Hérault libéré (3/3) : en Résistance, les histoires trop souvent oubliées des héroïnes héraultaises
"L'histoire est écrite par les vainqueurs", certes, mais elle est surtout écrite par les hommes. Si la bravoure des résistants masculins a souvent été érigée en symbole, celle des femmes est longtemps restée dans l’ombre…
Pourtant, à travers leurs actes de courage, elles ont risqué leurs vies, sans arme ni uniforme, pour sauver des enfants, porter secours, transmettre des informations vitales… Ces femmes, dont les noms ornent aujourd’hui quelques rares rues et plaques commémoratives, n’ont jamais reçu la même reconnaissance que leurs homologues masculins. Si certaines, comme Laure Moulin, commencent à sortir de l’ombre, beaucoup d’autres continuent d’être ignorées ou sont une mention muette au panthéon de ceux qui ont libéré la France. Dans cette mémoire collective largement masculine, leur héroïsme doit encore trouver ses pages dans les livres d’histoire. Faîtes place aux héroïnes de l’Hérault.
Paulette Fouchard-Ayot
Héroïne méconnue de la Résistance, Paulette Fouchard-Ayot incarne la force tranquille des femmes qui, durant la Seconde Guerre mondiale, ont œuvré dans l’ombre pour libérer la France. Née en 1920 dans le Loiret, Paulette est d’abord mécanographe aux Galeries Lafayette à Paris, mais la guerre bouleverse sa vie. Après l’exode, elle retourne dans la capitale occupée, où elle rencontre Albert Ayot, inspecteur et résistant du réseau Plutus. Ensemble, ils rejoignent Libération Nord, un réseau clandestin. Sous les noms de guerre “Poulet” et “Corbeau”, Paulette devient agent de liaison, portant lettres, faux-papiers, armes et argent au péril de sa vie. Entre 1942 et la Libération, elle franchit plusieurs fois la ligne de démarcation, son fils à la main, défiant l’ennemi avec un courage sans faille. Elle assiste à des parachutages d’armes sur le plateau d’Assy et traverse une France en ruines pour soutenir la lutte clandestine. Fervente militante de la cause féminine, Paulette se battra jusqu’à ses derniers jours pour que le rôle des femmes dans la Résistance soit pleinement reconnu. Décédée à l’âge de 100 ans à Saint-André de Sangonis dans l’Hérault où elle résidait depuis plusieurs années, elle passera le reste de sa vie à témoigner avec ferveur auprès des jeunes générations.
Simone Demangel
Dès les premières heures de la Seconde Guerre mondiale, alors que la majorité de la population soutenait encore le régime de Vichy, Simone Demangel, alias “Pauline”, prit la décision de combattre l’oppression. Mère de trois filles et étudiante en médecine à Montpellier, elle rejoint secrètement la Résistance, cachant chez elle des réfugiés anti-nazis, notamment des familles juives, et fabriquant des faux papiers pour leur permettre de fuir en Espagne. Consciente du danger omniprésent et avec une audace remarquable, elle dérobe des tampons officiels à la mairie de Montpellier pour créer des identités fictives dans des villes dont les archives avaient été détruites, rendant impossible toute vérification. En tant que “facteur”, elle assure aussi la liaison entre Montpellier et Clermont-l’Hérault et transmet les ordres des chefs de réseau, les dissimulant dans le guidon de son vélo. Arrêtée plusieurs fois, elle fut démasquée en 1943 par la Gestapo. Obligée de fuir, elle envoya ses filles à Paris avant de rejoindre le maquis “Léon” près de Lodève, où elle continua à lutter. En 1944, elle organise puis commande les auxiliaires féminines de l’Armée de Terre de 16e région et elle participera, les armes à la main, à la libération de Montpellier. Elle recevra, dès la fin de la guerre, la Légion d’honneur des mains du Général de Lattre de Tassigny. Après la guerre, en 1945, Simone Demangel est l’une des toutes premières femmes, avec Laure Moulin (sœur de Jean Moulin), Héloïse Brun-Dumesnil et Marguerite Labraque-Bordenave, à entrer au Conseil municipal de Montpellier, la seule à recevoir une délégation. Tout au long de sa vie, elle milita activement pour les droits des femmes, notamment à l’instauration du droit de vote pour les femmes en France. Elle créa également l’association “Le Nid”, dédiée à la réinsertion des prostituées, et invita l’Abbé Pierre à fonder une communauté des Compagnons d’Emmaüs dans l’Hérault pour aider les plus démunis. Elle terminera ses jours au Château d’Assas, sur les hauteurs de Montpellier, où ses descendants continuent de raconter son histoire. Décédée le 8 mars 1995 à Castelnau-le-Lez, elle laisse derrière elle un héritage de courage et d’altruisme.
Ginette Jullian
Née le 8 décembre 1917 à Montpellier, Ginette Jullian s’engagea dans la lutte dès le début de l’Occupation. Elle quitte ainsi la France avec son fiancé, Philippe de Scitivaux, pour rejoindre l’Angleterre. Tandis que Philippe devint pilote dans les Forces françaises libres, Ginette choisit un chemin tout aussi périlleux : elle se forma à la radio-transmission au sein du BCRA et du SOE britannique, deux organisations clandestines dédiées à la libération de la France. Sous le nom de guerre “Janistress”, Ginette fut parachutée en France dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, dans le cadre de l’opération Ventriloquist. Déposée près de Saint-Viatre, en Loir-et-Cher, avec d’autres agents, elle devint opératrice radio pour la Résistance, diffusant et recevant des messages impératifs entre Londres et les maquisards français. En seulement un mois, elle envoya 67 messages et en reçut 52, un exploit quand on sait que son travail était d’une dangerosité extrême. Elle devint le principal lien entre les forces alliées à Londres et les groupes de résistants en France, et facilita des parachutages d’armes et de fournitures vitales, même lorsque les coupures d’électricité rendaient les émissions difficiles. Bouilloire sous pression, vélo, tous les moyens sont bons pour obtenir les 25 à 30 ampères-jour. Après l’arrestation de Pierre July, chef du groupe de Dreux, Ginette dut intensifier ses déplacements pour échapper aux Allemands, opérant sans cesse dans l’Eure-et-Loir et évitant de peu plusieurs tentatives de repérage. Après la guerre, Ginette épousa Philippe de Scitivaux en 1945, mais leur histoire prit une tournure tragique lorsqu’elle décéda à l’âge de 44 ans dans un accident de plongée à Tahiti en 1962.
Thérèse Nichterwitz
Thérèse Nichterwitz, née Thérèze Terraza en 1908 à Molinos (Espagne), est arrivée en France dans les années 1920. C’est en 1928, à Soubès, qu’elle épouse Robert Nichterwitz, acquérant ainsi la nationalité française. Durant la guerre, Thérèse travaille comme concierge à la préfecture de l’Hérault, où son mari occupe un poste d’huissier. Mais derrière ce rôle ordinaire, se cache une femme extraordinaire. En 1941, elle entre en résistance, rejoignant les réseaux “Liberté”, “Combat”, puis “NAP” (Noyautage des Administrations Publiques) au sein des Mouvements Unis de la Résistance (le “M.U.R”). Dès lors, elle devient un agent de diffusion et une agente de liaison clé pour ces réseaux clandestins. Elle fait de son domicile, situé au cœur de la Préfecture de l’Hérault, une boîte aux lettres secrète, un lieu de refuge pour les résistants et un centre de réunion pour les responsables des réseaux NAP et MUR. Avec une bravoure indéfectible, elle organise une cache d’armes dans un local près de chez elle et assure des transports d’armes, de munitions, ainsi que la diffusion de tracts et journaux clandestins. Ses actions la mettent en contact avec les grands chefs de la Résistance, comme Ferdinand Paloc, Jacques Renouvin, et Marceau Gitard. Mais le 11 janvier 1944, sur dénonciation, elle est arrêtée par les autorités allemandes. Malgré les interrogatoires brutaux qu’elle subit, Thérèse refuse de trahir ses camarades. Ce courage lui coûte cher : après avoir été internée à Montpellier, puis à Romainville, elle est déportée en Allemagne, d’abord à Ravensbrück puis à Sachsenhausen. La déportation laisse des traces indélébiles sur sa santé, mais elle ne flanche pas. Libérée par les Russes en mai 1945, elle revient en France marquée physiquement, mais honorée pour son engagement. Pour ses actions héroïques, elle est décorée de plusieurs distinctions, dont le titre de chevalier de la Légion d’honneur. Elle décède le 17 octobre 1974 à Montpellier.
Sabine Zlatin
Sabine Zlatin naît en 1907 dans une famille juive polonaise, dans un climat de forte antisémite. En 1925, elle quitte cette atmosphère oppressante pour la France, où elle s’installe à Nancy et épouse Miron, un juif russe. En 1928, le couple s’établit dans une ferme près de Lille et obtient la nationalité française en 1939, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Infirmière de profession, Sabine se reconvertit en assistante sociale pour l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) après que les lois de Vichy interdisent son métier. En 1940, alors que les Allemands occupent le nord de la France, Sabine et Miron trouvent refuge à Montpellier, dans la zone libre. En 1942, Sabine intensifie ses efforts pour aider les familles réfugiées dans les camps d’internement. En mai 1943, elle établit, avec l’aide du sous-préfet Pierre-Marcel Wiltzer, une colonie à Izieu, dans l’Ain. Pendant un an, cette colonie devient un havre pour une centaine d’enfants juifs, protégés et éduqués dans un climat de sécurité relatif. Cependant, en septembre 1943, le retrait des Italiens laisse la zone sous contrôle allemand. La situation devient précaire, et en mars 1944, Sabine retourne à Montpellier pour élaborer un plan de repli. Le 6 avril 1944, la Gestapo de Lyon, dirigée par Klaus Barbie, arrête les enfants et les éducateurs de la colonie. Miron est parmi les arrêtés, et la majorité des détenus sont déportés à Auschwitz. Trois jours après cette rafle tragique, elle retourne à Izieu pour récupérer les lettres et dessins des enfants, accomplissant ainsi un premier acte de mémoire. Après la libération, elle contribue à l’accueil des déportés à l’Hôtel Lutetia à Paris, où elle apprend la perte de son mari et des enfants de la colonie. Déterminée à préserver leur mémoire, elle sollicite le Préfet de l’Ain et organise, en avril 1946, l’une des premières cérémonies commémoratives à Izieu. Des années plus tard, en 1987, elle témoignera au procès de Klaus Barbie, le “boucher de Lyon”.