Montpellier : juges et avocats cherchent des solutions pour aider les entreprises en difficulté
Le tribunal de commerce fait peur aux chefs d'entreprise alors qu'il peut être d'une aide précieuse en cas de coup dur. Le barreau de Montpellier organisait une rencontre, jeudi 30 mars, sur le rôle préventif, trop souvent méconnu, du tribunal et des avocats pour aider les entreprises en difficulté.
Faire changer les mentalités
L’enjeu est avant tout de faire changer les mentalités, à en croire les participants de cet “afterwork” organisé par la section entreprise du barreau de Montpellier à la Maison des avocats, jeudi 30 mars, sur le thème : “Entreprises en difficulté : pourquoi la prévention ne séduit pas ?”. Visiblement, les outils préventifs existent, mais peu de chefs d’entreprise savent s’en saisir pour redresser la barre avant le naufrage. “Le tribunal de commerce peut être vu comme un échec, glisse en introduction Maxime Rosier, bâtonnier du barreau de Montpellier. Il faut cependant rappeler que l’échec et la difficulté sont souvent le préalable à la réussite.”
Pourquoi la prévention ne fonctionne-t-elle pas ? Au moment de l’arrêté des comptes : quels outils existent pour vérifier la situation des entreprises ? Comment alerter les entreprises ? Quelles solutions de prévention ? Les intervenants à cette réunion, au public fourni, ont fait le tour des solutions et dispositifs à portée de main des entrepreneurs pour tenter d’apporter des éléments de réponses à ces questions.
Le président de la CCI Hérault, André Deljarry, a ainsi rappelé en ouverture la série d’outils mis à disposition par son organisme pour venir en aide aux entreprises : six dispositifs, initiés dans le cadre de l’offre “Soluccio”, à retrouver en ligne sur le site de la CCI : diagnostics, rendez-vous individuels, permanences juridiques, etc.
Les liquidations judiciaires en augmentation constante
La présidente du tribunal de commerce de Montpellier, Nadine Baptiste, a ensuite dressé un rapide état des lieux en avançant plusieurs chiffres clés : “Nous avons eu 623 procédures collectives (redressements judiciaires, procédures de sauvegarde et liquidations judiciaires) en 2022 – un chiffre inférieur à 2019 (711) -, dont 402 liquidations, soit 64, 5 % des procédures collectives.”
Et de souligner : “C’est là que le bât blesse : on se rend compte que les liquidations sont en augmentation constante depuis 5 ans. On est passé de 55% à 64%, ce qui est vraiment très négatif.” Cela montre clairement, pour Nadine Baptiste, “qu’il n’y a pas suffisamment d’anticipation” pour aider les entreprises.
“Le mot tribunal fait peur”
Elle a cependant rappelé l’existence d’une cellule de prévention composée de cinq juges, dont elle-même, dans son tribunal montpelliérain comme dans tous les tribunaux de France. Les juges y reçoivent, à tour de rôle, chaque vendredi matin, “les chefs d’entreprise qui nous sollicitent ou que nous convoquons”. Seulement voilà, “le mot tribunal fait peur”, avance la présidente. Contreproductif, un préjugé se dresse comme une barrière entre les dirigeants en difficulté et la main tendue par les institutions. “Le tribunal signifie, dans les mentalités, échec, faillite” alors qu’il peut être d’une aide précieuse pour résoudre certaines difficultés.
Un pourcentage de réussite entre 75% et 95% en prévention
La preuve, “le pourcentage de réussite des dossiers qui passent en prévention se situe entre 75% et 95% des ouvertures de mandats ah hoc et de conciliations. Par contre, en ce qui concerne les redressement, c’est l’inverse : 95% à 75% des redressements finissent en liquidations”, indique Nadine Baptiste, tout en soulignant le rôle crucial des avocats dans le processus allant de l’identification des problèmes à la recherche de solutions. Une aide qui devrait être, selon elle, davantage sollicitée par les dirigeants d’entreprises.
Les signaux d’alerte
Les injonctions de payer et les assignations sont des signaux forts que les chefs d’entreprise doivent savoir interpréter pour réagir efficacement s’ils veulent redresser la situation à temps. “Souvent, quand nous les recevons, il est malheureusement trop tard“, constate, avec regret, Me Franck Denel, du barreau de Montpellier, spécialiste en droit des affaires, saluant au passage la remarque de Nadine Baptiste sur “le nécessaire accroissement du rôle de l’avocat” dans la prévention.
“Un problème culturel”
Pour cet avocat montpelliérain, “il y a un problème culturel : le dirigeant n’a pas la culture de l’anticipation. Il a l’habitude d’avoir le nez dans le guidon, c’est difficile pour lui de prendre du recul, d’admettre les difficultés et donc de pouvoir les identifier et ensuite faire un diagnostic. Il va vers une recherche de conseils puis vers le tribunal au dernier moment. Et c’est trop tard”.
Revenant sur les préjugés culturels supposés, Me Franck Denel constate, lui aussi, que la majorité des “dirigeants craignent le tribunal”. “Ils craignent le dépouillement – vais-je rester à la tête de mon entreprise ? – la réprobation, la sanction. Tous ces facteurs psychologiques font qu’ils n’anticipent pas”.
Le meilleur remède : “l’anticipation”
Olivier Fabre, administrateur judiciaire, a rappelé qu’il “faut d’abord convaincre les chefs d’entreprise d’être aidés, accompagnés et prévenus”, insistant sur la prise en compte de l’humain, étape consubstantielle de cette collaboration. “Nous avons un rôle psychologique, poursuit Franck Denel. Prévenir, c’est accompagner la solitude des dirigeants. Nous sommes là pour les aider à affronter et identifier avec réalisme les problèmes.”
Au final, le meilleur outil de prévention demeure “l’anticipation, martèle Mme Baptiste, il n’y a que ça. Dès les premières difficultés, on peut faire des auto-diagnostics aussi bien par la chambre de commerce mais également par les outils du Greffe, des outils extrêmement simples. On peut ainsi voir si on a des difficultés et nous contacter. On peut même prendre rendez-vous en ligne.” A bon entendeur…