L’Éco de l’Hérault : le compostage artisanal, une gestion des déchets futuriste ?
L’obligation de compostage se profile peu à peu depuis le 1er janvier 2024. Si la pratique est rentrée dans les mœurs, les politiques publiques locales, nationales sont-elles suffisantes pour y répondre ? Léa Egret est responsable de Compostons, une coopérative montpelliéraine qui accompagne les collectivités dans cette tâche.
Léa Egret est co-fondatrice et co-gérante de Compostons, une coopérative montpelliéraine qui existe depuis 6 ans maintenant. Son objectif ? Accompagner les collectivités et les entreprises à trouver les meilleures solutions pour gérer la matière organique (compost), au plus près du lieu de production. Le constat ? Les poubelles d’ordures ménagères sont transportées sur des dizaines voire centaines de kilomètres pour être enfouies ou incinérées. Pourtant, elles sont composées à 30 % de ce qu’on appelle des biodéchets, essentiellement des restes alimentaires, qui peuvent être réutilisés de manière vertueuse comme engrais pour les sols, à l’heure où le phosphore, engrais des plus utilisés, s’épuise et se paie. Plus écologique, plus économique, le tri à la source des biodéchets entre en vigueur ce 1er janvier 2024, dans le cadre de la loi AGEC de lutte contre le gaspillage et pour l’économie circulaire. Solutions individuelles ou collectives, au pied d’immeubles ou par quartier, les collectivités sont en tout cas tenues de proposer des solutions. Dans le département, Compostons travaille notamment avec la Métropole de Montpellier, la communauté de communes Pays de l’Or.
Comment accompagnez-vous les collectivités vis-à-vis de cette obligation de tri à la source ?
Léa Egret : Le but du jeu, c’est qu’on disparaisse peu à peu des projets, que les personnes s’approprient les bons gestes, et nous leur donnons cette autonomie-là. La spécificité, c’est que nous agissons dans un secteur très industrialisé, le secteur des déchets, mais nous intervenons de manière quasi-artisanale, car on veut être au plus près de chaque situation. Plutôt que de la standardisation, nous préférons l’adaptation à chaque situation. Globalement, nous intervenons sur du conseil stratégique. On va accompagner l’installation de sites de compostages, puis assurer un suivi. Mais nos missions peuvent être beaucoup plus variées et précises, on peut faire du porte-à-porte pour rechercher de nouveaux référents de quartiers pour la mise en place de composteurs, par exemple. Ça peut être créer des supports pédagogiques. Pour l’installation concrète, c’est trouver le bon fournisseur, comme on est en train de le faire dans un collège de la Grande-Motte, qui accueille plus de 200 élèves par jour, pour près de 5 tonnes de déchets par an. Là, on met en place le composteur, on forme le personnel et tous les biodéchets sont compostés sur place, par les agents de cuisine.
Les collectivités que vous suivez, notamment la Métropole de Montpellier, vous diriez qu’elles sont prêtes ?
LE : Non, aucune n’est prête. On en est très très loin. Sur d’aussi grosses métropoles, avec 40 000 tonnes de déchets par an à Montpellier par exemple, c’est évident qu’il va falloir passer par de la collecte, comme c’est déjà expérimenté dans 10 communes de la Métropole, et il va maintenant falloir étendre ce système au centre-ville. Ce que dit la loi, c’est que tous les habitants doivent avoir une solution appropriée. Cela peut donc passer par des composteurs individuels en maison si on a suffisamment d’espace, ou, pour les solutions collectives, par des composteurs ou des points d’apport volontaire. Les composteurs sont gérés par les habitants entre eux, tandis que les points d’apport volontaire seront collectés par un prestataire.
Est-ce qu’il n’y a certains arbitrages politiques qui expliquent cette difficile mise en place locale ?
LE : Le gros problème des déchets, c’est que depuis le début, la vision de la gestion des déchets est industrielle. On n’a pas pris en considération la capacité des gens à faire, car si les gens font eux-mêmes ça représentent moins d’argent pour les industriels. Quant aux élus, c’est une question très technique, qui demande beaucoup de connaissances, ils sont parfois un peu désoeuvrés. Quand les industriels arrivent avec des solutions toutes prêtes, il est tentant de déléguer ce marché public. Mais le meilleur tri se fait à la source, et il n’y a pas suffisamment de moyens dans ce qu’on appelle la prévention, le fait d’éviter le transport de déchets. Au niveau national, on milite pour que ce budget préventif : réduction du plastique, réutilisation des biodéchet etc augmente. Actuellement, c’est 1 % du budget total de gestion des déchets. C’est ridicule. Le mot-clé, c’est la considération. En investissant dans l’engagement humain, plutôt que dans les machines, on peut faire des choses très ambitieuses, même à grande échelle. C’est un problème structurel qu’on retrouve jusqu’au niveau des ministères. A quelques jours de l’obligation de mise en œuvre, seule une page d’information a été réalisée, sortie en décembre pour janvier, sans arrêté ministériel ou décret pour préciser les modalités de mise en place, les indicateurs notamment.
Au-delà des enjeux écologiques, économiques, il y a une certaine dimension sociale dans la gestion des déchets ?
LE : Oui, car garder cette gestion sur le territoire, c’est créer des emplois de qualité. Il est beaucoup plus valorisant d’entretenir des composteurs, de rencontrer des gens volontaires, contents de cette initiative plutôt que de travailler dans une usine de déchets hyper-dangereuse. Il y a une vraie vertu sociale : quand on installe des composteurs partagés, les gens se mettent à parler, ça rompt une part d’isolement en créant du lien de proximité, en rencontrant ses voisins. C’est une externalité cachée positive, que nous savons créer, et qu’on ne mesure pas quand on se rapporte seulement au coût de traitement d’une tonne de déchets.
Comment peut-on concilier une gestion des déchets de proximité avec la nécessité d’une certaine standardisation ?
LE : Je crois qu’il est vraiment possible de trouver un juste milieu. On n’est pas contre la mécanisation, on veut juste éviter des usines à 20 millions d’euros qui sont coûteuses et engagent les territoires sur des financements très très longs. On peut trouver des systèmes hybrides avec de la micro-mécanisation, qui permettent de faciliter le travail des personnes volontaires. Et pour les endroits où il n’y a pas d’initiatives citoyennes, on installe des composteurs grutables, un peu comme les bornes à verre. En tout cas, il faut que les consignes de tri soient les mêmes partout et arrêter de faire des particularités selon les lieux, car toutes les matières organiques sont valorisables.
Si l’implication citoyenne est louable, est-ce que ce n’est pas une manière pour les pouvoirs publics de déléguer une mission qui devrait leur revenir ?
LE : Heureusement qu’on a eu cette mobilisation citoyenne pour défendre le compostage pendant 15 ans. De base, on a vu les Belges gérer cela en bas de chez eux, et c’est arrivé en France, reconnu par un arrêté ministériel de 2018. C’est devenu une pratique très répandue. En France, il y a deux fois plus de gens qui compostent que des gens qui ont accès à la collecte séparée des biodéchets. Le changement climatique est la deuxième préoccupation des Français. Au niveau réglementaire, la compétence de gestion des déchets revient aux collectivités, ici à Montpellier, la Métropole. Donc ils ne peuvent pas complètement se reposer sur la participation citoyenne, car ils ont une responsabilité légale. Je suis administratrice du réseau national Compost Citoyen, 1er réseau des biodéchets de France, et on insiste bien sur le fait que les collectivités sont responsables et que plus ça va aller, plus la filière va se professionnaliser.