Le secret médical, un secret bien gardé
Le socle de la relation entre un patient et son médecin se base sur la confiance mutuelle. Panorama des enjeux et histoire du secret médical.
Cette figure médicale, presque paternelle, qu’est le médecin perdure depuis l’Antiquité avec une bienveillance cruciale lors de l’écoute des maux du patient. Le serment d’Hippocrate stipule au nom du médecin qu’ « Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers ».
Secret médical et médiatisation
Le secret médical permet la protection des informations concernant les patients qui ont été portées à la connaissance du professionnel de santé. Ce secret vient protéger « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession », ce qui comprend aussi bien « ce qui lui a été confié », mais aussi « ce qu’il a vu », « entendu ou compris ». Le secret médical est non seulement1 une obligation pour le médecin mais avant tout un droit pour le patient.
Le secret médical s’applique-t-il uniquement aux médecins ?
Initialement, ce principe a été instauré par le serment d’Hippocrate que doivent encore aujourd’hui prêter tous les médecins diplômés au moment de leur prise de fonction, c’est-à-dire à la fin de leurs études. Lors de la création du Code pénal français en 1791, cette obligation de secret médical incombait toujours aux médecins/chirurgiens mais également aux « autres officiers de santé ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes les autres personnes dépositaires par état ou profession ou par fonction temporaire ou permanente des secrets qu’on leur confient » 2. Avec la réforme du Code pénal de 1994, le secret médical s’inscrit dans une notion plus large de « secret professionnel ». Le Code pénal dispose donc que « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende »3.
Dans un arrêt de 2018 très médiatisé concernant une star de télé-réalité4 et son chirurgien esthétique, le Conseil d’État vient lever un voile sur ce secret médical qui persistait depuis quelques temps : le patient a-t-il le droit de lever l’obligation de discrétion du médecin concernant les soins qui lui ont été procurés ? Dans ce dossier, une plainte avait été déposée par le Conseil départemental de la ville de Paris de l’Ordre des médecins à l’encontre d’un chirurgien esthétique du fait de sa participation à des émissions diffusées sur des chaines télévisées et autres médias dévoilant ses consultations et ses interventions chirurgicales. Les magistrats du Conseil d’État affirment que, même si la patiente concernée a « sciemment recherché la médiatisation et consenti à la révélation de son identité, […] le concours apporté par [le chirurgien esthétique] à la divulgation de l’identité de patientes à l’occasion d’émissions ou d’articles était constitutif d’une méconnaissance des dispositions » de l’article R4127-4 du Code de la Santé Publique.
Ce même arrêt va également reprendre les dispositions du Code de la Santé publique à son article 4127-20 indiquant non seulement que le médecin doit veiller à l’usage fait de son nom mais surtout qu’il ne doit pas tolérer qu’un organisme (privé ou public) utilise son nom à des fins publicitaires. C’est donc une responsabilisation du médecin que le législateur a décidé d’instaurer en obligeant le praticien à ne pas laisser utiliser son image ou son nom à des fins commerciales. Malgré tout, ces dispositions sont régulièrement utilisées dans le cadre de procès notamment dûs aux réseaux sociaux qui permettent une publicité rapide et à très faible coût.
Une polémique récente implique une fois encore une participante aux émissions largement diffusées ainsi qu’un gynécologue. Cette « comédienne » met en avant sur ses réseaux les bienfaits des soins esthétiques prodigués par le praticien. La vidéo est pointée du doigt : le médecin est identifiable, à l’instar de la patiente. En outre, la publication révèle les soins reçus par la patiente, violant ainsi le secret médical. La ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a saisi la Chambre disciplinaire de l’Ordre des gynécologues pour demander que soit étudié ce cas qui pourrait aussi bien relever d’une violation de l’article 4127-19 interdisant l’assimilation de la médecine à un commerce mais également de l’article 4127-4 qui pose les bases du secret médical.
Le secret médical est un secret bien gardé mais peut, dans certaines conditions bien précises, être levé.
Secret médical et aménagements
On distingue trois principales catégories d’exception au secret médical : les nécessités médicales, la bonne tenue des soins et la maltraitance.
Dans certains cas, le médecin a le devoir de partager des informations médicales en principe soumises au secret médical. Ce sont des informations, issues d’analyses, qui peuvent avoir un impact sur des tiers. Par exemple, dans le cas de maladie génétique, il est primordial d’informer la descendance du patient ou encore son ascendance dans le but de prévenir toutes maladies liées aux gènes qui pourraient se déclarer à l’avenir. Cependant, ce n’est pas le cas pour toutes les maladies transmissibles. En effet, dans l’exemple où un patient est déclaré positif au VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) par son médecin, cette information ne doit pas obligatoirement être transmise au/à la conjoint(e) du patient. Ceci relève de la liberté de choix du patient. En revanche, cette information pourra être transmise à d’autres organismes.
Dans un but de continuité des soins, le secret médical peut être levé pour transmettre une information soit à l’équipe de soin soit à des organismes qui tiennent des registres sur les patients en France pour, dans le cas de maladie transmissible, faire un point sur l’étendue de la maladie sur le territoire français. Cependant, la transmission d’information à l’équipe de soin est très encadrée et peut donner lieu à des sanctions s’il n’est pas prouvé qu’une stricte nécessité à motiver ce partage d’information. Dans ce même but de continuité des soins, et principalement dans le cas où le patient n’est plus apte à communiquer, il est souvent nécessaire de délivrer des informations médicales à la famille du patient pour qu’elle décide de la suite des soins (sauf exception pour éviter une obstination déraisonnable des soins depuis la loi dite Léonetti de 2005 précisée en 2016).
Pour finir, le médecin est dans la possibilité de lever le secret médical lorsqu’il constate des cas de maltraitance mentale ou de violence physique sur un patient. Par exemple, lors d’une consultation avec un enfant, il arrive que le médecin constate des bleus, ou des fractures suspectes. Dans ce cas, même si le médecin n’est pas sûr du pronostique de maltraitance, il peut prévenir le procureur de la République qui prendra en charge l’affaire. C’est l’article 226-13 du Code pénal qui va alors encadrer cette levée du secret médical (cas de maltraitance envers un mineur ou une personne majeure qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état de santé mental ou physique). En réalité, le médecin est dans une position difficile et ambivalente étant donné qu’il n’est pas dans l’obligation de prévenir le procureur de la République n’étant pas certain de son pronostic, mais qu’il peut être sanctionné pour non-assistance à personne en danger. De plus, dans le cadre d’une prise de conscience grandissante des violences conjugales au cours de ces dernières décennies, Nicole Belloubet, garde des Sceaux et ministre de la Justice de 2017 à 2020, a estimé qu’ “nécessaire de dépasser le secret médical” 5 ce à quoi a répondu l’actuel Président du Conseil national de l’Ordre des médecins, Patrick Bouet, considérant qu’ « à aucun moment il n’a été question de mettre en cause le secret médical » mais espérant que cette « prise de conscience généralisée va permettre une réorganisation de l’environnement des médecins et, à terme, une prise en charge plus adaptée » 6.
- 1 Article R4127-4 du Code de la santé publique
- 2 Article 378 abrogé depuis 1994 du Code pénal
- 3 Article 226-13 du Code pénal
- 4 Arrêt du Conseil d’État – 4ème et 1ère Chambres réunies – 26 septembre 2018 – n° 407856
- 5 Entretien accordé au JDD le 17 novembre 2019
- 6 Entretien recueilli par Richard Flurin le 19 décembre 2019