Jocelyne Gizardin : « L’action sociale, c’est être au plus proche des gens »
Certaines personnes traversent la vie comme une hirondelle la Méditerranée : d’un trait. Jocelyne Gizardin en est l’illustration. L’adjointe à la Ville de Sète, en charge du Pôle Ville solidaire et de l’Action sociale, évoque son parcours entre secret défense, bénévolat et trajectoires diverses et lointaines, mais toujours profondément humaines, où le mot chance revient souvent.
Quel a été votre parcours professionnel ?
« Après des études de droit et deux années de médecine, sur lesquelles on peut passer très vite (rires), j’ai fait une école de commerce, l’Essca. J’ai travaillé quelque temps dans les relations publiques pour très vite entrer dans le monde de la Défense. Mon job : parler, travailler, développer puis un jour exporter un concept de défense, avec différents ministères – l’Intérieur, la Défense, les Relations étrangères… – et en lien avec des industriels, des institutionnels et un regard de l’État assez fort, Dieu merci. De ce fait, j’ai eu la chance de voyager dans des zones à risques telles que l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient… La suite est plus familiale : avec mes deux fils et mon mari, nous sommes allés vivre à Singapour pour raison professionnelle. Puis ce fut le retour en France, au bout du monde, dans le fin fond de l’Aude (rires). »
Pourquoi Sète ? Pourquoi ce choix d’un engagement municipal ?
« Aujourd’hui, à 67 ans, je vis à Sète depuis quatorze ans, mais je connais la ville depuis quarante ans grâce à des amis sétois qui me l’ont fait connaître. J’ai eu la chance, après avoir vécu aussi bien en France qu’à l’étranger, de pouvoir m’installer ici, dans cette ville dont je suis tombé amoureuse. Un jour, son maire, François Commeinhes, m’a posé une question qui m’a ravie et étonnée à la fois : “ Veux-tu m’accompagner dans cette aventure politique ? ” J’ai accepté, parce que c’est quelqu’un dont l’enthousiasme est communicatif. Il est extrêmement vivant et va toujours de l’avant. Je suis entrée en campagne avec beaucoup de joie et un peu d’appréhension. Les élus locaux n’ont pas forcément des parcours tout tracés. »
Le bénévolat fait partie de ce parcours…
« Quand je suis arrivée à Sète, j’ai eu la chance de pouvoir développer un comité des Blouses roses qui n’existait pas localement. Cette association nationale accompagne en milieu hospitalier les personnes les plus fragilisées et surtout les enfants. Ce comité est toujours actif. J’ai dû quitter sa présidence lorsque j’ai été élue à la municipalité en 2014. Pour dire vrai, le bénévolat – quand on le fait sérieusement – est un vrai job. C’est aussi des rencontres avec de belles âmes. Sur ce plan, j’ai eu de la chance tout au long de ma vie. »
Pour revenir à la Défense, l’armement était un métier plutôt masculin…
« J’ai adoré le métier que je faisais dans l’armement. Durant cette période, entre 1979 et 1994, travailler avec des gens différents mais avec de vraies compétences, et les faire travailler ensemble – des officiers, des industriels, des gens de la recherche –, c’était quelque part mettre en musique. C’est quelque chose que je retrouve aujourd’hui, et qui m’anime actuellement en tant qu’élue municipale et conseillère communautaire. »
Avez-vous connu des freins dans votre carrière professionnelle – je pense à la Défense – parce que justement vous étiez une femme ?
« Alors là, pas du tout (rires). Mais je mens un tout petit peu. Je pense à certaines cultures dans les pays étrangers où nous allions. La vie sociale n’est pas la même sous tous les climats. Toutes ces façons de vivre… Et ces cultures se respectent. Nous arrivions en tant qu’étrangers ; la moindre des choses était que nous nous pliions aux us de ces pays. Il y avait aussi le fait que peu de femmes, à l’époque, bossaient dans le domaine des relations publiques dans l’armement. Mais je ne crois pas que c’était le fait que je sois une femme ou pas. Je n’ai connu aucun frein.
Vous savez, je n’ai jamais repéré les gens parce qu’ils avaient des chaussons roses ou des chaussons bleus à la naissance, et je crois que je n’ai jamais été jugée là-dessus. Je pense qu’aujourd’hui, ces choses n’existent même plus, du moins dans le domaine de la défense, qui a connu une forte montée en féminisation aussi… Pour ce qui est du domaine dit public et dans ma fonction d’élue, encore moins, et même jamais. »
Portrait
Jocelyne Gizardin est l’adjointe Pôle Ville solidaire, déléguée à l’Action sociale, la Santé, la Politique de la ville, l’Insertion professionnelle et au CCAS. Elle est également conseillère communautaire de la communauté d’agglomération Sète Agglopôle Méditerranée. Elle entame son second mandat avec François Commeinhes, maire de la ville depuis 2001. Son credo : l’action sociale.
La vie d’élue, justement ?
« Avec ce second mandat, j’ai eu la chance de conserver ma délégation, qui a évolué dans le temps, et de pouvoir m’inscrire dans un projet long. Quand je suis arrivée, le Centre Communal d’Action Sociale de Sète – véritable bras armé de l’action sociale avec près de 400 personnes – avait déjà un champ d’action très large. Le maire avait souhaité de longue date qu’il recouvre la petite enfance, le RSA, les accompagnements sociaux, les seniors, etc. Depuis, il a encore évolué. Sous ce nouveau mandat, la volonté est d’associer au CCAS tout ce qui fait l’action sociale, c’est-à-dire la prise en compte de ce qu’une population, dans ce qu’elle a parfois de plus vulnérable mais pas seulement, peut se poser comme questions. En fait, être au plus proche des gens. C’est bien sûr généralement le rôle d’un CCAS, mais lorsque l’on parle de social et de santé associée, on entre immédiatement dans un domaine très humanisé. Ça part de la jeune femme qui doit déclarer son futur bébé parce qu’elle est enceinte de deux mois et demi, et ça va se terminer au moment moins drôle où l’on s’en va. Entre les deux, il y a tout ce qui se passe dans une vie, de bien et de moins bien. Parce que ce n’est pas que triste, l’action sociale ; il y a beaucoup de choses formidables et positives. »
Le social, une nouvelle vocation ?
« Travailler dans le social n’était pas forcément ma vocation ; ça l’est devenu. J’ai découvert ses métiers et ses engagements. Dans ce domaine, je n’ai aucune honte à dire que j’ai découvert et j’ai appris à quel point, quand on vit quelque part, on ignore souvent toutes les aides qui existent et peuvent nous accompagner. Et si on ne le sait pas, c’est peut-être aussi parce que les collectivités ne savent pas assez promouvoir leurs services – et j’en prends ma part. Et peut-être parce que l’on se dit : “je ne vais pas toujours compter sur l’autre, et compter sur ma ville”. Je ne dis pas que ce doit être un impératif. Mais une vie en commun se construit ensemble, et dès lors qu’elle est construite, il faut l’utiliser. Il y a donc un échange permanent à instaurer. »
L’action sociale, moteur du lien public ?
« Ce qui compte c’est l’action sociale ! Je trouve que ce sont deux très jolis mots dans une ville, non ? Malheureusement, quand on pense CCAS, il y a une connotation. Je le déplore et le regrette. Beaucoup de personnes qui n’ont jamais connu de problème de précarité viennent pourtant au CCAS pour de tout autres raisons. D’autres ont besoin d’être accompagnées sur le plan social, et l’outil est bien le CCAS. Et quand on associe le social à la santé, ça prend du sens. On associe la prévention à l’action. Nous accompagnons aussi des jeunes qui n’ont pas de problèmes particuliers mais qui veulent aller plus loin dans leur vie. Notre travail est de trouver les bonnes clés, pour qu’ils puissent bénéficier de toutes les aides qui existent. On a tendance à noircir l’action sociale, ce qui est vrai pour partie, mais elle est pluraliste et doit concerner l’ensemble de la population. »
Y a-t-il des choses novatrices dont le CCAS est fier ?
« En priorité, cette appréhension globale de l’action sociale. Cela me paraît le plus important. Avec un interlocuteur unique qui va pouvoir accompagner les personnes et trouver la bonne solution. Mais plus concrètement, une grosse action dont on peut parler, très innovante, c’est l’accueil des enfants porteurs de handicap dès le plus jeune âge. Elle a été menée dès le début du précédent mandat. Il s’agit de la détection et de l’accompagnement de certains problèmes chez les tout-petits. Nous avons ainsi été l’une des villes pionnières à mettre en place une éducatrice spécialisée, qui, d’une part, n’était que dans l’observation des enfants, et d’autre part, assurait la formation des autres puéricultrices et éducatrices intervenant auprès des enfants. Plus tôt on peut déceler de toutes petites choses sur les plans physique et comportemental chez un enfant, plus tôt et mieux on pourra l’accompagner pour ne jamais le laisser en situation d’échec. C’est tout le sens de cette action, et on en est fiers. Nous avons également mis en place, pour toute personne handicapée qui est à domicile, l’accès quotidien, tous les jours de l’année, week-ends et jours fériés compris, à du portage de repas et à des aides à domicile ou des auxiliaires de vie. Toutes les villes n’ont pas ce service. Et même si sa mise en place a été complexe, c’est aussi un grand bonheur que de pouvoir proposer ce service public qui fonctionne 7 jours sur 7. »
Expliquez cette transversalité et la globalisation de l’action sociale menée par la Ville de Sète…
« Il s’agit d’une coordination interservices et de l’accompagnement tout au long de la vie. Par exemple, nous venons d’évoquer une problématique très jeunes enfants, mais cela n’a de sens que si l’on ne laisse pas tomber les parents quand l’enfant entre à l’école à six ans. Il faut donc travailler en transversalité avec le service éducation. Puis vient le temps de l’ado, du post-ado et de ces chers 18-20 ans (rires) et là on n’est plus du tout dans le schéma collectivité Enfance. On bascule sur des dispositifs différents. Puis ces jeunes composeront sans doute une famille, avec d’autres besoins sociaux. La volonté du maire est d’appréhender l’action sociale comme une évolution. Il faut suivre la population dans le temps pour pouvoir anticiper certaines problématiques. »
Comment cette volonté se traduit-elle dans vos services ?
« Cela veut dire travailler en coordination. On n’aide pas un jeune si l’on ne parle pas sport, éducation, environnement familial, si on ne parle pas santé ni culture… Il faut sans cesse créer du lien. Un lien qui ne signifie pas : “nous sommes les sachants et vous – les jeunes – vous faites”. Nous, élus, devons nous coordonner, accepter de passer la main à d’autres services, de la reprendre parfois… En résumé, cela veut dire bosser ensemble. C’est de cela que j’aimerais que l’on soit le plus fiers. Après, je ne sais pas si c’est super, mais au moins c’est utile. Sans oublier que nous, élus, ne faisons rien sans les services et les techniciens qui les animent. Ce sont des professionnels, ce que je ne suis pas. On est élu pour mettre de l’huile dans les rouages. Il faut d’ailleurs avoir beaucoup de respect pour les techniciens que sont les fonctionnaires. Je pense aux services de la ville et de l’agglomération en disant cela, mais aussi, et par exemple, à l’hôpital, avec qui nous travaillons en étroite collaboration. Le lien ville-hôpital, c’est mettre en liaison deux mondes différents qui ne peuvent se passer l’un de l’autre. C’est d’autant plus vrai avec la pandémie. Il ne faut pas imaginer qu’un élu a toutes les clés, tout seul. »
Quelle est l’action sociale idéale, selon vous ?
« Mon objectif et mon souhait sont que tout administré dise un jour «Je sais que l’on va trouver des solutions à ma situation ». Parce que la collectivité va trouver une solution à un jeune couple qui n’a pas de place en crèche pour son enfant ; parce que s’il y a une autre pandémie, le maire va savoir comment faire pour gagner le combat et mettre en place un centre de vaccination ; un accompagnement quand on est senior – à Sète plus de 33 % de la population a plus de 60 ans – parce que des solutions sont mises en place pour ne pas finir seul chez soi dans la solitude en haut de son troisième étage. C’est de la responsabilité, extraordinaire et lourde à la fois, d’une équipe municipale.
Cela pose la question du rôle du maire, qui est pour moi de sécuriser. C’est le chef d’une grande famille : ses administrés et les habitants de sa ville. Quand on a un vrai problème de sécurité ou de santé, on appelle la police ou le Samu, mais au-dessus de tout cela, in fine, on appelle toujours la mairie. L’idée est que les gens se disent toujours davantage : “ je sais où appeler ”. »