois en 2023. Ils sont longs, ils sont rédigés et distanciés. J’appelle ça “psychologisant”. Quand je rencontre quelqu’un, je fais à la fois la restitution de ce qu’il me dit, de son parcours, mais aussi de ce que je perçois de la personne pendant qu’elle me le dit. Il y a une part d’interprétation, de subjectivité, de mon regard à moi.
Quels sont les profils des gens dont vous faites le portrait ?
Au début, par réflexe, je suis allé vers des Sétois que je connaissais. Comme Bruno Granier, qui est le petit cousin de Georges Brassens et qui est un ami. Ou Eddie Morano, qui est un peintre que j’aimais bien. Et puis assez vite, comme c’est une petite ville, je me suis dit qu’on va me reprocher de faire que les gens que je connais. Donc j’ai commencé à solliciter des personnes. Pour le premier volume, je ne connaissais pas 18 des 25 portraiturés sur 25. Pour le deuxième, je n’en connaissais que deux ou trois. C’est de plus en plus facile de solliciter des gens car le premier tome est déjà sorti et les gens me prennent plus au sérieux.
Et comment vous choisissez ces personnes que vous sollicitez ?
Ce sont des personnes dont j’entends parler. Pour le premier volume, j’ai voulu faire un portrait par quartier. Par exemple, à l’île de Thau, qui est la cité ici, je suis passé par des éducateurs qui m’ont dit d’aller voir Mélissa Berbezier parce que ça valait le coup qu’on parle d’elle. Dans le deuxième volume, j’ai fait le portrait de la marchande de poulets aux halles car je la trouve sympathique, elle est aussi présidente des commerçants des halles. Puis j’ai alterné des gens pas connus avec des gens connus comme le rappeur Demi Portion. Je m’efforce d’équilibrer entre les hommes et les femmes, des personnes de toutes les classes sociales, et d’aller aussi vers des jeunes qui ont 20 ou 24 ans. C’est une sorte de contre-sociologie de la ville de Sète. Par exemple, pour parler des joutes, j’ai choisi de faire le portrait de Louis d’Isernia, qui entre autres a développé les joutes féminines.
Comment se déroulent les entretiens ?
Un entretien, c’est au minimum une heure où je leur fais raconter le rapport à leur histoire, à la vie et à la ville. Parce que le lien entre toutes ces personnes, c’est la ville de Sète. Ce qui signifie que je peux faire des gens qui sont nés à Sète ou des gens qui n’y sont pas nés mais qui y vivent. C’est la polysémie des Sétois d’aujourd’hui. J’ai la volonté de lutter contre le stéréotype des néo-Sétois. Comme en parlant de Rebecca Torres, qui n’est pas née à Sète mais qui a longtemps été la patronne du Bar du Plateau, une institution de la ville.
Et quel est votre processus d’écriture ?
Je fais parler la personne de sa vie, je note tout ce qu’elle me dit. Après, je rentre chez moi et c’est souvent dans la foulée que j’écris le premier jet du portrait. Quelque soit la personne, c’est comme si je faisais des portraits de stars alors que ce sont des gens tout à fait normaux. Je rentre dans l’intimité des gens. Même si ce n’est pas neutre, c’est distancié. J’essaie toujours d’avoir beaucoup de pudeur. Je ne cherche ni scandale ni scoop. Un portrait pour moi, ce sont deux caresses pour un coup de griffe. Ce n’est pas méchant, c’est de l’ironie potache.
Quel est le fil rouge qui vous tient le temps d’un portrait ?
Le fil rouge varie à chacun des portraits. À chaque fois que je rencontre quelqu’un, il y a comme un point de départ qui me permet de me lancer. C’est la façon dont moi j’ai vu la personne et j’en fais ce portrait-là et qui est un véritable portrait littéraire façon XIXème. Dans la démarche, on est dans Stendhal, on est dans Maupassant.
Vous dites que ce travail s’approche de la sociologie. Pourquoi ?
C’est la somme de ces portraits qui est sociologique. L’exercice est littéraire. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup, parce que c’est amené à rester dans l’histoire de la ville, sans prétention aucune. C’est juste quelque chose qui, par la marge, fera date.
Qu’est-ce que ces biographies disent de vous ?
Que je suis un indécrottable romantique, au sens littéral du terme, c’est-à-dire celui qui veut fixer le temps, l’amour, et la mort. C’est l’idée d’avoir le culot d’arrêter le temps.
D’autres tomes sont-ils prévus ?
Avec Jean-Renaud Cuaz, l’éditeur, on s’est mis d’accord pour faire quatre volumes de 25 portraits, avec un supplément à chaque fois. Cela veut dire 104 portraits. Le prochain sortira en janvier 2026, j’ai déjà deux ou trois portraits d’avance. Dès que j’entends parler de quelqu’un qui m’intéresse, je le mets de côté. Par exemple, je voulais faire le portrait d’Edmond Zabal, un bluesman connu qui est décédé en septembre 2024. Comme il a disparu, je me suis tournée vers sa fille, qui est jeune et qui va pouvoir me parler de sa vie mais aussi de son père.
Quels sont vos prochains projets ?
L’année prochaine ou celle d’après, j’aimerais participer au festival de la biographie de Nîmes. Une grande exposition est aussi prévue le 13 juin à la médiathèque François Mitterrand, avec de grands panneaux où seront exposées 60 photos accompagnées d’un extrait du portrait écrit.
Informations pratiques :
Samedi 18 janvier 2025 à 11 heures
Bar du Plateau, 2 rue des 3 journées à Sète
Rencontre en présence de l’auteur et de quelques Figures singulières, animée par Yves Isard. Suivie du verre de l’amitié et dédicace du livre à la vente.