Société — Montpellier

Montpellier : "100% des femmes victimes de violences conjugales sont victimes de cyberviolence"

En France, plus d’une femme sur deux dit avoir déjà été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle au moins une fois dans leur vie. Et dans 91% des cas, les victimes de viol ou de tentative de viol connaissent leur agresseur. Le CIDFF leur vient en aide et les accompagne.

Au premier étage d’un immeuble ancien de l’Écusson de Montpellier, les femmes défilent dans la salle d’attente des locaux du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de l’Hérault où sont placardées des affiches de prévention contre les violences faites aux femmes. Ici, l’association s’engage à accompagner les victimes, tant au niveau juridique qu’au niveau psychologique. Rencontre avec Aline Faucherre, présidente du CIDFF et Fleur Favre, cheffe du service conjugalité, parentalité et violences. 

Hérault Tribune : La maison des femmes sera inaugurée le 25 novembre. Aline Faucherre, vous en êtes la coprésidente. En quoi sera-t-elle complémentaire à l’accueil que vous proposez au CIDFF ? 

Aline Faucherre : Cette maison, qui fonctionne depuis le 27 juin, se trouve avenue de la Pompignane, dans des locaux du CHU. Nous ne faisons pas d’hébergement, c’est un lieu d’accueil, de soin et de prise en charge global. Pour nous la plus-value, c’est qu’il y a la dimension santé avec une sage femme, une gynécologue, bientôt la médecine légale, un psychiatre et un pédiatre. Sur le même lieu, on a tout. Même la possibilité de déposer plainte ou de faire des interventions volontaires de grossesse médicamenteuses sur place. Cela ressemble à une maison chaleureuse et non pas à un hôpital pour que les femmes se sentent bien et en confiance pour parler. Car plus on agit vite, plus les chances de s’en sortir sans trop de dommages psychiques ou physiques sont grandes.

Quels accompagnements concrets proposez-vous aux femmes victimes de violences qui viennent vous voir au CIDFF ? 

Fleur Favre : Nous proposons d’abord un soutien individuel psychologique pour permettre aux personnes de comprendre la violence et l’emprise qu’elles vivent. Nous proposons aussi des groupes de parole qui permettent un effet miroir : les femmes entendent que les mots des autres font échos à leurs propres mots, et cela les aide à prendre conscience de ce qui leur arrive. Les femmes, qui sont toutes à un stade différent de leur cheminement, se soutiennent. 

Que faites-vous quand une femme veut porter plainte ? 

F.F : Systématiquement, nous proposons un accompagnement juridique même si la victime n’a pas l’intention de porter plainte. Le but est d’informer la victime sur ses droits. Pour certaines personnes, c’est suffisant d’entendre que ce qu’elles ont vécu est interdit par la loi. Elles ne veulent pas forcément aller en justice car c’est un long parcours, elles n’ont pas assez de preuves, ou elles ne veulent pas envoyer le père de leurs enfants en prison. Mais si une personne veut porter plainte, nous l’accompagnons pour trier et évaluer dans son récit ce qui pourrait avoir du poids pénalement et réunir les preuves.

Avoir des preuves, c’est l’un des enjeux dans le cadre d’une procédure judiciaire. Quels conseils donnez-vous aux victimes de violences ?

F.F : Pratiquement 100% des femmes victimes de violences conjugales sont victimes de cyberviolence et sont contrôlées via les outils numériques. En général, quand l’agresseur sent que la séparation arrive, il détruit le téléphone avec toutes les preuves. Donc nous les invitons à faire un mémo de vie, un coffre-fort numérique où les preuves sont conservées quoiqu’il arrive au téléphone. 

Comment avez-vous dû adapter votre accompagnement avec les nouvelles technologies ? 

A.F : Nous parlons maintenant de “contrôle coercitif”, qui dit bien que c’est l’agresseur qui contrôle, qui contraint et qui prive de liberté. Qu’est-ce qu’une personne a mis en place pour que sa compagne ne puisse pas quitter le domicile, pour qu’elle n’ait pas de ressources ou qu’elle ne s’habille pas comme elle le souhaite ? Je prends l’exemple d’une dame que nous avons reçue. Alors qu’elle conduisait, son mari a pris le contrôle de son véhicule à distance, il a hurlé dans les hauts-parleurs, il a garé la voiture puis l’a fermée. Toujours à distance. On a toujours un train de retard sur les auteurs mais on s’adapte au fur et à mesure. 

Comment a évolué la prise de conscience ces dernières années ?

F.F : Des femmes viennent toujours en disant qu’elles ont des problèmes de couples mais qui décrivent des violences qu’elles n’identifient pas, car elles ne remettent pas en question ce rapport de domination des hommes sur les femmes. Je pense que chez les jeunes ça évolue plus vite. Mais les 35-50 ans, qui sont dans la parentalité, ont plus de mal à voir les violences. 

A.F : Je serai plus optimiste que toi. Il y a 50 ans, les femmes arrivaient complètement détruites parce qu’elles avaient frôlé la mort. Aujourd’hui, elles réagissent sur des passages à l’acte moins graves. Et les femmes sont plus autonomes, elles savent qu’il y a des lois pour les protéger. 

Et quel a été l’impact du mouvement MeeToo ? 

F.F : Les demandes et les appels ont considérablement augmenté mais pas nos financements. C’est difficile de vous donner des chiffres mais face à l’afflux nous avons dû changer notre organisation. Nous avons mis en place des permanences sans rendez-vous, afin de pouvoir répondre rapidement et quand c’est le bon moment pour la personne. Nous avons par exemple un accueil de jour à Sète et des lieux d’écoute, d’accueil et d’orientation à Montpellier et à Béziers qui permettent aux femmes de venir sans rendez-vous.

Quelles sont les répercussions de l’affaire Pélicot sur les femmes que vous suivez ? 

F.F : Les femmes que je suis ne sont pas si choquées que ça car ce que décrit Gisèle Pélicot ressemble à leur quotidien. Certaines s’agacent même de voir l’étonnement des gens. Car les soumissions chimiques ne sont pas rares mais personne ne le voit. Par exemple, je connais une dame qui a vécu la même chose que Gisèle Pélicot mais l’affaire a été classée sans suite pour défaut de preuve.

A.F : Ce qui me paraît important à retenir, c’est la banalité des profils des agresseurs et la dimension sexiste avec l’idée que le corps de Gisèle Pélicot appartient à son mari. Ce qui est positif, c’est que le débat public s’empare de termes comme culture du viol qui jusque là étaient réservés à un petit monde de féministes. Il y a une prise de conscience de la société du côté systématique des violences sexistes et sexuelles. 

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