Expositions — Montpellier

Montpellier : Djamel Tatah décline le mal-être de la société au Musée Fabre

A Montpellier, le Musée Fabre présente une quarantaine de tableaux du peintre Djamel Tatah, à l'occasion de l'exposition "Le Théâtre du silence". Une réflexion sur les maux auxquels est confrontée notre société…

Photo : le peintre Djamel Tatah devant l’un de ses tableaux au Musée Fabre © Virginie Moreau.

Conçue comme un dialogue entre ses premières œuvres sur bois des années 80 et ses tableaux les plus récents, mais pas comme une rétrospective, cette exposition dévoile les préoccupations de Djamel Tatah, un artiste accompli, reconnu sur la scène artistique française, et installé à Montpellier depuis trois ans.

Les images et les photos, une base de travail

Aux cimaises du hall Buren, qui abrite l’accueil du musée, figurent 12 tableaux au fond rouge ou bleu issus d’une même série de 21 tableaux, où un jeune homme est adossé à un mur. Un hommage à la jeunesse algérienne. On y comprend ainsi dès l’entrée dans le musée le principe de répétition cher à l’artiste dès le milieu des années 1990.

Exposition Djamal Tatah au Musée Fabre © Virginie Moreau
Exposition Djamal Tatah au Musée Fabre © Virginie Moreau

Le sas d’entrée vers le rez-de-chaussée propose un film d’une quinzaine de minutes réalisé par Saoussen Tatah, la fille du peintre, réalisatrice. On voit Djamel Tatah évoluer et s’exprimer dans son atelier, au musée Fabre ou encore dans les rues de Montpellier. Trois diaporamas de photos et d’images montrent aux visiteurs les sources d’inspiration du peintre. Les reproductions d’œuvres d’art (Vermeer, Poussin, Delacroix…), et sa banque photo glanée au fil du temps, composée de clichés personnels de son entourage qu’il fait poser pour lui et d’images publiques, lui fournissent matière à créer. Il se nourrit de l’actualité, qu’elle ait trait à la géopolitique, à la danse ou aux autres disciplines artistiques.

Découverte des origines

La première partie de l’exposition est dédiée aux œuvres de jeunesse de Djamel Tatah. Passionné de dessin, celui-ci avait intégré l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne, dont il est ressorti diplômé en 1986. La création de ces tableaux est influencée par les voyages initiatiques de l’artiste en Kabylie, terre de ses ancêtres, qu’il découvre à cette période de sa vie à l’occasion de plusieurs voyages. A cette époque, le jeune homme admire le peintre américain Jean-Michel Basquiat pour ses messages antiracisme ; le mouvement Supports-Surfaces qui s’affranchit du support ; il découvre la peinture figurative…

Un autoportrait de jeunesse de Djamel Tatah © Virginie Moreau.
Un autoportrait de jeunesse de Djamel Tatah © Virginie Moreau.

Ses peintures sur toile tendue sur des supports en bois de récupération du milieu des années 80 laissent apparaître dès ses débuts des fonds monochromes, qu’il s’adonne à l’autoportrait (photo ci-dessus) ou qu’il représente la stèle funéraire d’Albert Camus (photo ci-dessous). Le bois utilisé comme support évoque pour lui les palissades. Les fonds, composés de nombreuses couches superposées, laissent alors transparaître des coulures, les marques de pinceau, qui laisseront rapidement la place à des aplats de couleurs très lisses.

Djamel Tatah, hommage à Camus © Virginie Moreau
Djamel Tatah, hommage à Camus © Virginie Moreau

Cette première section de l’exposition dévoile une œuvre majeure de la carrière de l’artiste, qui a pour titre Les Femmes d’Alger (un titre donné a posteriori). Sur le tableau, le peintre répète de nombreuses fois ce personnage de femme, inspiré de son épouse Caroline et de Delacroix, sur un fond rouge orangé. C’est la première apparition de la répétition, qui sera ensuite érigée en principe. Créée en 1996, cette œuvre représente des femmes confrontées aux événements en Algérie et qui y font face, mutiques. Elle semble figer le temps. Progressivement, le peintre abandonnera les titres, pour ne plus indiquer que sa technique, “huile et cire sur toile”, et la date.

L’envol

Le peintre instaure parfois du mouvement dans ses tableaux, semblant faire voler ses personnages grâce à son travail préparatoire sur informatique, intégré ainsi que l’huile sur toile à son processus créatif vers 1994. La chorégraphie et le cinéma réaliste italien d’Antonioni lui suggèrent des mises en scènes empreintes de liberté. Mais les corps sont-ils en élévation ou en chute sociale, temporelle et spatiale ? On peut parfois se poser la question face aux tableaux de cette section. Encore une fois, le temps est arrêté, comme en suspension.

envol tatah
envol tatah

Les personnages sur fond blanc, réalisés d’après la lumière d’un matin d’hiver, rappellent “une hallucination de chute”, tandis que sur d’autres tableaux, comme celui du masque posé au sol, la ligne d’horizon évoque la mer pour l’artiste. D’autres protagonistes semblent reposer sous des linceuls.

La théâtralisation du silence

La pièce ronde suivante laisse place au “théâtre du silence” qui se joue sur 4 grandes œuvres réalisées en 2022, spécialement conçues pour l’exposition, pour dialoguer avec d’autres plus anciennes. “J’ai rebondi sur les choix d’œuvres des commissaires Michel Hilaire et Maud Marron-Wojewodzki”, indique Djamel Tatah. “On y retrouve l’idée de la présence et du rapport aux monde”.

theatre silence
theatre silence

Du fait du caractère monumental des tableaux et de leur hauteur d’accrochage, une relation particulière se crée entre les visiteurs du musée et les personnages à taille humaine représentés sur les toiles. Leur carnation, traitée en blanc avec des zones bleuâtres, semble retirer toute vie aux figures, qui sont voulues universelles, “sans race ni parti pris”, affirme-t-il.

Désincarnées, une certaine distanciation se produit. C’est ce que symbolise le titre de l’exposition et de cette section, “Le Théâtre du silence”. On y voit notamment un enfant incarcéré derrière des barreaux en trompe-l’œil, dont le silence assourdissant fait écho au manque de liberté qui règne dans certains pays. Le peintre souligne dans ses tableaux l’incommunicabilité entre les êtres : leurs regards ne se croisent jamais…

La répétition ou l’art de la frise

Michel Hilaire voit dans la réitération des motifs au sein des tableaux un effet de frise rappelant les frises antiques étrusques ou de la Renaissance. L’effet est amplifié par la couleur puissante des fonds en aplats. Derrière l’universalité des visages, on devine une volonté d’abstraction de la part de Djamel Tatah, influencé par les grands abstractionnistes américains.

frise djamel tatah
frise djamel tatah

Des files de personnages démontrent que “plus on est nombreux, plus on se sent seul”, assure le peintre. Un enfant qui tient des pierres dans sa main (photo ci-dessous) rappelle l’intifada, le conflit israélo-palestinien. A moins que ces pierres ne soient une offrande…

Vue sur la section 4 de l'exposition de Djamel Tatah
Vue sur la section 4 de l’exposition de Djamel Tatah

On distingue à peine quelques signes de notre époque sur les vêtements des personnages : sweat-shirt, jogging… Mais tout ceci n’est qu’esquissé, pour ne pas trop faire référence au présent. L’effet est accru par l’hybridation qui est à l’œuvre dans les tableaux. Le peintre mélange en effet les images, les formes, les cultures et les techniques.

Deux tableaux singuliers parachèvent le parcours. Un autoportrait, d’abord, peint trente ans après ceux présentés au début. Et un hommage au chanteur de raï Rachid Taha (photo ci-dessous), qui fut un grand ami de Djamel Tatah durant une quarantaine d’années.

Rachid Taha vu par le peintre Djamel Tatah © Virginie Moreau
Rachid Taha vu par le peintre Djamel Tatah © Virginie Moreau

Des corps flottant dans l’air

Dans l’atrium Richier, une installation monumentale, composée de 6 lés de coton transparent de 8 mètres de haut, flotte sous le puits de lumière. Intitulée “Vois…là” en hommage à la chanson “Voilà voilà ça recommence” composée et interprétée par Rachid Taha, elle a été précédemment exposée à la chapelle du Musée des Arts et Métiers (photo ci-dessous).

Une installation de Djamel Tatah © Virginie Moreau.
Une installation de Djamel Tatah © Virginie Moreau.

On ressort de cette exposition avec une impression de mélancolie volontairement diffusée par Djamel Tatah dans ses tableaux. Evoquant les maux de notre société que sont la solitude, le manque de communication, la lassitude ou encore la résignation, il semble inviter les visiteurs à sortir de leur torpeur pour vivre pleinement leur vie et la savourer.

Informations pratiques

Musée Fabre – 39, boulevard Bonne-Nouvelle – Montpellier.

L’exposition Djamel Tatah Le Théâtre du silence est visible jusqu’au 16 avril 2023, du mardi au dimanche, de 10h à 18h (musée fermé le lundi).

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