Les grands enjeux de l’agriculture de demain décryptés par l’expert Philippe Dessertine
Placée sous le signe de l'échange et du débat, à destination de ses partenaires externes, Arterris a organisé sa première convention au Palais des Congrès du Cap d’Agde le 9 juin dernier.
La conférence Symphonia a été rythmée par des interventions d’experts du marché, comme l’économiste français Philippe Dessertine.
Il enseigne à l’IAE de Paris ainsi qu’à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, préside le Comité Prospective « Comité 21 » en lien avec les accords de Paris et dirige l’Institut de haute finance. Philippe Dessertine est le directeur fondateur de la chaire Finagri, Financement de l’investissement dans l’agriculture, observatoire scientifique des émissions de finance verte et soutenable, et président-fondateur de l’association Finagreen, spécialisée dans la labellisation des investissements de développement durable en agriculture.
Philippe Dessertine est souvent présent à la télévision, comme dans les émissions Mots croisés, C dans l’air, Questions d’actualité... et à la radio sur RMC, France Inter, RTL et Europe 1. Il est également l’auteur régulier de tribunes dans les journaux comme Le Figaro, Le Monde, Libération, La Tribune.
Très impliqué sur les cultures du territoire et de l’agriculture de sa région, l’expert a abordé des questions cruciales pour la filière agricole. Pendant près d’une heure, il a captivé l’assemblée en faisant référence au contexte géopolitique et à la nécessité d’adopter une agriculture plus moderne, innovante et productive, tout en étant conforme aux attentes de la société. Les solutions pour relever collectivement les défis actuels, liés aux défis climatiques et économiques, ont été abordées. Il a également rappelé l’importance d’être fier de l’agriculture française, première agriculture européenne dont le savoir-faire est envié à travers le monde entier. Extraits de l’intervention de l’économiste de renom…
En 2019
« En 2019, la société française semblait de plus en plus en opposition avec l’agriculture. Des exploitants étaient parfois attaqués sur leurs propres exploitations, quand ils étaient sur leur tracteur. Leurs enfants, à l’école, entendaient dire que leurs parents étaient des pollueurs. Des politiques disaient que le gros problème du dérèglement climatique était l’agriculture. Le pétrole, l’aéronautique, la chimie, l’automobile… tout cela était normal. À cette époque, l’Europe disait que pour répondre aux défis climatiques, on allait réduire notre agriculture, mettre de plus en plus de terres en jachère.
Les agriculteurs en France se questionnaient… Ils avaient l’impression d’un divorce qu’ils n’avaient pas vu venir, ne comprenaient pas ce qui était en train de se produire. Ils se demandaient même s’il y avait encore un avenir dans leur métier » s’est remémoré Philippe Dessertine.
En 2020
« La pandémie est arrivée en 2020. D’un seul coup, on a confiné la planète entière, les gens «étaient chez eux, ne travaillaient plus, regardaient Netflix à longueur de journées, se disputaient avec leur conjoint, avaient leurs enfants dans les pattes… La question qui se posait souvent, était : ‘ au fait, on mange quoi ce midi ? On mange quoi ce soir ?’ Et là, quand on regardait la télé en 2020, pendant le confinement, on vous disait que vous aviez la grande chance, en Europe et en France, d’avoir de l’agriculture. Elle nous a permis de vivre; d’ailleurs les agriculteurs ont continué de travailler. Cela rassurait les gens d’être nourris quand même ! Au printemps 2020, tout s’est arrêté, sauf les hôpitaux et l’agriculture, à quelques autres exceptions près. La population mondiale, européenne, française s’est dit qu’en fait, l’agriculture est importante. Le regard a changé.
D’un seul coup, l’économie est repartie comme elle n’était jamais repartie. On a connu une croissance qu’on n’avait jamais connue. Nous étions tombés à -10, – 15 % selon les zones du point de vue mondial, et on est remonté à +20, + 22 % de croissance. Ce truc ingérable a conduit à un nouveau phénomène que l’on ne connaissait pas, la pénurie. Pénurie en tout : énergie, matières premières agricoles… D’un seul coup, on s’est rendu compte que quand tout le monde se met à travailler à fond, effectivement les choses s’accélèrent dans le monde. La question n’est plus de savoir comment on va répartir les différentes ressources disponibles, mais est de savoir qui en aura » a analysé Philippe Dessertine.
En 2022
« Il est arrivé quelque chose du Moyen Âge : la guerre. On se projette bien, car c’est un territoire proche de chez nous, en Europe; ce sont des gens qui sont exactement comme nous. Le problème fondamental en période de guerre est de se demander ce qu’on mange ce midi. L’agriculture va-t-elle encore fonctionner ? Quand les chars d’assaut écrasent les champs, il n’y a plus d’agriculture. Et lorsque quelqu’un produit du blé pour une grande partie du monde, et que tout d’un coup ses ports sont minés, bien évidemment, il ne peut plus exporter.
Là, tout d’un coup, la question agricole est revenue au premier plan : l’agriculture représente 5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. L’agriculture est donc devenue capitale, mais il va falloir construire tout le reste. Comment allons-nous faire, du point de vue de l’agriculture, pour pouvoir penser une économie qui fonctionne ? Notamment, quand on a des retours de peurs moyenâgeuses, qui en quelques mois redeviennent d’actualité, dans notre monde contemporain ? » a questionné Philippe Dessertine.
La vision change
L’économiste a assuré : « Nous sommes contents d’avoir l’agriculture que les autres n’ont pas. Beaucoup de gens envient notre agriculture. Dans les exploitations agricoles, les exploitants n’en reviennent pas du changement de regard. Ce n’est pas encore concret, mais on voit bien que la vision est en train de changer.
Il y a même, maintenant, des jeux vidéo créés par des agriculteurs. Certains gamins jouent à des jeux interactifs sur Internet ; ils sont passionnés par l’agriculture. À quel moment je vais mettre des engrais, quand faire ma récolte ? Il y avait des jeux pour faire la guerre, maintenant il y a des jeux pour faire de l’agriculture. L’état d’esprit change de jour en jour. Quand on va voir les grands fonds financiers, des gens qui gèrent des milliards d’euros, et qu’on parle d’agriculture, cela les intéresse beaucoup. C’est très porteur en ce moment.
Le regard change en accéléré, c’est rentable, c’est demandé, c’est attendu d’investir dans le monde agricole. Si vous avez besoin d’être convaincu qu’il y a un avenir, allez voir les financiers et vous serez immédiatement persuadé ».
L’agriculture, un métier d’avenir
Philippe Dessertine a expliqué : « C’est un métier hyper stratégique, dans un métier où l’argent va affluer. En 2007-2008, lors de la crise financière, il y avait vraiment un souci : nous avions 80 000 milliards de dollars de PIB mondial contre 140 000 milliards de dette. Fin 2019, le souci était de plus en plus fort, nous étions à 92 000 milliards de dollars de PIB mondial contre 250 000 milliards de dette, une masse monétaire beaucoup trop importante à l’échelle mondiale. La Covid a créé de la monnaie sans créer de richesse. Aujourd’hui, on est à 92 000 milliards de dollars de PIB mondial contre 300 000 milliards de dette, typiquement dans un terrain inflationniste. L’inflation commence, donc on commence à raisonner. Ce qui auto-alimente l’inflation, c’est le fait que l’on n’investisse plus en monnaie. On va aller de plus en plus vers les valeurs refuges, comme l’or, la cryptomonnaie, la pierre, et bien sûr… la terre ! »
Philippe Dessertine a conclu sur la nécessité de penser l’agriculture de façon collective. Il a mis en exergue le rôle primordial des coopératives agricoles comme Arterris, dans la construction d’un nouveau modèle et la mise en place d’actions concrètes pour demain.