Solidarité — Montpellier

Montpellier : drogues, "un lieu singulier, authentique et militant loin de la pression masculine"

5 rue Fouques à Montpellier, se trouve la Boutik, un petit établissement discret. Mais derrière des apparences banales, se cache un lieu particulier. Derrière la porte de verre, des toxicomanes, des invisibles, mais avant tout, des femmes, des citoyennes.

Un accueil de jour

Loïc, éducateur spécialisé, nous entraîne dans le CARRUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) dans lequel il s’est engagé afin de “revenir aux prémices de l’accompagnement personnalisé des personnes, pour construire avec elles”. “Il s’agit d’un accueil de jour, il y a essentiellement des femmes, sauf les mardis matin où nous accueillons les jeunes de 18 ans à 25 ans. Tous les mercredis, nous nous réapprovisionnons à la banque alimentaire, afin de pouvoir dépanner. Ainsi, nous pouvons nous poser et discuter des consommations et des effets. Nous sommes soumis au secret professionnel, alors tout ce qui se passe à la Boutik, reste à la Boutik.

Le principe est d’accorder à ces femmes une sécurité qu’elles ne trouvent pas dehors, trop confrontées à la population masculine. Dans le centre d’accueil, elles bénéficient de douches, de machines à laver le linge, de toilettes, de produits d’hygiène, et elles peuvent consulter des infirmières, des assistantes sociales ou des professionnels de la justice. Le bureau leur permet d’obtenir un temps individualisé où elles peuvent déposer des agressions sexuelles ou des violences qu’elles viennent de subir. Un espace réservé aux enfants avec quelques jeux, leur permet de s’occuper. En plus, les bénéficiaires du centre peuvent accéder à une partie vestiaire et don de vêtements. Quatorze casiers sont aussi disponibles pour une durée d’un an.

“Loin de la pression des hommes”

Pour Loïc, “c’est un lieu entre femmes, loin de la pression des hommes.” Une absolue nécessité selon lui, il estime que “les femmes subissent tellement de choses dehors, dans la rue à cause des hommes qu’elles ont besoin de se retrouver entre pairs, pour un moment de détente.” En effet, “le quotidien d’une femme à la rue est dans une complexité entre la prostitution, le viol, les violences, et les substituts à l’usage de produits psychoactifs.” Elles peuvent venir avec leurs enfants et profiter de ce lieu en libre adhésion, sans aucun jugement.

Deux femmes rentrent, elles sont accueillies par leur prénom, les éducateurs savent ce qu’elles veulent et répondent à leurs besoins. Actrices de l’évolution de cet accueil, elles entretiennent des conversations avec les professionnels et les autres bénéficiaires, et se prêtent au jeu de l’espace.

En plus des services quotidiens, de nombreuses sorties sont mises en place. La semaine dernière, trois jours en voilier. Tous les mois également, une journée d’échange est animée. Durant ce moment, elles peuvent travailler leurs projets et les faire évoluer. Elles revoient aussi leur rapport au corps et s’entretiennent avec des professionnels et des hébergés sur la question des consommations.

Mais surtout, la première fonction de ce lieu, c’est de donner du matériel stérile de limitation des risques. On y retrouve des seringues, des pipes à cracks, des pailles, des containers pour récupérer le matériel et des préservatifs. Loïc est formel : “À Montpellier, la première drogue dure consommée est la cocaïne, il n’y a pas de crack ici, alors les femmes le cuisinent elles même. Elles préfèrent, parce qu’avec 5 € de coke, elles se font un caillou, elles savent ce qu’il y a dedans, et il n’y a pas de pertes. En second sur le marché, nous retrouvons l’héroïne.”

© Susie Carbone
© Susie Carbone

Parcours de toxicomanes

Pour Dounia, 53 ans, consommatrice de cocaïne, il y a un autre atout à l’association. Elle explique : “Ils font des tests sur les produits pour que nous puissions voir leur composition. Moi, ça m’a vraiment calmée, parce que j’ai vu qu’il y avait de la mort aux rats ! L’organisme réalise également des dépistages pour les hépatites B et C et le VIH.

Ava elle, a 26 ans, elle a découvert la Boutik lorsqu’elle consommait de grandes quantités de kétamine et de cocaïne, qui lui ont fait abandonner ses études. Elle raconte : “J’ai rencontré la drogue à 15 ans, j’avais envie d’essayer et d’aller chercher des sensations. J’ai vite appris a aimer ça. Ma prise la plus marquante a été avec l’ecstasy, parce que les effets te pètent à la gueule directement, et c’est dangereux.”

Influencée par son compagnon de l’époque, Ava ne s’est pas arrêtée là : “En fait, j’ai rencontré un mec qui prenait de l’héro, et comme un con, j’en ai pris aussi. Quand je n’ai plus été avec ce mec-là, je me suis retrouvée à la rue et je me suis mise à traîner avec des clodos. L’un d’eux m’a shootée… Finalement, j’ai rencontré deux personnes saines qui m’ont aidée, et j’ai commencé le sevrage. Franchement, la première semaine, t’en chies de fou. Au bout du troisième jour, j’ai dû appeler une ambulance parce que je n’arrivais plus à marcher et je me suis dit que j’allais claquer dans mon lit.

Au final, elle s’en est sortie, en puisant la force en elle. Elle explique le processus : “Pour arrêter, il faut une bonne raison. Si tu cherches à combler un manque par l’héro, la raison d’arrêter va être de combler ce vide. Il faut trouver des trucs sains, mais ce n’est pas toujours simple. Ou alors il faut toucher une limite où on se dit qu’on va crever, et on se réveille, ça va dépendre des gens.”

Mais, quel est l’intérêt de la Boutik dans cette histoire ? Ava répond : “Comme c’est que pour les nanas, il y en a qui viennent se réfugier. Quand t’es dans la rue, ou que t’es en manque de came, tu es en faiblesse et ceux qui veulent en profiter, en profitent. C’est des mecs, on les aime bien mais ils sont comme ça. J’évite quand même de trainer avec les nénettes, parce que ça peut être un traquenard, quand tu te retrouves avec des consommatrices, il y en a une qui a un truc, et c’est aussi ça le vice…”

Clara © Susie Carbone
Clara © Susie Carbone

Clara, 24 ans, a abandonné l’horticulture après être tombée dans la drogue. Aujourd’hui, elle est sobre et fréquente ce genre d’endroit pour se restaurer et parler à des gens. Avec émotion, elle revient sur son histoire : “Mon meilleur ami s’est suicidé quand j’étais très jeune, et j’ai directement commencé à m’injecter de la morphine. Je suis rapidement tombée accro, et j’ai enchaîné dans la drogue, j’ai perdu tout ce que j’avais. Je venais dans des CARRUD comme ici pour du matériel, des seringues, des pipes à crack… À ce moment là, je voulais me buter à petit feu.

Elle n’est d’ailleurs pas passé loin… : “Suite à un mauvais trip qui à mal tourné, j’ai sauté du 4e étage il y a trois ans, donc j’ai toutes les vertèbres qui ont été explosées et je suis restée un an et demi en fauteuil roulant. Dans la jambe j’ai des vis, et j’ai aussi choppé l’hépatite…”

Un passé difficile pour la jeune femme, qui a pourtant réussi à tirer un trait dessus, grâce à sa force mentale et à la Boutik. Elle raconte : “J’ai recommencé à travailler grâce à eux, ils ont un programme qui s’appelle ‘Tapage’, ils font des chantiers la journée, alors je travaille un peu dans l’horticulture avant l’association. Je suis en train de recommencer ma vie doucement. Je viens ici pour la nourriture, les chantiers et pour les gens, c’est mon anciens milieu alors je viens les voir. Donc je viens, on se pose, on boit un café, un mange un bout, certaines personnes récupèrent du matos, il y a les douches aussi, on peut vivre un peu. J’aimerais bien faire ce travail, être éduc et tout, ça pourrait me plaire.”

Pour elle, les CARRUD n’incitent pas à la consommation parce que “les toxicomanes viennent dans un lieu spécial et dans un but spécial. En plus, ici, ils essaient vraiment d’accompagner. Le fait d’être obligé de venir ici, pour le matériel, ça crée un lien. Il faut essayer de tenter les structures comme ça quand même, parce que la route est compliquée.

Pour information, La Boutik fêtera ses 30 ans de réduction des risques le 30 novembre, au Centre Rabelais.

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