Société — Montpellier

Montpellier : face aux violences, les femmes rendent les coups

Une association pour les victimes de violences sexuelles propose des sessions de cinq cours de self-défense, pour acquérir des réflexes afin de se protéger en cas d’agression

Le regard résolu, Robbie tape de toutes ses forces dans des paos de boxe tenus fermement par un instructeur qui fait deux têtes de plus qu’elle. “Voilà, repousse moi. Ne te laisse pas attraper !”, crie Daniel pour l’encourager. 

La respiration saccadée, la femme de 38 ans laisse sa place à une autre participante et va boire quelques gorgées d’eau, appuyée contre un mur. “Ça fatigue mais j’adore. Ça défoule et je me sens plus forte. Je me dis que si je me fais agresser, j’aurais les réflexes pour me défendre et me mettre à l’abri”, témoigne la mère de deux jeunes filles. 

Chaque samedi après-midi pendant cinq semaines, une petite dizaine de femmes se retrouvent sur le tatami vert du gymnase la Babote pour prendre des cours de self-défense, organisés par l’association Nuage pour les victimes de violences sexuelles.

Ces cours, gratuits, sont financés par la mairie de Montpellier, qui travaille avec une deuxième association, Loreleï, qui donne des cours spécialisés avec des adolescents, des personnes de la communauté LGBTQI+ ou avec un handicap physique. “Nous ne voulions pas travailler avec n’importe quel cours, alors que certaines participantes ont déjà vécu des agressions”, explique Fatma Nakib, adjointe à l’égalité et aux droits des femmes à la mairie.

Un esprit sain dans un corps sain  

Avant d’aller suer sur le tapis, les femmes, habillées d’un jogging ou d’un legging, s’assoient en cercle dans la salle du gymnase. “Avant de s’occuper du corps, il faut faire la tête”, lance Marie-Laure Gaillard, présidente de l’association. A chaque séance, l’avocate spécialisée dans la défense de victimes de violences sexuelles fait de la prévention, seule ou avec sa collègue psychologue. La semaine précédente, elles avaient présenté le violentomètre qui  mesure les violences au sein d’un couple, ou le dispositif Maguelone, ce réseau d’établissements-refuges en centre-ville de Montpellier. La semaine suivante, elles discuteront des indemnisations des victimes. 

Ce jour-ci, l’avocate se penche sur la procédure pénale quand une femme veut porter plainte en cas de violences sexuelles, de l’accueil au commissariat jusqu’au jour du procès. “Une fois que la plainte est déposée, l’enquête commence et c’est là que ça devient long, cela peut durer plusieurs années”, indique Mme Gaillard.

Ce silence est affreux, il faut être soutenue et profiter de ce temps pour vous, comme en faisant ces cours de self-défense”, continue la présidente de l’association. “Le cheminement est très long mais on y arrive. Vous n’êtes pas seules, tournez-vous vers des associations”, plaide-t-elle. En plus d’un accompagnement juridique par des avocats, l’association Nuage propose des groupes de parole mensuels, en présence de deux psychologues. Une permanence va bientôt ouvrir tous les vendredis matin, dans leurs locaux place Pétrarque.

Les femmes, de tout âge, écoutent attentivement ces explications. Puis les questions fusent et la parole se libère. “J’ai voulu porter plainte il y a un an, après avoir été agressée dans le tramway. J’y suis allée dès le lendemain mais le policier n’a pas voulu prendre ma plainte car je n’avais pas de certificat médical. Maintenant c’est trop tard, les vidéos du tramway sont effacées et j’étais seule… j’ai laissé tomber”, lance une jeune fille qui a préféré rester anonyme. Marie-Laure Gaillard lui répond qu’il faut faire remonter ces dysfonctionnements au procureur de la république pour que cela ne se reproduise plus. 

Coups de pieds et revers de poing fermé

Quelques minutes plus tard, cette même jeune fille s’entraîne à dégager les bras d’une personne qui voudrait l’attraper. “Allez, empêche moi de te toucher, refuse tout contact !”, lance Pierre, l’un des deux instructeurs. 

Cours de self-défense au gymnase la Babote. © TO / Hérault Tribune
Cours de self-défense au gymnase la Babote. © TO / Hérault Tribune

Le moniteur, vif et petit de taille, laisse ensuite les femmes reprendre leur respiration. Pendant ce temps, il leur montre comment se protéger en cas de coups : les deux mains au-dessus du crâne et les avants-bras devant le visage. “Si on vous agresse, ça va faire mal et vous prendrez des coups. Mais le but est d’encaisser pour avoir le moins de dégâts possible”, explique Pierre, qui leur demande ensuite de donner des coups de pieds en ciblant les jambes et les parties génitales. Dernière technique de la séance : le coup de poing marteau. “Imaginez que vous serrez un objet dans votre main et vous frappez. C’est une technique primitive, on n’est pas là pour faire de la boxe”, explique Pierre. “Ces gestes simples peuvent vous sauver la mise.” 

Maya, deux longues nattes dans le dos, donne de gros coups de pieds dans les paos, faisant résonner un bruit sourd dans le gymnase. “Dis donc elle est énervée”, commente en riant l’une des participantes. 

Je n’ai pas été agressée mais j’ai eu peur une fois. Un mec se masturbait à côté de moi sur la plage. Mon corps tremblait”, témoigne Maya, 22 ans, qui s’est aussi déjà faite suivre ou agressée verbalement par un homme dans le tramway. “Je veux pouvoir agir si je vois d’autres filles se faire agresser. Parfois on n’ose pas y aller, car il ne faut pas se mettre en danger. Mais c’est important de pouvoir aider et de montrer aux femmes qu’elles ne sont pas seules”, continue la jeune femme. 

“J’ai déjà été suivie et le gars m’a fait peur” 

Si chacune répond catégoriquement “non” à la question de savoir si elles ont déjà été agressées, toutes ont tout de même une anecdote à raconter quand la discussion se poursuit. 

J’ai déjà été suivie et le gars m’a fait peur. Ça me rassure d’avoir appris quelques gestes si je me retrouve dans une situation dangereuse”, explique Laure, qui ne se sent plus en sécurité dans les rues de Montpellier. “Ce n’est pas évident de devoir frapper et de se dire qu’un jour on pourrait s’en servir… Ça donne envie d’en parler autour de soi et de relayer l’information”, renchérit Anne, 45 ans et mère de deux enfants. 

Toutes partagent l’incertitude de pouvoir mettre en pratique les exercices répétées sur le tatami. Pour lever le doute, la dernière séance est dédiée à une mise en situation. Pierre ou Daniel, équipés de protections, feront tout pour les attraper et elles n’auront qu’un seul objectif : atteindre la porte de sortie du gymnase. “À ce moment-là, on sent qu’elles se donnent le droit de nous bousculer pour sortir de cette pièce. On s’est fait soulever, on s’est fait mordre, on termine avec des bleus partout. Ce cours leur permet de comprendre qu’elles peuvent se débarrasser d’un agresseur de 90 kilos”, explique Daniel, habitué à animer ces ateliers. Maintenant, place à la pratique.

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