La vie au cœur des ghettos juifs, au Pavillon Populaire
A Montpellier, au premier étage du Pavillon Populaire, jusqu'au 23 septembre 2018, le Mémorial de la Shoah montre les différents points de vue de soldats allemands, de "touristes" et de Juifs enfermés sur les ghettos juifs de Pologne, de Lituanie et d'ailleurs, qui furent la première étape avant la terrible Solution Finale des centres de mise à mort durant la Seconde Guerre Mondiale.
Contexte
Sophie Nagiscarde, historienne au Mémorial de la Shoah à Paris et co-commissaire de l’exposition Regards sur les ghettos, situe le contexte de l’exposition visible au premier étage du Pavillon Populaire : « En 1939, après l’invasion de la Pologne, le régime nazi a décidé de séparer les Juifs du reste de la population. Dans certaines villes, il existait des quartiers juifs, dans lesquels les habitants ont été enfermés dans des murs d’enceinte. A Varsovie, 430 000 Juifs venus de différents quartiers ont été entassés sur un territoire réduit. Ces personnes ont d’abord servi de main-d’œuvre dans des ateliers. Dans le ghetto de Lodz, par exemple, les Juifs travaillaient le bois, produisaient des matelas, faisaient de la couture, des chaussures… Au départ, il y avait un semblant de normalité dans ces ghettos, une organisation, avec une police, une justice, etc. Puis la famine et les maladies se sont installées. Et la Solution Finale a été imaginée en 1942 par les nazis. A partir de là, les Juifs qui avaient survécu aux ghettos ont été déportés vers les centres de mise à mort, c’est-à-dire les camps d’extermination. Les ghettos ont été progressivement vidés, parfois brûlés pour éliminer les dernières résistances ».
Cette exposition, déjà montrée en 2013 au Mémorial de la Shoah dans une version plus exhaustive, a été resserrée et réfléchie différemment pour Montpellier, avec l’aide d’Alain Sayag. Sa présentation est ici chronologique, ce qui permet notamment de mesurer l’évolution de la situation au cœur des ghettos. Alors qu’au départ, les personnes photographiées faisaient un poids normal, au fil des années, on voit la maigreur s’installer, la terreur dans les regards… Les images en témoignent.
Entre 15 000 et 20 000 photographies ont été prises au cœur des ghettos. Elles revêtent une importante valeur historique. Mais on ne peut pas les considérer de la même façon selon les motivations des personnes qui les ont prises, selon Sophie Nagiscarde, Marie-Edith Agostini et Alain Sayag, commissaires de l’exposition Regards sur les ghettos.
Entre propagande et témoignages
Certaines sont typiquement des images de propagande mises en scène par la compagnie de propagande de la SS – sur ordre du ministère de la Propagande de Joseph Goebbels – pour diaboliser les Juifs (présentés comme sales, inhumains, porteurs du typhus, ou comme des ennemis, notamment…) et accroître l’antisémitisme ou des images destinées à documenter ce que l’on pourrait nommer entre guillemets la réussite de la politique d’enfermement nazie. « L’idée des images de propagande était de justifier la mise à l’écart des Juifs en véhiculant des stéréotypes antisémites », analysent les commissaires d’exposition. L’image de propagande fut même utilisée rétroactivement dans un article en janvier 1944 – grâce à des photos prises début 1941 par une unité de propagande – pour faire croire que le ghetto de Varsovie existait toujours, alors qu’il avait été entièrement détruit et que la quasi-totalité de sa population avait été assassinée au printemps 1943. Le cynisme fut poussé très loin. D’autres photos furent prises par des soldats venus visiter les ghettos « en touristes » – ce qui peut sembler étonnant avec le recul.
Ce sont essentiellement les images prises par des déportés eux-mêmes qui ont valeur de témoignages historiques sur ce qu’ils vivaient à l’intérieur des ghettos. Le risque qu’ils prenaient était grand, quand on sait qu’à partir de 1939, il était interdit aux Juifs, a fortiori dans les ghettos, de posséder un appareil photo. Parmi les plus connus figurent deux hommes qui se fixèrent pour mission de témoigner par la photo des horreurs vécues par leur peuple : George Kadish, enfermé au ghetto de Kaunas (Lituanie), où il prit un millier de clichés avant de réussir à s’enfuir et de créer le premier Musée de la Shoah, et Mendel Grossman, enfermé dans celui de Lodz (Pologne), qui documenta les souffrances et les tâches quotidiennes infligées, et mourut lors d’une « Marche de la mort ».
On remarque que les comportements des personnes photographiées étaient totalement différents selon la personne qui se trouvait derrière l’appareil photo. Par exemple, des sourires apparaissent sur certains clichés (et selon la situation) pris par des photographes juifs parce que les prisonniers savaient qu’ils ne leur voulaient aucun mal. Les scènes photographiées varient entre scènes de la vie quotidienne, travail dans les ateliers de fabrication, puis, scènes de pauvreté, recherche de nourriture, entassement et déplacement des corps, pour enfin aboutir, malheureusement, aux scènes déchirantes de séparation des familles et de déportation vers les camps d’extermination…
Notre avis : connaissant l’impact que peuvent avoir les images, on aurait préféré que cette exposition indispensable pour le devoir de mémoire soit présentée au rez-de-chaussée, dans sa version complète, donc mieux mise en valeur. Et que celle sur Hitler, pour sa part, ne soit éventuellement visible qu’à l’étage.
Des photos cachées pour être un jour retrouvées. Les clichés pris par les Juifs, qui la plupart du temps avaient été cachés dans divers récipients, voire enterrés, afin que la façon dont ils avaient été traités soit un jour connue du monde entier, ont pour partie été retrouvés après la Seconde Guerre mondiale, dans diverses circonstances. Dans le ghetto de Varsovie ont été déterrés trois ensembles d’archives – contenant notamment des photographies – portant sur le sort réservé à la communauté juive dans le ghetto. Ces documents avaient été réunis par un groupe d’intellectuels juifs de 1940 à 1943. George Kadish est revenu lui-même au ghetto de Kaunas, dont il s’était enfui, après la destruction et l’incendie de celui-ci pour récupérer les tirages qu’il y avait enterrés. Quant aux clichés de Mendel Grossman, décédé en 1945, ce sont ses amis survivants qui sont retournés dans le ghetto de Lodz pour y récupérer les clichés qu’il y avait soigneusement enfouis.
L’identification. Un travail de mémoire a été réalisé, notamment par le Mémorial de la Shoah, pour identifier et retracer le parcours (souvent tragique) des personnes présentes sur les photographies exposées. Récemment, Martin Gray (auteur d’Au Nom de tous les miens) a été identifié par l’un de ses amis sur l’un des clichés de l’exposition, alors que son enfermement dans un ghetto avait été sujet à polémique et n’avait pas pu être prouvé jusque-là.
Informations pratiques
• Pavillon Populaire
Esplanade Charles-de-Gaulle
34000 Montpellier.
• Ouvert de 11h à 13h et de 14h à 19h, du mardi au dimanche.
• Visites libres du mardi au dimanche de 11h à 13h et de 14h à 19h.
• Visites guidées hebdomadaires, gratuites et sans réservation
• Visite découverte tous les vendredis à 16h (durée 45 minutes).
• Visite qui prend son temps tous les samedis à 11h, 14h30 et 16h (durée : 1h30).
• Visite dominicale tous les dimanches à 11h (durée : 1h).