Hérault : rompre le cycle de la violence conjugale, la prise en charge des auteurs
L’association Via Voltaire est engagée depuis près de 20 ans sur la question des violences conjugales. Alors que la prise en charge des victimes est plus instituée, elle fait partie des rares acteurs de l’Hérault à organiser celle des auteurs.
L’association anime et coordonne un réseau interprofessionnel, interassociatif et interpartenarial pour lutter contre les violences conjugales. Il est présent sur trois zones: Montpellier, le territoire Cœur d’Hérault, et Sète-Bassin de Thau. Les très nombreux partenaires, répartis entre les secteurs sanitaire, social, éducatif et judiciaire, se réunissent chaque mois en séance de travail. L’objectif : mieux repérer les situations de violences et organiser l’accompagnement des victimes, des auteurs, en apportant une réponse globale à l’ensemble de la cellule familiale concernée.
“On ne travaille pas avec des faits, on travaille avec le récit”
La prise de contact entre les auteurs de violence et Via Voltaire se fait de deux manières. Le plus souvent, il s’agit d’une décision de justice, d’une obligation de soins formulée par un magistrat. Débute alors un parcours de “responsabilisation” des auteurs.
Delphine Roux, directrice de l’association Via Voltaire, précise : “l’idée n’est pas de prendre soin des auteurs, c’est d’offrir une prise en charge, de lutter contre la récidive, le passage à l’acte”.
Depuis quelques années “il y a aussi une petite portion de personnes qui vient de façon spontanée, qui cherche à comprendre ce qui se passe dans leur couple”. Une démarche spontanée et encourageante, “qui tend à augmenter d’année en année”, note la directrice.
Dans les deux cas, l’association “n’est pas là pour connaître la nature réelle des faits qui sont reprochés”, qui est le travail de la justice. Delphine Roux explique : “on ne travaille pas avec des faits, on travaille avec le récit”.
De la violence aux violences
Cette violence ne s’exprime pas de manière unique. Au contraire, elle est multiforme. “Il y a 20 ans, on ne parlait que des femmes battues, on limitait le sujet des violences conjugales aux violences physiques, rappelle la directrice. Aujourd’hui, et fort heureusement, on a élargi le spectre de la définition, qui recouvre d’autres réalités. La violence physique est souvent à son paroxysme, mais bien avant, il y a de la violence verbale, des menaces, du harcèlement, de la coercition, du contrôle. Il y a de la peur, de la tension, de la pression”.
Dans certains cas : “il y a des violences psychologiques où l’on peut limiter la liberté de l’autre aussi par une pression économique et administrative : quand on lui enlève ses papiers, tous ses moyens de paiement, qu’on lui mène une vie impossible au sein du foyer, sans jamais frapper”, ajoute la directrice.
Qui sont les auteurs ?
Une diversité retrouvée dans les profils des auteurs de violence. “Au départ, il y a 20 ans, 100% de notre consultation était remplie par des hommes, des conjoints violents pour des faits avérés de violences physiques”, précise Delphine Roux.
En 2023, “on a toujours une majorité d’hommes, mais ce n’est plus 100%, on peut aussi avoir des femmes qui ont été condamnées pour avoir exercé une certaine forme d’emprise et de violence conjugale envers leur conjoint ou leur conjointe ”. S’agissant des violences par des femmes, ce sont “souvent de violences réciproques, mais pas toujours”.
Finalement, ces violences échappent à toute typologie. “Des faits de violence dans la famille? Il y en a dans tous les milieux sociaux”, confirme la directrice. Malgré tout, “on ne peut pas nier les facteurs de fragilité supplémentaire ou de vulnérabilité supplémentaire que peuvent être, la pathologie, la précarité sociale, les problématiques d’addiction, de dépendance”.
Pour autant, l’aspect “pathologique” de cette violence est en fait minoritaire. “Les profils qui seraient proches de la psychopathie, voire d’une prise en charge psychiatrique, il y en a, mais ça n’est pas la majorité, loin de là. C’est peut-être, aller, 10% du public que nous recevons”, rapporte Delphine Roux.
Dans un certain nombre de cas, elle parle de violences “contextuelles”.“Une violence qui survient dans un contexte particulier, un moment de vulnérabilité qui peut arriver à tout être humain, où il peut y avoir une violence réactionnelle qui s’adresse au conjoint”, explique t-elle. Mais, dans une majorité de cas, cette violence fait surtout écho à un passé de violences soi-même subies.
Le bourreau : cette ancienne victime
C’est une réalité : “ il y a une grosse partie de la population que nous rencontrons, qui ont été, dans leur histoire de vie, soumis eux-mêmes à de la violence, soit celle d’un père, d’une mère, d’un oncle d’un frère… Des violences qu’ils auraient subies très jeunes dans leur enfance, dans des univers où la violence est adoptée comme mode de résolution du conflit”, affirme Delphine Roux.
Un lien de cause à effet à manier avec prudence. Pour la directrice,“ça ne veut pas dire qu’une majorité des gens qui ont subi des violences vont être auteurs de violences”.
Un schéma de fonctionnement par la violence connu, souvent répété. “Il y a une dimension transgénérationnelle, un risque de reproduction de la violence. Plus on a été soumis à de la violence tôt dans son enfance ou au cours de sa vie, plus on développe le risque de reproduire cette violence”, analyse la directrice. L’intervention précoce de Via Voltaire auprès des enfants, permet ainsi d’ “enrayer” cette violence, de trouver, pour le futur, “d’autres modalités de relations à l’autre et de résolution du conflit”. Et du côté de l’adulte, “de trouver des ressources internes pour modifier son propre rapport à la violence”.
Estime de soi fragile et violence sur l’autre
Dans ce rapport violent entre l’auteur et la victime, faire mal à la personne qu’on aime paraît contradictoire. “Je crois que parler d’amour, ce n’est pas le bon terme à employer, rectifie Delphine Roux.
“Dans l’histoire de ces personnes, comme dans l’histoire d’un certain nombre de victimes aussi, on peut repérer une problématique de construction du lien à l’autre. On pourrait parler de conjugopathie plutôt que d’histoire d’amour, car la relation, c’est respecter l’autre autant que je me respecte. Mais dès lors que je ne me respecte pas, que je ne n’aime pas tellement, que mon propre rapport à moi est douloureux, le rapport que je vais entretenir avec l’autre peut être douloureux, toxique voire dangereux”, développe la directrice.
Une construction parfois en opposition avec la perception et le récit des auteurs et des victimes. “Tous emploient le mot d’amour au départ, vont dire ‘j’étais très amoureuse ou amoureux, ou ‘je l’aime encore’, même quand ils ont tenté de toucher ou de tuer. Eux, ils parlent d’amour, mais c’est le terme qu’ils emploient. Est-ce qu’on peut considérer que c’est de l’amour ? Non […] de la dépendance affective, de l’emprise relationnelle, du pouvoir, de la domination, il y a tous ces ingrédients-là”.
Souffrance des victimes, souffrance des auteurs
La souffrance des victimes est un fait, celle des auteurs aussi. “La souffrance est là, c’est sûr. Et certains présentent un tableau clinique très dépressif. On peut légitimement s’inquiéter pour leur santé mentale”, alerte Delphine Roux.
Ainsi, “ceux qui agissent la violence ne sont pas que des monstres et des bourreaux. Ce sont aussi des êtres humains en souffrance, qui n’ont pas trouvé d’autres moyens d’exprimer leur souffrance, leurs angoisses que de mettre en place des mécanismes de la violence”, explique-t-elle.
En réponse, tout l’enjeu de la prise en charge de Via Voltaire, est aussi “de s’adresser à ces personnes-là, qui sont certes des citoyens qui ont enfreint la loi, qui ont eu des comportements inacceptables pour lesquels ils sont sanctionnés, mais aussi de s’adresser à l’humain qui, par les violences conjugales, exprime une souffrance, a exprimé une souffrance et en exprime une encore. Le changement est possible et surtout il est souhaitable”, conclut Delphine Roux.