Les Matelles : la Vinaigrerie Montpelliéraine, gardienne d’un savoir-faire
Fûts en chêne, bouteilles en grès, odeur de vinaigre dans l’air, bienvenue dans la Vinaigrerie Montpelliéraine. Une petite boutique aux Matelles, 4 rue des arcs-boutants où Nicolas Robinson propose un vinaigre gastronomique qu’il fabrique dans son chai à Saint-Gély-du-Fesc.
Nicolas Robinson est vinaigrier aux Matelles, au nord de Montpellier. Le 6 juin 2024, il remporte, à l’occasion de la 14e édition d’Artinovart’s, le prix “développement gagnant de l’Hérault” de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat d’Occitanie. “Je travaille comme dans les années 1960 avant la mécanisation, rigole Nicolas Robinson, en pointant du doigt ses vinaigres. Le travail est tout à la main, j’ai zéro machine. Un vigneron en utilisera une au moins pour embouteiller, pas moi”. En France, le métier de maître vinaigrier se raréfie. La plus grande partie de la production est industrielle. Il n’en reste qu’une poignée comme Nicolas. Le fabricant de vinaigre bio explique qu’il remet “l’artisanat au centre du processus de fabrication de son produit”.
Alors pourquoi le vinaigre ? Au départ, Nicolas Robinson se voyait dans la vigne, porteur de l’héritage languedocien, mais après avoir constaté les difficultés liées au terrain, il s’est tourné vers une filiale inexploitée en région: le vinaigre. “Quand j’ai vu qu’il n’y en avait pas dans l’Hérault, j’ai sauté sur l’occasion. Personne ne fait cette transformation-là.“
Fruit de son développement depuis 2020, il remporte en 2023 le prix de la TPE et en 2024 le prix “développement gagnant de l’Hérault” de la CMA d’Occitanie. Reflet de sa notoriété, Nicolas Robinson doit assister pour la première fois à La Grande Exposition du Fabriqué en France qui se tiendra en septembre à l’Élysée. Puis, au salon Made in France de novembre où il présentera ses produits, comme la bouteille de 20cl du vinaigre “bougre d’âne” à 15€.
Rencontre avec Nicolas Robinson de la Vinaigrerie Montpelliéraine
Comment fait-on pour intéresser un potentiel client au vinaigre ?
Nicolas Robinson : Les gens sont de plus en plus à l’écoute des bons produits, même si le vinaigre est à la base un produit avec une image dégradée. Quand j’ai commencé, on me disait “Ah, le vinaigre, la bonne blague !”. Après tout, le vinaigre était dans les années 1980 le vin de rebus. Par mes choix, moi, j’essaie de l’anoblir. J’ai mis l’accent sur la qualité, même si les gens y voient encore un sous-produit.
À quantité égale, votre vinaigre gastronomique peut être 6 ou 7 fois plus cher qu’un vinaigre de supermarché. Comment expliquez-vous cet écart ?
N.R : L’essentiel pour faire un bon vinaigre, c’est d’avoir une bonne matière première. C’est, en revanche, un coût en plus. En achetant plus cher un produit de base, tout se répercute. Je sélectionne les vins bio que je veux, pas des fonds de cuve. Ensuite, le vinaigre repasse une certification bio. Et puis, à cela s’ajoutent les contenants. J’ai voulu que tout mon système soit écoresponsable, en choisissant des bouteilles en grès. Elles sont plus chères mais meilleures pour la conservation. Avant, les moutardes et les vinaigres y étaient stockés. La terre cuite en grès permet une inertie par rapport aux écarts de températures et protéger le contenu. En revanche, elles sont rechargeables, ce qui permet par la suite de faire baisser le prix. Je travaille aussi avec des caisses en bois recyclable et les cuillères de dégustation sont en porcelaines : des matières naturelles, rien de jetable. Enfin, le travail est réalisé exclusivement à la main. Je fais tout, tout seul. Pas de machine. Un industriel peut créer du vinaigre en 24h, moi il me faut parfois 36 mois, alors forcément, c’est un coût.
Comment fonctionne l’économie du vinaigre ?
N.R : Le problème du vinaigre, c’est que ce n’est pas un produit comme une bouteille de vin que tu consommes et rachètes. Le client satisfait revient, mais c’est une rotation longue : une bouteille peut durer 3 mois, si ce n’est 6 mois. Alors, être présent sur un marché une fois oui, le refaire chaque semaine en revanche n’a pas forcément de plus-value ou de sens. Cette rotation, c’est d’ailleurs toute la valeur du vinaigre ! C’est un produit fini qui tient dans le temps : il n’y pas de date limite de consommation. Plus le temps passe, plus il sera meilleur.
Vous doublez chaque année votre chiffre d’affaires, quelles sont vos projections pour 2024 ?
N.R : J’ai atteint les 45 000€ en 2023. Je prends un alternant et je lance les ventes en ligne cette année pour atteindre les 100 000€. Et puis, on va goûter à l’international aussi avec les aides de la région. Je travaille avec les douanes pour obtenir le label ‘Fabriqué en France’, impératif pour exporter.
Comment comptez-vous maintenir l’authenticité de votre activité tout en continuant à grandir ?
N.R : Je tiens à garder l’âme de la vinaigrerie. Je souhaite me développer doucement et continuer à être sélectif. Dans la qualité de mes produits et mon prix, je m’adresse à une élite. Je ne peux donc pas me fixer comme objectif de faire du volume. Ce n’est pas compatible. Je sais que je dois m’arrêter à un ou deux employés. C’est aussi ma philosophie d’y aller step by step, de valider toutes les étapes, de prendre le temps de trouver ma clientèle. Je n’ai jamais poussé les ventes. Ça correspond au produit et à moi. Il y a une vraie logique, et ça transpire un peu tout ça je trouve. En italien, on dit “Chi va piano, va sano e va lontano”, “malo po malo”, en Croate. “Petit à petit”, c’est la philosophie du vinaigre.