L'écrivain Soufyan Heutte revient avec "Rap au vif" pour "interroger notre sens de la justice”
Le Montpelliérain Soufyan Heutte, éducateur spécialisé à la Protection judiciaire de la jeunesse, présente son troisième roman, “Rap au Vif”. Un polar augmenté de plusieurs vidéos réalisées par Kaïna TV retraçant l'histoire d'un tueur en série s'en prenant à des femmes voilées. Rencontre avec l'auteur depuis le quartier où il a grandi, la Mosson.
Soufyan Heutte revient avec un troisième roman : “Rap au Vif” (2024, MultiKulti Éditions) Après Mes points sur les I (2017, L’Harmattan) et Mektoub ! (2022, Domens), le Montpelliérain écrivain et éducateur spécialisé auprès de jeunes délinquants, met en scène un tueur en série s’en prenant à des femmes voilées. Un livre “augmenté” de plusieurs vidéos réalisées par Kaïna TV et jouées par une douzaines de comédiens du cru ainsi que d’une playlist de morceaux de…rap, bien entendu.
Quel est le principe d’un livre augmenté ?
C’est un livre qui vit au-delà des pages, de l’objet physique. J’ai choisi de développer cinq moments du roman en les illustrant par des vidéos illustrant des réactions médiatiques : Snapchat, le live Twitch, le débat type talk show, l’interview en face-à-face et un duplex type micro-trottoir. Ces moments existent dans le roman, parfois par une simple phrase ou depuis une télé que personne ne regarde dans un bar. Le lecteur peut ainsi choisir de les déployer en scannant le QR code. Il y a aussi une deuxième partie d’augmentation : la bande-son rap qui vient quand même amener une ambiance. Mais si le lecteur ne regarde pas les courts métrages ou n’écoute pas la bande-son, cela n’enlève rien du tout au récit, c’est un polar à part entière.
Pourquoi avoir choisi ce procédé ? Qu’est-ce que cela apporte à votre récit ?
J’ai toujours essayé, dans mes romans, de jouer sur le format. Mon second livre, “Mektoub”, par exemple, c’est l’histoire d’un père et d’un fils qui ne se parlent pas, qui n’a ni début ni fin et pas de sens. Le livre peut se lire à l’endroit et à l’envers, un côté retrace l’histoire selon le point de vue du père, de l’autre c’est le point de vue du fils.
Quelle est l’histoire du livre qui nous intéresse aujourd’hui, “Rap au vif” ?
C’est très simple. Vous commencez avec les pieds dans le sang. Un tueur a égorgé une femme qui porte le voile. Le meilleur flic de la ville – très inspiré des figures d’inspecteurs bourrus travaillant à l’instinct des polars et séries américaines – est mis sur le coup. Il est sommé de faire équipe […] et il choisit un bleu, un mec chez qui il a décelé un certain don pour l’investigation. […] La particularité du roman, c’est que vous vous trouvez à l’intérieur du tueur, vous voyez toutes les scènes de son point de vue, à la première personne. […] J’ai voulu ainsi placer le lecteur dans ses yeux, créer une sorte d’empathie avec lui. Son argumentaire arrivera à vous convaincre et vous arriverez à le comprendre, pas forcément à l’excuser, mais à le comprendre.
C’est un livre que je voulais aussi baliser avec des personnages forts, atypiques comme un barman prêcheur catholique, un légiste à l’ancienne, un archiviste fan de pop culture, un vieux philosophe exilé roumain. […] Ce sont des personnages qui reviendront quasiment tous pour le second.
Vous annoncez qu’il y aura une suite ?
Alors, soit il y a un second, soit la fin est ratée [sourire]. Mais très clairement, en lisant la fin, vous avez envie d’en savoir un peu plus. Et cela a été pensé comme une trilogie dès le début. Le deux et la fin du troisième sont déjà écrits.
Quelle est la particularité de votre maison édition, MultiKulti éditions ?
C’est une nouvelle maison d’édition spécialisée dans le roman augmenté. Ils veulent “des fictions percutantes ancrées dans la réalité”, c’est comme que je le comprends. L’augmentation vient vraiment ajouter quelque chose, ce n’est pas du cosmétique. On est dans quelque chose d’hybride, où on va plutôt être sur quelque chose d’interactif.
Comment êtes-vous venu à l’écriture ? Vous êtes avant tout éducateur, c’est bien cela ?
Je suis éducateur spécialisé pour les jeunes en situation de délinquance. J’écris depuis tout jeune, j’ai toujours eu envie de jouer avec les mots. J’ai grandi ici, dans ce quartier [la Mosson], au Grand Mail. J’écrivais un peu de rap, des textes de réflexion, des micro-histoires. J’aimais créer des personnages, les faire réagir, Ça a toujours été mon petit dada, mon petit jardin secret. Mon premier roman, ”Mes points sur les I” (L’Harmattan, 2017), est inspiré d’une histoire vraie, celle d’un ami emprisonné, à mon sens, injustement et très durement.
Quel était le but de ce livre ?
Je voulais interroger notre sens de la justice, c’est un sujet qui m’intéresse énormément. Et dans “Rap au vif”, c’est le fil rouge, parce que le tueur a son propre sens de la justice, comme Caudron et l’inspecteur Ronsard ont le leur. Ce sont trois définitions différentes mais à un moment donné, qui a raison ? J’ai toujours pris l’habitude de jamais répondre mais si vous me connaissez, vous devinerez quelle est ma version de la justice. Mais sinon, ils sont tous aussi convaincants les uns que les autres. Il n’y en a pas un qui a le dessus. Après, il y a des gagnants et des perdants quand même. Sans spoiler la fin, tous ne finissent pas bien.