Justice — Montpellier

« Il a éteint la lumière en moi », les 17 femmes qui accusent un châtelain de viols et d’agressions sexuelles passent à la barre

Les plaignantes défilent à la barre de la cour d’assises de l’Hérault ce mercredi 4 décembre. Elles accusent Gilbert Gréaux, propriétaire de 79 ans d’un domaine viticole à Saint-Jean-de-Fos, de trois viols et plusieurs agressions sexuelles lors de séances individuelles de magnétisme. Le verdict est attendu ce vendredi.

En ce troisième jour de procès, les femmes défilent à la barre de l’imposante salle boisée de la cour d’assises de l’Hérault, sous le regard d’un grand buste de Marianne qui surplombe le bureau des jurés. « Ça a été brutal. Sa main s’est mise sur mon sexe de façon perpendiculaire à mon corps et il a commencé à tourner, tourner, tourner », témoignage, la voix tremblante, une professeure de sport de 59 ans, qui travaille avec les enfants porteurs de handicap.

Cette mère de famille avait réservé une chambre au château de la Valloubière, à Saint-Jean-de-Fos, pour célébrer les 18 ans de son fils en février 2014. Mais le week-end festif prend une toute autre tournure. « Ses doigts sont entrés dans ma zone intime, plusieurs doigts ont dépassé les grandes lèvres mais je ne me rappelle pas s’ils sont entrés dans le vagin. Je peux seulement dire que j’ai eu de fortes douleurs dans tout mon sexe, douleur que j’ai ressenti une journée entière », avait-elle déclaré à la gendarmerie lors de sa plainte le jour même des faits. « Je lui ai dit à plusieurs reprises que ça me gênait, il a arrêté de tourner mais il n’a pas retiré sa main. Puis il a fait des allers-retours sur tout mon corps jusqu’à ma poitrine », précise-t-elle à la barre ce mercredi 4 décembre au matin.

Plus de dix ans plus tard, la culpabilité est encore là pour cette femme de 59 ans. « C’est éprouvant de se replonger dans les faits mais ça fait du bien de parler et de voir que je ne suis pas seule. C’est impressionnant de voir que nous racontons toutes la même histoire », glisse-t-elle lors d’une pause dans la hall de la cour d’assises. 

Des histoires qui se ressemblent

Sur le banc des plaignantes, les dix-sept femmes se serrent les coudes, solidaires, tout au long de ce procès qui dure du 2 au 6 décembre. Parmi elles, neuf se sont constituées partie civile. Toutes accusent Gilbert Gréaux de viols et d’agressions sexuelles entre 2013 et 2015, dans son domaine viticole à Saint-Jean-de-Fos, transformé en chambres d’hôte.

À chaque fois, la même histoire se répète. Lors d’un séjour dans son château, il parle de ses dons de guérisseur et fait la démonstration d’une séance collective d’hypnose à la fin d’un repas alcoolisé. Puis il propose une séance individuelle de magnétisme et d’harmonisation des chakras, où les femmes doivent entièrement être nues. Et c’est à ce moment qu’ont lieu les agressions sexuelles selon les 17 plaignantes.

« Les témoignages sont concordants et relatent le même procédé et le même mode opératoire alors que les femmes ne se connaissaient pas avant le premier procès », commente Me Sophie Cousin, avocate de trois des plaignantes.

Car M. Gréaux a déjà été condamné une première fois à 13 ans de prison ferme en 2022. Un procès qui s’était déroulé en son absence, lui étant resté aux États-Unis où il avait fui en 2015. Arrêté en 2023 suite au mandat d’arrêt international émis à son encontre, le procès reprend à zéro plus de dix ans après certains faits. 

“Ça me dégoûtait, je n’arrivais pas à bouger”

« Lors d’une conversation au petit-déjeuner, il m’a hypnotisée. Il me parlait de ses dons de guérisseur et je lui ai fait part de mes douleurs à l’épaule et de ma fatigue. Il m’a invitée à une séance de magnétisme, il a mis une main au-dessus de ma poitrine et sur mon clitoris, il a commencé à me branler », témoigne une autre femme aux cheveux noir, qui s’était rendue au château en décembre 2014 avec son compagnon. « Il avait une forme d’emprise qui faisait que je restais immobile, ça me dégoûtait mais je n’arrivais pas à bouger », continue-t-elle. Quand elle en parle quelques jours plus tard à son mari, ce dernier lui avoue qu’il avait entendu des employés dire « encore une » quand elle était entrée dans le salon de massage – sans comprendre pourquoi.

Peu après, une autre jeune femme de 33 ans raconte à la barre comment elle avait insisté au début de la séance pour garder ses sous-vêtements. « Je lui avais précisé que je ne souhaitais pas qu’il touche son corps, qu’il reste à distance », explique-t-elle derrière ses grosses lunettes noires. Malgré l’interdit qu’elle avait posé, elle a senti qu’il touchait ses parties intimes avec son doigt à travers sa culotte. « Le soir, je me suis refait la scène et j’ai pleuré en me disant que ce n’était pas normal. Il a fait d’autres chakras sur la tête ou ailleurs où je n’ai pas eu de sensation de toucher. Au niveau du pubis, je ne peux pas me tromper : il m’a touchée » 

Confondre le toucher et la sensation de toucher ?

Car après chaque témoignage, le président de la cour d’assises, Daniel Guissart, pose toujours la même question aux plaignantes, implacable : « Vous êtes sûre qu’il vous a effectivement touchée et que ce n’était pas qu’une sensation ? » Toutes répondent, catégoriques : « Il n’y a pas de confusion possible ». 

Car les plaignantes défilent et la défense de M. Gréaux reste la même. « Je suis vraiment désolé pour cette personne et ce qu’elle a ressenti. Mais à chaque fois c’est le même problème. Ma main se trouve sur le chakra terre au niveau du pubis et les femmes font la confusion entre la sensation d’être touchées et le fait de l’être réellement », explique l’accusé, sans ciller. 

« Je n’ai pas pu confondre. Clairement, il était sur mes parties intimes, il n’y a pas de débat. Je voyais bien, je n’avais pas les yeux fermés », répond, catégorique, une plaignante, ingénieure de 35 ans. « Vous n’avez pas à être désolé, vous auriez dû vous arrêter quand j’ai dit que ça me dérangeait. Vous avez dénigré ce qu’on ressent », lui répond la professeure de sport, regardant dans les yeux pour la première fois celui qu’elle accuse d’agressions sexuelles. 

Des séquelles à vie

« La question dans ma tête et qui me pourrit la vie encore aujourd’hui : pourquoi je n’ai pas réagi avant ? À ce moment là, j’étais sidérée, anéantie. Je savais que je ne voulais pas mais je n’arrivais pas à bouger », se rappelle en boucle la mère de trois enfants qui explique avoir encore des séquelles aujourd’hui, notamment dans sa vie intime et sexuelle. « Cet homme a éteint une lumière en moi », avoue-t-elle, les larmes lui montant aux yeux. « Quand j’entends sa femme, Mme Gréaux, qui dit que j’ai détruit sa famille… Mais lui, il a détruit la mienne ».

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