"La tête dans les étoiles", le Guide Michelin passe à table
[EDITO] Quand la critique se fait à coups de clics, s’appuie sur tous les imaginaires, sert ou dessert ceux qu’elle vise, elle flirte avec la perte de ses lettres de noblesse, avec l’absence de la substance. Un mal pour un bien selon les absolutistes de la liberté d’expression, une arme dangereuse pour ceux qui craignent la désinvolture avec laquelle elle est affûtée.
Pourtant, dans ce monde aux commentaires hâtifs, aux expressions dévergondées, certains milieux ont conservé le pouvoir de l’encrier. Dans l’agitée cuisine de la gastronomie, les inspecteurs ont conservé leur statut de juges suprêmes, tantôt robins, tantôt bourreaux. Derrière les pages du célèbre guide rouge, ils sont les arbitres ultimes du goût et, tels des jugements divins, leurs mots sont capables de faire briller une étoile.
“Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”, disait oncle Ben à Peter Parker, qui embrassait dans l’ombre le rôle de Spiderman. Si la comparaison s’arrête là, elle fait écho aux trois piliers qui gouvernent le rôle d’inspecteur : l’anonymat, la mesure et la transmission.
Capables de pouvoir faire ou défaire la réputation d’un lieu, recrutés afin de distinguer l’extraordinaire de l’excellent, leurs critiques sont souvent redoutées et constamment utilisées pour justifier la quête du mieux. Car quand elles sont reçues, entendues, comprises, elles transcendent les barrières de l’ego et ouvrent la voie à l’amélioration. Mais sur quels critères ? Les inspecteurs sont-ils des phares éclairés face aux tempêtes des modes gastronomiques ou des sentinelles surarmés assurant la sauvegarde d’une cuisine d’un autre temps ? À cette question, tant de réponses…
Comment expliquer que de plus en plus de chefs fassent de la résistance ? Pourquoi, alors que l’art de manier l’épée demeure, certains demandent que la lame regagne le fourreau ? Pour beaucoup, il s’agit de retrouver le droit à l’erreur, pour d’autres, de faire revenir tout un pan de la tablée, persuadé que l’inscription sur la voûte céleste s’accompagne d’une élévation des prix.
Fruit bien gardé, la solution n’aurait-elle pas poussé sur les branches du guide Michelin, qui n’ont eu de cesse de croître vers plus d’authenticité, de générosité, d’émotion ? Car loin des pirouettes moléculaires et des énoncés à la sémantique plus substantielle que les plats, la maison rouge a entamé une profonde refonte. Distants de l’image de Charles Duchemin, le terrible éditeur dans le film L’Aile ou la Cuisse, les inspecteurs auraient pris un autre élan, sans y laisser leurs plumes ou plumer les lecteurs. Pour mieux comprendre l’ingrédient secret de cette critique revisitée, nous avons cuisiné le patron du guide Michelin avant la nouvelle cérémonie de remise des étoiles prévue ce lundi 18 mars. On passe à table !
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