Lodève : l’histoire des femmes de harkis tissée à jamais
L’exposition “Les Courageuses” à la manufacture nationale de la Savonnerie, qui rend hommage à ces tisserandes, se termine le 8 novembre mais pourrait être prolongée quelques jours.
Au rez-de-chaussée de la manufacture de la savonnerie de Lodève, de grands tapis sont exposés. Certains arborent des motifs venus d’Algérie, d’autres sont plus modernes, avec des formes géométriques colorées et abstraites. Leur point commun : tous ont été tissés par des femmes, sœurs ou filles de harkis, arrivées en 1964 à Lodève pour l’ouverture de l’atelier.
“Elles travaillaient beaucoup, c’était dur”, témoigne Nordine Benameur, dont la tante a été licière. Lui-même devenu technicien d’art dans l’actuel atelier de la savonnerie, l’homme d’une cinquantaine d’années a travaillé pendant plusieurs années aux côtés de la dernière génération des femmes de harkis, quand il a intégré la manufacture en 1993. Il fait partie des deux seuls liciers issus de cette communauté algérienne.
Des tapis berbères fabriqués à Lodève
Après la fin de la guerre d’Algérie, soixante familles de harkis débarquent d’abord dans des camps puis sont envoyées à Lodève. Les femmes fabriquent des tapis berbères dans les ateliers de textile abrités dans un baraquement militaire, tandis que les hommes travaillent dans les forêts.
“Lodève a une tradition textile, elle confectionnait des draps sous Napoléon. Au début des années 1960, la ville était en difficulté, elle a vu l’arrivée de ces femmes de harkis et leur savoir-faire puisé dans le patrimoine culturel nord-africain comme une opportunité de relancer le textile”, explique Fadelha Benammar Koly, conseillère socialiste de la région Occitanie qui est à l’origine de l’exposition “Les Courageuses” avec l’association Mémoires Méditerranée. “Le rythme de production était intense, l’idée était de tirer des bénéfices”, continue l’élue, qui a grandi dans la cité de la gare où ont été logées toutes ces familles de harkis.
Mais en 1966, l’atelier passe de la tutelle du ministère de l’intérieur à celle du ministère des affaires culturelles puis il est rattaché au Mobilier national. Il devient une annexe de la prestigieuse Manufacture nationale de la savonnerie de Paris, qui fabrique des tapis d’exception pour les plus grandes institutions françaises, dans l’Hexagone ou à l’étranger.
“Les femmes se sont conformées à la façon de tisser du mobilier national. Elles ne font pas que des tapis modernes mais aussi des tapis de style Louis XVI et napoléonien, ou des œuvres d’artistes contemporains”, rappelle Mme Benammar Koly, qui explique que “toute leur vie, elles ont tissé des tapis qui ont orné les plus hauts lieux de la république française”. Mais en coulisses, ces femmes “n’avaient pas vraiment de statut, elles étaient contractuelles ou vacataires”.
Empreintes dans la ville
L’événement Les Courageuses, qui a duré du 22 septembre au 8 novembre et qui pourrait être prolongé de quelques jours, veut alors rendre hommage à ces femmes à travers des expositions, des tables rondes ou des lectures théâtralisées. “Nous avons pu toucher des personnes qui n’étaient pas forcément issues de cette histoire. Car l’exil touche tellement de gens en France, on est mélangés. Il y a de la mixité dans toutes les familles”, résume Fadelha Benammar Koly, à l’heure du bilan.
Son objectif était de faire connaître cette histoire aux Lodévois. Comme une empreinte gravée à jamais dans la ville, une fresque murale de dix mètres a été réalisée par Fahrenheit, artiste femme de street art, dans l’allée qui mène à la manufacture de Lodève. Et l’impasse des Liciers vient d’être rebaptisée allée des Licières.
Un peu plus bas, un banc a été installé au bord de la Lergue, près de l’endroit où jouaient les enfants des licières. Sur le dossier vert sont gravés de manière pérenne des témoignages, issue du livre La Cité des tapis, une communauté de rapatriés d’Algérie.
Transmettre aux jeunes générations
“Nous avons voulu laisser redonner de la vie à ces espaces mais aussi laisser des traces de cette histoire”, explique Fadelha Benammar Koly, qui craint qu’elle disparaisse si elle n’est pas racontée. “Ce sont des femmes dont on a peu entendu parler alors qu’elles ont été avant-gardistes pour l’époque, la première crèche de Lodève a été construite pour accueillir leurs enfants pendant qu’elles travaillaient”, précise Fadelha Benammar Koly pour qui l’idée n’est pas seulement de regarder dans le passé. “Cela permet de comprendre pourquoi certaines familles habitent aujourd’hui à Lodève. On raconte cette histoire aux jeunes générations pour qu’il y ait une transmission.”