Gratuité des transports : Majorité et opposants en profond désaccord sur le coût réel de la mesure
La gratuité intégrale des transports en commun sur la Métropole de Montpellier sera mise en place le 21 décembre. Alors qu’un panneau de décompte des jours trône sur la place de la Comédie, les opposants à cette mesure estiment toujours n’avoir reçu de la part de la majorité aucun chiffre validé ou étude indépendante sur le coût réel et les conséquences de cette mesure, ce que la Métropole réfute.
Lors de la campagne municipale, la gratuité des transports était la mesure phare de Michaël Delafosse. En 2019, il en estimait le coût à 24 millions d’euros, soit 5% du budget de fonctionnement de la Métropole. Aujourd’hui, le chiffre annoncé par Julie Frêche, vice-présidente de Montpellier Méditerrannée Métropole déléguée aux transports et aux mobilités actives, se situe “entre 30 et 35 millions”.
Mais un rapport de la Chambre Régionale des Comptes (CRC) datant du 24 janvier 2023 annonce un coût de 42 millions d’euros par an : “à terme le coût de la gratuité pourrait représenter 35 millions d’euros de chiffre d’affaires, sur la base d’une hypothèse de perte de 90 % de la recette tarifaire. À ce coût, il conviendra d’ajouter le montant de la TVA […] soit un enjeu financier supplémentaire qui peut être estimé à 7 millions d’euros.”
Une gratuité entre 150 et 160 millions d’euros selon les opposants
Serge Guiseppin est élu d’opposition municipale, conseiller de la Métropole, entrepreneur et proche de Mohed Altrad. S’il n’a pas voté la gratuité, c’est avant tout car “aucune étude n’a été faite concernant l’impact sur la fréquentation du réseau et sur les finances de la métropole”. Il estime que cela va coûter “aux alentours de 160 millions. A la participation habituelle de la Métropole d’environ 80 millions, il faut ajouter 40 millions de perte de chiffres d’affaires et 6,7 millions de TVA qu’il faudra rembourser. On doit aussi ajouter 15 millions d’entretien supplémentaire, de rames supplémentaires et de rémunérations d’employés supplémentaires. Pour la police des transports, qui est indiscutablement liée à la gratuité et à la surcharge de fonctionnement, il convient d’ajouter 20 millions. Nous en sommes déjà à 161,7 millions.”
Pour Abdi El Kandoussi, ancien président de la TAM et président du groupe d’opposition municipale “Montpellier Citoyens”, le problème de la gratuité est “que nous n’avons aucun chiffre”. Fort de son expérience, il s’est donc lui aussi livré à quelques calculs. “En 2020, les recettes (vente de tickets et abonnements) représentaient 40 millions d’euros mais la TAM coûtait 113 millions donc la Métropole lui faisait un chèque de 73 millions. Si on additionne ces 73 millions avec les 42 millions de la CRC, on est déjà à 115 millions auxquels il faut, je pense, ajouter 10 millions pour la hausse du coût de l’énergie ainsi que 20 millions pour le coût de la ligne 5 de tram en fonctionnement et 5 millions pour les bus tram. La TAM va donc coûter 150 millions.”
“Je ne sais pas de quoi ils parlent”, Julie Frêche
“Je ne sais pas de quoi ils parlent, répond Julie Frêche. À moins qu’ils ne lisent pas les documents budgétaires, mais le fonctionnement aujourd’hui du réseau de tramway, c’est 112 millions d’euros. Ce sont les chiffres, ils sont têtus. Donc je ne sais pas de quoi ils parlent. On ne peut pas rajouter le coût de l’énergie au fonctionnement du réseau. Vu que c’est déjà inclus dedans !” Quant au financement de cette gratuité, il sera selon l’élue intégralement couvert par le versement mobilité payé par les entreprises de plus de 11 salariés installées dans la métropole. “Depuis 2020, le nombre d’entreprises sur le territoire a augmenté de 12% faisant ainsi passer les recettes du versement mobilité de 90 millions en 2020 à 113 millions en 2023. La dynamique du versement mobilité couvre donc le coût de la gratuité et contribue à financer entre 85 et 90 % du total des charges d’exploitation du réseau.”
Autre point soulevé par les élus de l’opposition : les conséquences de la gratuité sur le niveau de service du réseau TAM. La Métropole s’attend à une augmentation de 20% de la fréquentation, ce qui selon les opposants signifie plus de volume de fonctionnement donc plus de frais. “Tout ça alors que 63% des gens préfèrent une amélioration du service à la gratuité, selon une étude de la mission d’information du Sénat”, ajoute Serge Guiseppin.
Pour Abdi El Kandoussi, “l’offre va s’en trouver dégradée avec moins de tram et de bus et moins d’amplitude horaire. La gratuité va devoir se faire au dépends de l’entretien quotidien des rames qui seront donc plus sales et il va y avoir des problèmes sur la sécurité du matériel roulant et la sécurité des usagers.” Point sur lequel Serge Guiseppin émet aussi de fortes craintes puisqu’il estime que “nous sommes en grande difficulté sur l’entretien et sur le niveau minimum de sécurité requis”…
“Nous sommes la métropole qui investit le plus pour les mobilités”, Julie Frêche
Totalement faux selon Julie Frêche qui rétorque que “la gratuité des transports est intimement liée à l’augmentation de l’offre de service. C’est la raison pour laquelle nous faisons la ligne 5 de tramway et l’extension de la ligne 1. C’est la raison pour laquelle nous renforçons la fréquence de la ligne 15. C’est la raison pour laquelle nous démarrons pendant ce mandat 5 lignes de bus à haut niveau de service. Nous investissons massivement pour l’augmentation de l’offre de services et si vous rapportez l’investissement que nous faisons sur les mobilités à la population, nous sommes la métropole qui investit le plus pour les mobilités, au cours de ce mandat.”
En conclusion, pour la vice-présidente de la Métropole, la gratuité des transports est le fer de lance d’une stratégie globale sur les mobilités. “On active tout un ensemble de leviers qui concourent tous ensemble, parce qu’ils sont activés en même temps, à répondre à l’urgence climatique, à la transition énergétique, à l’augmentation du pouvoir d’achat, à la redistribution avec des politiques publiques volontaristes, à l’amélioration de la qualité de l’air, à la réduction de la congestion automobile qui depuis le début du mandat, a déjà baissé de 13% dans la métropole. La gratuité des transports, c’est une chose, mais la gratuité des transports ne peut pas suffire à exprimer la stratégie mobilité 2025” lancée par la collectivité.
“Il ne restera que la taxation”, Serge Guiseppin
Les deux opposants s’accordent à dire que la gratuité des transports est “une fausse bonne idée” et selon Serge Guiseppin, “personne ne la demandait”. Le risque est grand, selon eux, de faire augmenter le niveau d’endettement de la Métropole qui “est déjà passé de 4,5 ans à 11 ans, et de 3 à 10 ans pour la Ville”, précise Abdi El Kandoussi. “Je ne comprends pas trop la critique, répond Julie Frêche. Alors on n’ouvre plus de médiathèque ? On ne finance plus le fonctionnement des piscines ? On ne répare plus la voirie ? On ne fait plus les lignes de tramway ? On n’investit plus ?”
“Quand on va constater que la Métropole n’est pas en mesure de payer, les dégâts seront conséquents mais la responsabilité reviendra à la majorité actuelle, insiste l’entrepreneur Guiseppin. Nous ne règlerons en rien le problème écologique et les bouchons dans la ville.”
Pour assainir les comptes de la collectivité, “il va falloir trouver l’argent quelque part, au détriment de qui ?”, se demande l’ancien président de la TAM. “Il ne restera que la taxation”, affirme, comme une réponse, Serge Guiseppin.
Une autre option commence à inquiéter nombre d’élus du territoire, comme le souligne Abdi El Kandoussi, “les maires de la métropole vont devoir mettre la main à la poche”. Alors que certains édiles disent déjà haut et fort vouloir quitter la collectivité, une telle demande de la part de la Métropole pourrait bien mettre le feu aux poudres.