Hérault, violences conjugales : “L’accompagnement ne se limite pas aux aspects physiques et juridique”
“Ces droits ne sont jamais acquis, vous devrez rester vigilantes votre vie durant", avertissait Simone de Beauvoir. Malheureusement, ses paroles demeurent d'actualité en dépit des progrès accomplis.
Les chiffres sont alarmants : 78 féminicides en France au 6 septembre 2023. “Une actualité tragique qui prouve une fois de plus que, malgré l’impact du mouvement Me Too et l’éveil des consciences, les violences faites aux femmes continuent de sévir”, selon Aline Faucherre, présidente du Centre d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF) de l’Hérault depuis 2021.
“Un accompagnement global”
Depuis sa création en 1982, le Centre d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF) de l’Hérault se consacre à la prise en charge des victimes, apportant son soutien à plus de 13 000 personnes dans le département (données 2020).
“Les femmes victimes de violences vivent souvent dans la peur, sans pouvoir chercher de l’aide, sous le contrôle de leurs agresseurs, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur leur santé physique, leur vie sociale, leur autonomie financière, etc”, explique la présidente.
Ce qui distingue l’intervention du CIDFF, d’après Aline Faucherre, c’est sa “prise en charge globale” des personnes touchées par les violences conjugales. “L’accompagnement ne se limite pas aux aspects physiques et juridiques. Le CIDFF propose une équipe multidisciplinaire composée de juristes, de psychologues, de médiatrices familiales et de conseillères conjugales, entre autres, pour apporter un soutien complet. La solution ne réside pas seulement dans le domaine juridique, car seulement 20 % des femmes portent plainte. Nous les encourageons à le faire, car la loi offre une protection, mais il faut aussi envisager d’autres prises en charge”.
Une action en constante évolution
L’histoire du CIDFF Hérault a connu une évolution significative. En 1982, l’organisation comptait seulement 4 ou 5 employés. En 2023, sous la présidence d’Aline Faucherre, elle emploie désormais une trentaine de personnes. “Cette augmentation du personnel témoigne de la meilleure sensibilisation du public et du besoin croissant de services en matière de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences, avance-t-elle. Malgré les progrès réalisés, de nombreux défis persistent.”
Pour Aline Faucherre, la journée du 25 novembre, consacrée à la sensibilisation et à la lutte contre les violences conjugales, ainsi que la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars, sont “cruciales pour l’égalité des sexes”, “des moments de mise en lumière qui doivent se traduire par des actions concrètes.”
Une sensibilisation qui est au cœur de l’ADN du CIDFF, car le Centre d’information des droits des femmes et des familles n’attend pas que les violences surviennent pour agir. “L’intervention est importante en amont, au niveau de l’éducation, de la culture. Pour cela, nous travaillons en collaboration avec les policiers municipaux, les avocats, les établissements scolaires et les médecins pour promouvoir l’égalité, prévenir les violences et améliorer la détection des victimes”.
Améliorer le repérage des violences : l’initiative d’Antoine Guernion
Le problème des violences conjugales est un sujet brûlant en France, avec une femme tuée tous les trois jours et plus de 213 000 femmes touchées chaque année. Malgré les plans gouvernementaux successifs, les résultats sont mitigés…
Cependant, une lueur d’espoir émane de l’Hérault, où un médecin a consacré sa thèse à la mise au point d’un outil de repérage simple et efficace des violences conjugales. “Nous voyons l’intérêt d’un travail collaboratif avec les professionnels de la santé, en particulier grâce à l’initiative d’Antoine Guernion pour le dépistage des violences conjugales. Il est crucial que les médecins apprennent à poser des questions, prennent en charge les victimes dans un premier temps, et les orientent vers les services appropriés. Prendre en charge une personne touchée par des violences intrafamiliales nécessitent qu’on aille au-delà des soins physiques. On sait que lorsqu’une victime retourne auprès de son agresseur, un jour, elle ne revient plus…”, poursuit Aline Faucherre.
L’approche pragmatique d’Antoine Guernion a porté ses fruits, avec une augmentation significative du taux de dépistage des violences physiques ou psychologiques. Chez dix médecins ayant testé l’outil, ce taux est passé de 15 % à 41,5 % en un an. Ce succès a été salué par le Dr Vincent Faucherre, praticien hospitalier et membre de l’ONG “Médecins du Monde,” qui a présidé le jury du prix Agnes McLaren, décerné cette année au professionnel de santé héraultais.
Des résultats concrets
Antoine Guernion propose une formation rapide, d’une heure ou de 90 minutes, pour aider les médecins à aborder la question des violences conjugales de manière systématique et pratiquement protocolisée. Cette formation vise à identifier les opportunités propices à cette discussion, à éliminer les obstacles et à sensibiliser les médecins à l’importance de cette question.
Le médecin rappelle “qu’il n’y a pas un signe unique, mais plutôt un faisceau d’indices qui peuvent indiquer des violences conjugales, notamment des violences psychologiques sans coups”. L’objectif de cette approche n’est pas de forcer les femmes à porter plainte, mais de leur donner la possibilité de choisir leur propre chemin.
Le CIDFF Hérault s’engage activement dans cette initiative, collaborant avec des associations locales pour sensibiliser et former les professionnels de la santé. Avec le soutien financier du prix McLaren, Antoine Guernion prévoit d’élargir son expérimentation en mobilisant 75 médecins dans l’Hérault et le Gard, avec des résultats attendus pour fin 2024.
Un projet commun
Le monde de la santé, en la personne du professeur Pierre Boulot, ancien chef de service de la maternité du CHU de Montpellier, et le CIDFF sont depuis plusieurs années associés dans un projet ambitieux visant à accompagner mentalement et physiquement, sur le long terme et dans un cadre sécurisé, les victimes de violences : la Maison des Femmes.
Ce refuge serait mis en place pour accueillir et soutenir les femmes en danger, en particulier celles victimes de violences conjugales, à l’image de celles inaugurées à Saint-Denis, Bordeaux et Sarcelles. L’organisation, qui déjà suit et accompagne plusieurs milliers de victimes dans le département, se mobilise pour mettre en place cette structure essentielle.
“L’un des principaux avantages de cette Maison des Femmes est la centralisation des services, rappelle Aline Faucherre, la présidente du CIDFF Hérault. Cet endroit abritera non seulement un espace d’accueil et de sécurité, mais également des partenaires clés tels que des professionnels de la santé et de l’emploi, le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), et des permanences d’avocats. Cette proximité des services permettra d’optimiser l’efficacité des démarches administratives et judiciaires, économisant ainsi du temps précieux pour les victimes.”
Un autre aspect crucial de cette Maison des Femmes serait la mise à disposition de logements équipés. Des chambres ou des appartements temporaires seront offerts aux femmes victimes de violences, leur donnant ainsi un refuge temporaire pour se reconstruire. “Cela leur permettra de partager leurs expériences avec d’autres femmes dans des situations similaires, en compagnie de leurs enfants si nécessaire. Cette communauté de soutien favorisera leur rétablissement progressif, les aidant à atteindre l’autonomie et à revenir à une vie normale, libérée de la menace de la violence.”