Hérault : le président de l'AMF 34 Frédéric Roig vent debout avec les maires "qui ont envie de se battre"
Le président des maires de l’Hérault (AFM 34) et maire du petit village de Pégairolles-de-l’Escalette dans le Lodévois, Frédéric Roig, défend corps et âme ce mandat qui lui est si cher. Une fonction au service de l’intérêt général malmenée, parfois incomprise, mais essentielle pour renouer le lien entre la République et ses citoyens. Maire, un sport de combat.
Les événements récents à Saint-Brévin mettent en lumière les agressions dont sont victimes de plus en plus de maires et d’élus en France. Avez-vous constaté une augmentation de ces violences dans l’Hérault ?
Frédéric Roig : Il n’y a pas spécialement d’augmentation, c’est malheureusement un phénomène qui est présent depuis une dizaine d’années. On constate des tensions de plus en plus importantes, qui se généralisent auprès d’élus, de conseillers municipaux, d’adjoints et de maires, et certaines se traduisent par des agressions. Il y a eu, récemment, le cas du maire de Pérols et de quelques adjoints du Biterrois. Nous, à l’AMF [Association des maires de France], cela fait quelques années que nous tirons la sonnette d’alarme. On ne demande pas une justice à deux vitesses, mais porter atteinte à une personne dépositaire de l’autorité publique, c’est un délit, pas une incivilité ! Je pense qu’il faudrait augmenter la dureté des sanctions et faire des exemples pour que les personnes soient respectueuses de l’autorité publique […]. Aujourd’hui, on s’aperçoit que des minorités imposent à la majorité leurs choix, notamment par la violence, comme à Saint-Brévin. C’est un phénomène inquiétant du point de vue démocratique.
Comment l’expliquez-vous, ce phénomène ?
F. R. : C’est un processus qui a commencé par se traduire par beaucoup d’abstention aux élections nationales et, petit à petit, ça a touché les élections locales.
Des élections pourtant longtemps préservées de l’abstention, surtout les Municipales…
F. R. : On l’a expliqué en partie par la crise du Covid mais ça avait commencé bien avant. Je pense qu’il y a une situation économique et sociale qui se tend depuis une quinzaine d’années : la crise des subprimes, les attentats, les crises financières, les Gilets jaunes… C’est un processus avec des phénomènes de plus en plus fréquents de revendications. Exemple avec les débats lors du “Mariage pour tous” ou de la loi El Khomri, les ZAD, Notre-Dame-des-Landes, Sivens, Sainte-Soline… Et puis, sous-jacent à tout cela, il y a eu l’avènement des réseaux sociaux. Ils sont devenus des espaces de totale impunité, où circulent tout et n’importe quoi, dans le vrai comme dans le faux. Et puis les difficultés financières font que c’est de plus en plus compliqué pour les élus, qu’ils soient nationaux ou locaux, de répondre aux demandes avec des moyens limités. Les procédures deviennent complexes et augmentent le temps de réaction, ce qui a pour conséquence le mécontentement général des minorités qui radicalisent tous les mouvements.
Avez-vous l’impression que la communication est rompue ?
F. R. : Des fossés se creusent. Et certains disent “le pouvoir est dans la rue”. Le pouvoir dans la rue, c’est la révolution.
Vous trouvez le climat général insurrectionnel ?
F. R. : Effectivement il y a un climat insurrectionnel, entretenu par les extrêmes, de manière populiste et dangereusement. On arrive de plus en plus à des dénis de démocratie et quand on commence à s’attaquer aux institutions, à la chose publique, on entre dans un processus socialement dangereux. Et les maires sont au premier contact.
On dit souvent que les maires sont les élus “à porter de baffes” des électeurs…
F. R. : Voilà. On l’a vu quand il y a eu le Covid et l’histoire des masques. Il fallait organiser, distribuer. [Les maires] étaient là, avec tout ce que cela comportait, ce sont eux qui mettaient en œuvre les directives nationales en étant à proximité, au contact des gens. Ainsi, ce ressenti que j’évoquais, cet état d’esprit, ce climat un peu insurrectionnel, les élus le prennent plein fer. L’exercice du mandat local devient très compliqué.
D’ailleurs, dans l’affaire de Saint-Brévin, certains dénoncent l’abandon des communes par l’Etat. Qu’en pensez-vous ?
F. R. : Je ne sais pas comment répondre à cette question parce que j’ai des exemples où je pourrais dire oui et des contre-exemples […]. Je fais partie des gens qui pensent qu’on pourra retrouver une visibilité démocratique sur le couple maire-préfet. Ce n’est pas utopique ce que je dis. Moi, dans l’Hérault, je travaille très bien avec le corps préfectoral. Il peut cependant y avoir un débat autour des moyens. Est-ce qu’on l’on considère que l’Etat abandonne les collectivités parce que le compte n’y est pas ? C’est toujours un débat contradictoire […]. C’est pour ça que je suis plus mesuré sur la question de l’abandon de l’Etat, c’est plus complexe.
Vous disiez “le mandat de maire devient de plus en plus difficile”. On entend déjà de nombreux maires dire “moi, j’y retourne pas à la prochaine élection. C’était déjà le cas déjà l’élection d’avant. Il y a eu beaucoup d’effet qu’il y a.
F. R. : Il y a, en moyenne, 50 % des maires qui ne se représentent pas dans le département.En 2020, c’était déjà un peu moins de la moitié. Il y a la question des sortants mais aussi celle des candidats…
La crise est double, d’un côté les défections et d’une autre la crise des vocations…
F. R. : Aux dernières élections [municipales] il y avait, en France, trois ou quatre communes sans candidats et un paquet de communes où ils avaient du mal à boucler le nombre de candidats pour faire des listes.
Le mandat de maire était autrefois relativement envié, il semble avoir perdu de sa superbe. Comment l’expliquez-vous ?
F. R. : La complexité des procédures alors que la demande sociale est de plus en plus importante. Le niveau de service ne peut pas être le même dans une métropole que dans une petite commune rurale […]. On a une fiscalité au taquet, les gens n’en peuvent plus, et les impôts ne couvrent pas [les politiques publiques]. De plus, en ce moment, il y a l’augmentation du carburant, des matières premières, de l’électricité… Des dépenses nouvelles dans le budget qui n’étaient pas prévues.
Après, c’est un challenge et moi je fais partie des maires qui ont envie de se battre. Il y a une grande majorité des élus qui continuent de se battre pour leur territoire, pour trouver des solutions, pour lisser les investissements, pour essayer d’expliquer qu’on ne peut pas tout faire tout de suite, et cetera. De travailler sur la citoyenneté, pour essayer de réexpliquer ce que sont le civisme, le suffrage universel, l’intérêt général. Cet esprit de territoire, cet esprit de groupe, il faut le cultiver et essayer de retrouver les chemins du dialogue avec les citoyens, quels que soient les territoires. Essayer d’expliquer le sens des politiques publiques, parfois prendre ses responsabilités sur des choses qui peuvent vous paraître impopulaires, mais qui, dans le temps, vont dans le sens de l’histoire de la planète, de l’histoire du climat.
Pensez-vous que le transfert des compétences des communes vers les intercos favorise ce phénomène de désintérêt pour le mandat de maire ?
F. R. : Non. On déplace les curseurs. Sur toutes les politiques basées sur des logiques de bassin de vie – gestion des risques, éducation, santé, l’eau, etc. – et non des logiques de clocher, le regroupement intercommunal a toute sa pertinence. Après, il ne faut pas tout [mettre] dans la communauté de communes. Si on veut redorer l’action publique, ce n’est pas en s’éloignant des citoyens que l’on y arrivera.
Vous qui êtes maire d’une petite commune, quelles compétences vous reste-t-il pour agir ?
F. R. : Il me reste l’état civil, la voirie, le cadre de vie, le cimetière, la gestion des bâtiments communaux et des équipements. En ce moment, on refait la mairie et notre salle des fêtes parce que c’était une passoire thermique et qu’on avait arrêté de la louer. Le lien social et la proximité auprès des gens de l’écoute, c’est la relation humaine, ça n’a pas de prix.
Et quels sont les enjeux pour les maires en 2023?
F. R. : Pour moi, l’enjeu, c’est la citoyenneté et la santé. L’accès aux soins, c’est quelque chose qui est essentiel, c’est un challenge auquel nous sommes confrontés. Et pourquoi je dis la citoyenneté ? Parce que sur le fronton des mairies il est écrit “Liberté, Egalité, Fraternité”, nous avons visiblement perdu la fraternité vu les tensions et l’ambiance électrique qui règne dans le pays. Quand on ne se parle plus, on ne peut plus se comprendre. Je pense que l’enjeu pour le maire, c’est d’arriver à travailler là dessus. C’est d’ailleurs ce que font la grande majorité des élus.
Qu’est ce que vous diriez à un jeune candidat qui aurait envie de se présenter à la mairie de son village pour l’encourager ?
F. R. : Bravo ! Oui, bravo, c’est ça.
Ce n’est pas forcément encourageant… Il va comprendre que ça ne va pas être facile si vous lui dîtes “bravo” d’entrée de jeu…
F. R. : Si, bravo, parce que consacrer de son temps à l’intérêt général, c’est ce qu’il y a de plus plus chouette pour moi. Je trouve que c’est magique.