Interview, Jean-Baptiste Jamin (INRAP) : "l'archéologie préventive fait désormais partie du calendrier"
Alors que les villes poursuivent leur développement et que de nouveaux quartiers naissent aux quatre coins du territoire, les sols du département de l’Hérault continuent de révéler leurs secrets…
Jean-Baptiste Jamin est chargé du développement culturel et de la communication à l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, plus connu sous le nom de l’INRAP, pour la direction interrégionale Midi-Méditerranée. Il mène sa mission avec passion et pédagogie, déterminé à faire connaître le rôle de l’archéologie préventive.
Quelles sont les missions de l’INRAP ?
“L’archéologie préventive” est l’une des deux formes d’archéologie pratiquées en France. Auparavant, on parlait de “l’archéologie de sauvegarde”. Cette notion prend tout son sens lorsqu’un projet d’aménagement du territoire est envisagé. Lorsqu’il y a un projet de construction, que ce soit une autoroute, une médiathèque ou une habitation, les autorités vérifient que le permis de construire est conforme au Plan Local d’Urbanisme, prend en compte l’environnement, et n’a pas d’impact négatif sur le plan archéologique.
En général, ce sont ces autorités qui font appel à nous pour réaliser un diagnostic du site. Concrètement, l’INRAP effectue des fouilles sur 10% de la surface concernée par le projet d’aménagement. Ces fouilles sont réalisées à l’aide de pelles mécaniques, sous la supervision d’un archéologue, et servent de prélèvement pour la rédaction d’un rapport présentant les découvertes. En fonction des résultats, des fouilles plus approfondies peuvent être réalisées.
Votre travail complète donc celui des archéologues “classiques”…
Oui, par exemple dans l’Hérault, sur des sites comme Lattara ou l’oppidum d’Ensérunes, des fouilles programmées sont réalisées par des universitaires et des chercheurs du CNRS, car ce sont des sites protégés et ancrés dans le territoire. Cela permet d’y mener régulièrement des fouilles, généralement axées sur une thématique précise. L’INRAP agit parfois en complément de leur travail, notamment lorsque la construction d’un lotissement est prévue à proximité d’un site archéologique. La différence est que nous intervenons uniquement en cas de projet d’aménagement et sur une période limitée, généralement de trois mois.
Quelles sont les suites données après la découverte de vestiges par l’INRAP ?
Tout dépend du contexte. Dans certains secteurs, où nous avons déjà une connaissance approfondie pour une période donnée, nous pouvons nous concentrer sur des périodes moins bien documentées. Parfois, des fouilles sont nécessaires. Mais si les vestiges correspondent à des éléments déjà connus, comme des occupations de la protohistoire ou du néolithique, nous les documentons sans pousser plus loin. En revanche, dans certains cas, les autorités estiment que les découvertes et le diagnostic sont suffisamment intéressants pour prescrire une fouille exhaustive de l’ensemble de la parcelle à aménager.
Et que deviennent les terrains concernés ?
Ils sont rendus aux aménageurs. Après nos fouilles, le terrain est restitué pour le projet qui lui est destiné. Notre rôle consiste à appliquer une méthodologie scientifique pour protéger, préserver et extraire les éléments archéologiques de valeur. Il serait difficile, sur le plan légal, de bloquer des projets de construction en se basant sur de tels éléments, étant donné la richesse historique du territoire national.
Donc vous ne mettez pas en difficulté les aménageurs…
Exactement. Ce qui est intéressant, c’est que les principaux aménageurs ont intégré l’archéologie préventive dans leur calendrier. Ils savent que le diagnostic dure entre trois et quinze jours, que les fouilles s’étendent sur environ trois mois. Pour des projets tels que la construction d’une autoroute, d’un supermarché ou d’un lotissement, cela n’a qu’un impact limité et est bien intégré. Bien sûr, il arrive une fois tous les dix ans qu’un site soit si exceptionnel que le terrain soit classé, entraînant l’expropriation des propriétaires. Mais cela reste rare. Dans la plupart des cas, les vestiges sont déplacés, car leur préservation sur place implique de nombreuses contraintes en termes d’entretien, de valorisation et de protection. De plus, toutes les collectivités ne disposent pas des fonds nécessaires pour assumer ces coûts, d’où souvent la décision de déplacer les vestiges.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
L’une des fouilles qui m’a particulièrement marqué est la découverte de la nécropole de la Robine, dans l’Aude. Il s’agit d’une nécropole antique en périphérie de Narbonne qui a révélé plus de 1650 sépultures, ce qui en fait l’une des fouilles les plus importantes de la décennie. Pour nous, tant en termes du nombre d’archéologues mobilisés que des découvertes réalisées, cette fouille est remarquable. Elle a duré plusieurs mois, supervisée par Valérie Bel, une archéologue du Centre archéologique de Nîmes. Notre intervention a été sollicitée par l’État car le site allait accueillir des immeubles résidentiels. Depuis que nous avons rendu le terrain en décembre 2020, les premières constructions ont commencé. Les découvertes ont bien sûr été extraites avant l’arrivée des engins de construction. Les autorités, propriétaires des découvertes, peuvent décider de les exposer dans des centres archéologiques qu’elles gèrent ou des musées. Dans le cas de la nécropole de la Robine, un accord a été conclu avec Narbo Via, une vitrine archéologique située à quelques mètres de la nécropole.
En fin de compte, la question de la valorisation des trouvailles n’est pas si simple…
En effet, l’archéologie est une discipline scientifique qui présente le paradoxe de détruire son propre objet d’étude. Pour atteindre les niveaux antiques, il peut parfois être nécessaire de démonter des niveaux médiévaux, en vérifiant qu’il n’y a pas de traces néolithiques. Nous nous efforçons de présenter ces découvertes lors d’expositions virtuelles, d’expositions photographiques et à travers nos ressources en ligne. Nous avons également une mission de vulgarisation auprès des collectivités, des écoles et du grand public. Par exemple, une archéologue de l’INRAP a été sollicitée pour contribuer à une partie du catalogue du Musée de Lodève. Nous accueillons également des classes sur les sites de fouilles. Cependant, la valorisation peut être compliquée sur les sites “sensibles” où il existe un risque de pillage archéologique. Parfois, nous devons éviter d’attirer l’attention pour prévenir de tels actes de vandalisme. Mais nous disposons toujours de moyens pour mettre en lumière ces découvertes ! À la fin de chaque fouille, un article grand public est systématiquement publié sur le site de l’INA, avec une diffusion nationale. Nous intervenons également dans les écoles, et nous avons la possibilité de restituer nos découvertes lors de conférences ou d’expositions en partenariat avec des institutions locales.