Lodévois, sécheresse : "Pour faire du miel aujourd'hui, il faut être très réactif"
Durement touchés en 2022, certains apiculteurs de l'Hérault ont bénéficié d'une indemnisation "calamité agricole". La saison 2023 s'annonce tout aussi difficile, les obligeant à s'adapter. Rencontre avec l'un d'entre eux, Julien Bourrette, au milieu de ses ruches dans le Lodévois.
“En 2022, on a pas fait de miel”
“On n’a pas fait de miel, témoigne l’apiculteur Julien Bourrette dans le bourdonnement incessant des insectes volants autour de ses ruches à Olmet-et-Villecun, dans le Lodévois. Les abeilles n’ont pas crevé de faim mais elles n’ont pas fait de miel.” Si la sécheresse n’affaiblit pas directement les butineuses, elle affecte la végétation, et donc le nectar et le pollen des fleurs dont elles se nourrissent. “Cela crée des conditions très mauvaises pour ce que l’on appelle la miellé, les montées de nectar. Le nectar est composé à 80% d’eau, donc s’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de nectar.”
Les châtaigniers, par exemple, ont fleuri trois jours l’été dernier puis “il a fait 41 degrés, ça a grillé toutes les fleurs et c’était plié. La sécheresse, en agissant sur la végétation et les fleurs, agit sur les ressources alimentaires de l’abeille”, résume l’apiculteur qui transhume ses ruches pour diversifier sa production et trouver la ressource florale indispensable à son activité.
“J’avais fait une tonne en 2021, l’an passé : zéro”
Au printemps 2021, il avait ainsi mené une cinquantaine de ruches sur le Larzac. “J’avais fait une tonne de miel, dit-il. L’année dernière, ces ruches ont fait zéro – enfin 50 kg, c’est quasiment rien – au même endroit. Celles-ci, je les ai rapidement déplacées pour terminer la saison sur les tournesols et j’ai pu faire du miel, ça a plutôt bien marché.”
La transhumance des abeilles est un levier essentiel, voire indispensable, pour s’adapter au changement climatique. “Si tu es très réactif, tu peux anticiper et aller dans les endroits où il y a de l’eau. Mais au fur et à mesure que la saison avance, tu as de moins en moins le choix car les fleurs fleurissent, elles ne t’entendent pas. Il faut donc faire des choix pour déplacer les ruches à des endroits où il va y avoir de la ressource. Si tu vois que ça mielle pas, il faut réagir. Il faut avoir une très bonne connaissance du terrain, de la météo et du climat mais aussi de la botanique”, analyse Julien Bourrette.
“Tu as cent jours pour faire du miel”
Basé dans la garrigues du Lodévois, l’apiculteur de 40 ans déplace ses essaims productivistes au gré des floraisons et des ondées sur des terrains privés appartenant à d’autres paysans, à des connaissances ou encore à l’Office national des forêts (ONF). “Dans l’absolu, je vais où je veux. Après, ce sont des choix éthiques. Moi, l’idée, c’est d’utiliser le moins de gazole possible.”
La Drôme provençale pour la lavande, le plateau de l’Espinousse pour les bruyères et les châtaigniers en été, le Larzac entre mai et juin… Ses abeilles voient du pays et sont sommées d’aller butiner ailleurs quand le moment est venu. “En gros, la saison va d’avril à juillet, voire août au maximum. Tu as cent jours pour faire du miel”, assène-t-il d’un ton mercurien.
“Les floraisons se chevauchent et durent moins longtemps”
Un compte à rebord stressant, quelque peu déboussolé par le réchauffement qui plus est. “On se rend compte que le changement climatique et les sécheresses font que les floraisons et les miellés durent moins longtemps, qu’elles ont tendance à s’avancer dans le temps et à se chevaucher. Avant, tu faisais la miellée de garrigues et tu récoltais vers le 15 juin, puis tu bougeais ensuite sur les châtaigniers qui démarraient vers le 1er juillet. Aujourd’hui, les floraisons se chevauchent, la garrigue peut encore travailler alors que les châtaigniers sont déjà en fleurs, et qu’il faut donc y aller. Et au lieu de fleurir sur trois semaines, un mois, ça fleurit sur deux semaines maximum.”
De plus, l’appauvrissement floral creuse le ventre des abeilles et nuit à la diversité de leur bol alimentaire créant des périodes de famine au printemps, phénomène inédit jusqu’à présent. “Il faut les nourrir avec du sirop de sucre qu’elles ne stockent pas, il y a des moments où tu es obligé. Tu les sauve mais ça n’empêche pas qu’elles aient des carences en pollen”, précise-t-il.
Sa stratégie : réactivité et mobilité
Cette saison 2023 s’annonce tout aussi difficile dans les ruches que ne l’a été celle de l’an passé. “J’ai un rucher sur lequel je récolte du pollen de cistes , j’ai posé les trappes à pollen, ils commencent à fleurir et ils jaunissent déjà par le bas. Cela veut dire qu’ils vont peut-être fleurir en une semaine au lieu de deux à trois semaines. Je risque de faire une récolte de misère“, se désole le Lodévois, déjà prêt à charger ses ruches sur son camion.
“Mes stratégies pour le changement climatique, c’est d’être en capacité de déplacer les ruches, bien sûr, et d’avoir des emplacements variés pour pouvoir improviser. Et travailler après sur la sélection. Je fais partie d’un Ceta, un Centre d’études techniques agricoles. On est un collectif d’apiculteurs, on fait de la sélection pour trouver une abeille adaptée au milieu méditerranéen. Des abeilles plus rustiques au niveau autonomie alimentaire et qui vont être plus économe, il y a un levier intéressant mais c’est compliqué. Il faut être beaucoup, on est quatorze apiculteurs, on a entre 300 et 800 ruches, ce sont des projets collectifs”, conclut avec espoir l’apiculteur. A l’instar de ses abeilles, Julien Bourrette devra donc compter sur l’organisation collective pour sauver ses récoltes annuelles.