Montpellier : artistes et lanceurs d'alerte interpellent sur l'affaire du Mediator
Le photographe Marc Dantan et la lanceuse d’alerte Irène Frachon dénoncent les conséquences destructrices du Mediator.
L’histoire de ce médicament dérivé de l’amphétamine, qui a fait de nombreuses victimes, est décortiquée à Montpellier lors du premier événement français à ce sujet. Du 4 au 26 mars 2023, plusieurs artistes, dont le photographe montpelliérain Marc Dantan, présentent à l’espace Saint-Ravy des œuvres inspirées de l’affaire.
Pour ponctuer l’exposition, une conférence sera donnée le jeudi 9 mars, à 18h30, à la faculté de droit et de science politique. La pneumologue Irène Frachon et l’avocat Jean-Christophe Coubris prendront la parole à cette occasion.
Un danger avéré
En 1960, le laboratoire Servier synthétisait des dérivés des amphétamines : les fenfluramines. Sur la base de cette nouvelle molécule, il a commercialisé le coupe-faim Pondéral en 1963, l’antidiabétique Mediator en 1976 et le coupe-faim Isoméride en 1985. De 1987 à 1994, plusieurs études de médecins dévoilaient les dangers des fenfluramines, entraînant leur retrait du marché en 1997. Pourtant, le Mediator, qui contenait la même molécule au même dosage que l’Isoméride et le Pondéral, est resté commercialisé. Les premiers cas d’hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie sous Mediator, furent constatés en 1999. À la suite de ce scandale naissant, les laboratoires Servier ont fermement nié la présence de fenfluramines dans le Mediator. Il ne sera retiré du marché qu’en 2009.
Officiellement utilisé dans les cas de diabètes pour ses actions “antigras”, le Mediator était souvent prescrit en guise de coupe-faim. En tout, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux comptabilise 3 700 victimes (vivantes ou décédées) du médicament.
Les germes du projet
Le photographe montpelliérain Marc Dantan a découvert l’affaire du Mediator en 2017 grâce au livre Mediator 150 g : combien de morts ? 1976-2009. Enquête sur une toxicité attendue de la pneumologue brestoise Irène Frachon. “Le film Fille de Brest m’a également profondément impacté, explique-t-il. Je me suis demandé : Que puis-je faire de ma colère et de ma révolte ? J’ai alors contacté Irène Frachon pour lui partager mon projet d’exposition, elle m’a répondu Banco !”. L’artiste a rencontré de nombreuses victimes aux histoires dramatiques pour réaliser leur portrait. “Au début, j’avais l’idée de réaliser mon exposition en noir et blanc, pour masquer l’immense douleur. Mais à la suite de ce procès injuste, j’ai choisi la couleur, pour rendre visibles les marques”.
Une exposition qui a du sens
Dans le but de dénoncer les conséquences de ce produit, l’artiste a photographié 52 victimes opérées suite à leur traitement par le Mediator. Ces clichés montrent l’horreur vécue par les malades à travers les stigmates des corps blessés. “Le but est de permettre aux visiteurs d’appréhender la réalité de la douleur des victimes de ce scandale le plus criminel de France, ajoute-t-il. En tant qu’artiste, il est de mon devoir d’en parler, parce que cette affaire en dit long sur l’histoire de la pharmacologie française. Elle fait date dans l’histoire de la médecine. Au niveau mondial, il n’y a jamais eu de crime aussi important. Le scandale fait aussi écho à un autre problème majeur, celui du sexisme intégré. Le médicament, qui a été vendu comme un coupe-faim, rappelle le diktat de la minceur et de la beauté que subissent les femmes au quotidien et depuis toujours. Cette injonction se fait au péril de leur santé, voire de leur vie. Dans cette affaire, 70 % des victimes sont des femmes. La vocation de ce travail est de parvenir à faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un sujet d’information, il s’agit d’êtres humains, de vies, de tout un pan de notre société qui ne va pas bien”.
“Ces photographies sont dures et tragiques, mais elles restent magnifiquement faites, admire l’adjointe à la culture de Montpellier, Agnès Robin. Il est très important d’accueillir cette exposition à Montpellier, car, malgré le retentissement de cette affaire, il n’y a jamais eu d’événement sur le sujet. Cette exposition trouve parfaitement sa place au mois de mars, marqué par la Journée internationale des droits des femmes. Elle résonne par rapport au thème de cette année : les droits des femmes à disposer de leur corps.“
Exposer l’insupportable
L’exposition se concentre sur les victimes opérées à qui les médecins ont changé les valves cardiaques. Elle comporte un panneau d’images qui rappelle le prénom des victimes, le nombre d’années qu’elles ont passées sous Mediator et le nombre de valves qui ont dû être opérées. “Sur quelques-unes des photographies, on peut apercevoir un discret ruban noir, pour signifier que ces victimes ne sont plus…”, glisse d’un ton triste Marc Dantan.
Le photographe confie ne pas avoir retranscrit les témoignages des 52 personnes : “C’était trop bouleversant, trop horrible. La majorité des victimes sont défavorisées et démunies, et chacune a vécu des histoires terrifiantes. Je me souviens encore d’une qui avait été contrainte de s’ouvrir la gorge en pleine nuit pour ne pas suffoquer.”
Les portraits n’ont pas de décor, c’est la démarche artistique qu’a préférée l’artiste pour que le sujet de la photographie demeure l’individu. “Ce que j’ai voulu montrer, c’est son regard et son émotion dans la souffrance et la douleur. Je n’ai utilisé aucun procédé technique afin de montrer la réalité et de ne pas éterniser cette prise de vue déjà difficile. Les femmes que j’ai photographiées étaient en souffrance physique et mentale, surtout lors des clichés de leur cicatrice au niveau du cœur. Le geste d’ouvrir le décolleté est devenu bouleversant et non plus source de plaisir“, explique-t-il. L’exposition devait se cantonner à ces portraits, mais Irène Frachon lui a annoncé une triste nouvelle, une des femmes qu’il avait photographiée, Yvette, devait se faire opérer d’une valve cardiaque en urgence. “J’ai pu la photographier durant ce moment douloureux et reporter l’intégralité de l’intervention à cœur ouvert. Cette opération est extraordinaire, il s’agit du génie humain au service de la destruction“.
Des œuvres engagées
Trois autres artistes montpelliérains sont présents pour habiller l’exposition d’œuvres imaginées en rapport avec le sujet. Fanny Gillequin, David Pitre et Maïa Amiel dénoncent l’enfer médical que les victimes ont vécu à cause du Mediator.
L’artiste Fanny Gillequin, spécialisée dans le dessin, a réalisé l’œuvre “Que fleurissent les poisons”. “Il s’agit de cœurs en floraison, cela semble joli, mais chacune des fleurs est cardiotoxique. La fleur du milieu est une invention qui fait écho à la boîte, c’est ma fleur du Mediator. J’ai voulu conceptualiser le mensonge pharmaceutique, la manière dont le laboratoire a vendu comme un miracle, un poison mortel”, dénonce-t-elle.
L’œuvre de David Pitre est un hommage aux victimes. Il a recréé un bloc opératoire dans lequel un cœur en porcelaine, fragile, est en perpétuelle rotation. “Il tourne dans le sens de rotation de la Terre. Sur lui, se projettent les photographies de Marc Dantan des défuntes victimes du Mediator ainsi que des vidéos de l’univers. Je pense que c’est l’endroit où elles reposent“, énonce-t-il avec émotion.
La troisième artiste, Maïa Amiel, a effectué un travail autour du textile dans lequel elle a utilisé les déchets de son atelier et les a mis sous vide, dans des pochettes en forme de cœurs. “À l’intérieur, il y a des mots en rapport avec ce scandale. J’ai voulu mettre en scène cette construction dans une forêt angoissante inspirée par celle de Blanche-Neige. Pour cela, j’ai mis en opposition la nature et des cœurs dénaturés et plastifiés. En guise d’hommage, certains contiennent des fleurs que j’ai été chercher au cimetière, en guise d’accusation, d’autres, contiennent des blouses médicales. Mon œuvre “Battements et pulsations, ce qui se joue dans l’ombre” dénonce un mécanisme de fabrication de victimes”, explique-t-elle, révoltée.
Le procès
Cette exposition a une raison d’être juridique, car le procès est actuellement en appel. Marc Dantan a d’ailleurs réalisé une courte vidéo nommée “Matière noire”. Le titre fait référence à la mutation de la matière grise vers le mal. Le photographe, qui était présent au tribunal, raconte le “bal de pantins surréaliste des monstres de Servier”. “Il y a de la corruption et des conflits d’intérêts à tous les étages, c’est d’un cynisme profond provoqué par l’argent, témoigne-t-il, effaré. Il y a également une puissante paranoïa avec pour volonté de faire taire tous les détracteurs avec des menaces de mort. Pour moi, il s’agit d’un crime, car il y a une dimension intentionnelle, reconnue par la justice. Les laboratoires ont caché la molécule tueuse de l’Isoméride dans le Médiator. Ce n’est plus à prouver. Ils ont créé un produit pour gagner de l’argent basé sur une molécule dont on sait qu’elle est assassine“.
Il y a un an, Irène Frachon rappelait sur le plateau télévision du Magazine de la Santé, que le tribunal avait tranché. “De façon délibérée, on a exposé des personnes à un poison pour gagner de l’argent”, rapportait-elle. Les laboratoires sont alors accusés de blessures et d’homicides involontaires, pourtant, aucune peine de prison ferme n’a été décidée en 2019, lors du procès. “Le problème reste la prescription, le procès traîne en longueur et des faits ont déjà été prescrits”, s’inquiète Agnès Robin, l’adjointe à la culture habilitée à diriger des recherches en droit privé et sciences criminelles.
Une conférence explicative
La conférence du jeudi 9 mars à 18h30 aura pour invités deux lanceurs d’alerte : la pneumologue Irène Frachon et l’avocat Jean-Christophe Coubris. Irène Frachon a en grande partie contribué au retrait du produit après avoir recensé plusieurs effets secondaires indésirables graves parmi sa patientèle, et l’avocat Jean-Christophe Coubris a beaucoup aidé les victimes dans leurs poursuites judiciaires. Ensemble, ils reviendront sur la découverte de cette affaire sordide, l’alerte donnée aux autorités sanitaires et les retombées juridiques pour les victimes.
Informations pratiques
L’exposition
Lieu : Espace Saint-Ravy – place Saint-Ravy – Montpellier.
Dates et horaires : l’exposition se tiendra du 4 au 26 mars, du mardi au dimanche de 13h00 à 19h00.
La conférence
Lieu : Faculté de droit et de science politique (amphithéâtre Guillaume-de-Nogaret, au 1er étage du bâtiment 1) – rue de l’Ecole Mage – Montpellier.
Date et horaires : le jeudi 9 mars de 18h30 à 20h00.
Le nombre de places est limité.