Société — Département Hérault

Hérault : quand le loup arrive, les éleveurs frémissent

Alors que son avenir se joue aujourd'hui, mardi 3 décembre, au sein de l'Union Européenne à Strasbourg, le loup soulève chez les éleveurs d’ovins héraultais de vives tensions. Souffrance psychologique, problème économique et manque de considération… Que pensent les éleveurs réellement ? Reportage.

Qu’est-ce qu’on fait, est-ce qu’on protège les éleveurs ou on protège le loup ?” Interroge François, jeune éleveur d’ovins dans l’Hérault. En une question, ce dernier soulève un débat sous haute tension alors que l’avenir du loup se joue aujourd’hui, mardi 3 décembre, à Strasbourg (1). Tant, que plusieurs éleveurs du département interrogés n’ont pas voulu répondre à nos questions. En 2021, la direction départementale du territoire et de la mer avait identifié la présence de trois loups, dans l’Hérault et notamment à Caroux, au Larzac et Somail. Et désormais ? Le prédateur rode de plus en plus, 15 attaques sont attribuées au loup en 2023. Et ce dernier s’aventure plus près de l’Homme.

Du moins, c’est ce que pensent les éleveurs d’ovins héraultais. En attendant, un canis lupus a été aperçu en plein jour à 300 m d’un village au nord-est de Lodève le 22 octobre 2024. “L’expansion, on la voit, confirme François. La dynamique de reconquête de l’espace par le loup est quand même assez positive, mais on ne vous dira jamais si c’est lui à 100%, on vous dira “présence du loup non écarté”, mais il y a des indices : des caméras, des relevés de poils, de crottes et d’ADN”, explique-t-il.

Des aides pour soutenir les éleveurs victimes de prédation sont disponibles, mais évoluent en fonction des lieux. “Il y a le cercle 1, le cercle 2, le cercle 3. Quand on est en cercle 1, c’est qu’on est farci de loups. En cercle 3, on a droit à certaines aides, mais la commune d’à côté par exemple, qui n’est pas considérée comme cercle 3, elle n’y aura pas droit”, indique Morgane Bara, éleveuse de chèvre et porte-parole du comité départemental de la Confédération Paysanne.

Une souffrance économique

Celle-ci a déjà subi une attaque sur une de ses chèvres. En conséquence, elle a été indemnisée à hauteur de 1000€. Un chiffre supérieur au prix du marché pour un animal de cette espèce, mais toujours inférieure à ce qu’elle aurait pu générer comme valeur. “Si on rapportait à ce qu’elle aurait pré-produit comme lait dans l’année, au fait qu’elle était gestante, prêt à mettre bas et qu’elle aurait fait une année de lactation, ce n’est pas suffisant. 1000€, c’est l’équivalent d’un an de sa production.” Située à Mons-la-Trivalle, une éleveuse de la ferme des trois vallées ajoute : “une chèvre laitière est productrice à partir de 3-4 ans. Si je perds mes chèvres productrices, je repars avec deux ans de chèvres qui ne produisent pas”, souligne-t-elle.

Des solutions de protections existent, mais François est mitigé : “Il faut des patous mais moi, je suis à 25 minutes de Montpellier, au pied du Pic Saint-Loup, site très touristique. Aujourd’hui, je ne peux pas me permettre d’avoir des chaînes de protection avec tous les problèmes de fréquentation, de cohabitation que ça demande.”

En attendant, la ferme des trois vallées n’a pas attendu la venue du Canis lupus pour se protéger. Dès la création de sa ferme, elle a immédiatement pris des précautions : ”Il vaut mieux payer au démarrage pour se protéger et pas attendre que quelque chose arrive.” L’exploitation est ainsi protégée par 2,5 mètres de grillage électrique et des chaînes de protections. Les animaux sont enfermés la nuit. L’après-midi, elle garde son troupeau… Des précautions qu’elle a mise en place, mais qui ne sont pas remboursées.

Une souffrance psychologique

Des pertes dû à des attaques qui touchent très profondément les éleveurs. C’est une souffrance psychologique : “Quand j’ai une brebis qui ne va pas bien ou malheureusement quand la nature fait que j’ai une brebis qui canne, ça ne me fait pas plaisir. Mais là, le problème, c’est que ce n’est pas de ma responsabilité. Ce n’est pas parce que je l’ai mal élevée, ou que je n’ai pas pris soin d’elle, non. C’est parce qu’il y a quelque chose d’extérieur qui est venu. Ce qui est dur, c’est que nos brebis ne sont jamais tuées net, c’est à nous d’abréger ces souffrances, c’est assez traumatisant”, explique François.

Un sentiment d’impuissance ressenti, et aussi d’être incompris par le département. “On a reconnu officiellement la présence de loups sur nos territoires qu’une fois que les éleveurs eux-mêmes ont détenu des photos de loups pris par leur piège personnel, et que l’information a fuité comme quoi, on avait des photos, explique Morgane. C’est à ce moment-là que les premières attaques ont été reconnues comme prédation lourde, alors que sur les précédentes, on avait affaire à une certaine mauvaise foi”, s’énerve-t-elle.

Une dualité sociétale

Il y a une vraie dichotomie”, explique Morgane Bara, en parlant de la relation avec la société civile dont il se sente également incompris. Préoccupés par la recrudescence des attaques du prédateur dans l’Hérault, les éleveurs souffrent du manque de considération par la société. Elle poursuit : “On a une partie de la société qui tient à l’élevage pastoral : à pouvoir voir des moutons quand ils se promènent, à conserver le paysage traditionnel du Larzac, mais qui est aussi très heureuse du retour du loup. Or, sans pâturage, le paysage redeviendra de la forêt. Il maintient des milieux ouverts dans lesquels des espèces excessivement rares survivent. Il y a des tas de petits insectes et de petites plantes qui n’existent que là et qui sont, eux aussi, sur des listes rouge écarlate en danger d’extinction. Si on cesse de pâturer, ils disparaissent. Mais quand c’est une petite limace parasite d’une fourmi, c’est vachement moins médiatique et charismatique que les loups”, conclut-elle.

(1) L’Europe pourrait revoir le niveau de protection du loup et ainsi faciliter son abattage. C’est en tout cas la question qu’examinent, ce mardi 3 décembre, à Strasbourg, les pays signataires de la Convention de Berne. Signé en 1979, ce document vise à assurer la protection des espèces sauvages en spécifiant la liste des espèces protégées mais aussi leur statut de protection. Face à l’augmentation des populations lupines sur son territoire, l’Union Européenne entend assouplir le cadre législatif qui régit la chasse du loup.

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