Montpellier : “La liberté, c’est de gérer soi-même la production. Là, c'est autant l’artiste que la cheffe d’entreprise qui parle”, Karo
De spécialiste des financements d’entreprises à humoriste. Depuis deux ans, Karo a choisi d’entreprendre une nouvelle trajectoire. Après avoir parcouru les comedy clubs de France, elle s’attaque à l’international. Du 13 au 20 avril, elle sera à l’affiche du festival d’humour MASA, à Abidjan.
Humoriste, c’est une reconversion assez récente. Que faisiez-vous avant ?
Karo : J’étais cheffe d’entreprise depuis 2019. J’accompagnais les entreprises à trouver des financements. Ma société existe toujours, j’y travaille encore, mais j’ai ralenti mon activité pour pouvoir me consacrer à la scène.
Comment s’est opérée la bascule ?
Karo : Faire de la scène, ça s’est produit de manière assez improvisée. Je prenais des cours de one-man show au Théâtre de la Chocolaterie à Saint-Jean-de-Védas, en loisir, et puis, rapidement, je me suis retrouvée à participer à des concours d’humour. En avril 2022, j’ai participé au concours Kandidator à Lyon, c’était ma 4e scène, et c’est celle-ci qui a tout changé, car je suis allée jusqu’en finale, où on m’a dit “bon tu as un passage de 30 min, maintenant il faut préparer ton spectacle”. En moins d’un an de stand-up, je me suis retrouvée à monter un spectacle d’1h15. Mais je trouvais ça léger de me lancer comme ça avec moins d’un an d’expérience. Donc je me suis dit que j’allais mettre mon activité en stand-by, au moins pour une année complète, pour prendre des cours de comédie, travailler le fond, les personnages etc
En parlant de concours, comment avez-vous été amenée à participer à MASA à Abidjan ?
Karo : Encore une fois, c’est un concours de circonstances ! Ce qui est difficile quand on est artiste, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est d’être programmé en théâtre. Surtout que les programmateurs ne se déplacent pas à Montpellier, c’est une réalité. Donc je fais beaucoup de prospection, je regarde les appels d’offres des collectivités. Et il y avait un appel d’offre du festival MASA à Abidjan, auquel j’ai répondu. Initialement, je l’ai fait pour voir ce qui était demandé pour ce type de dossier, pour avoir une base prête. Honnêtement je ne pensais pas être prise. Une partie de la sélection est réservée aux artistes ivoiriens et sur la partie internationale, deux humoristes seulement sont sélectionnés, le plus souvent déjà connus en Afrique.
Qu’est-ce qui a plus dans votre candidature, à votre avis ?
Karo : Je pense qu’il y a très peu d’artistes émergents, français, qui n’ont aucun lien avec l’Afrique, qui candidatent. Ce qui a dû plaire, c’est que j’ai eu l’audace de postuler. Je pense sincèrement que j’étais la seule humoriste du sud de la France, pas connue, blanche, avec un spectacle comprenant des thématiques féministes fortes, à participer. Je pense que ma candidature détonnait, et que ça a été remarqué.
Ce spectacle, No limit, de quoi parle t-il justement ?
Karo : No limit aborde la vie quotidienne, et notamment les notions de charge mentale. C’est aussi un spectacle qui parle des femmes. Souvent, on me dit que c’est parce que mon spectacle est féministe. En fait, c’est juste qu’on parle de ce qu’on connaît. Et les femmes ont connu tellement de bouleversements, entre nos vies, celles de nos mères, de nos grand-mères, dans l’éducation, la construction personnelle, qu’on a ce besoin d’en parler. Cette construction de l’identité féminine, à 8, 20, 30, 40 ans – et je m’arrête là car je n’ai pas encore dépassé cet âge- j’en parle beaucoup, ce sentiment de réaliser tardivement qu’il faut arrêter d’écouter les autres, faire ses propres choix, suivre ses propres envies. Et cette thématique-là, je l’aborde en tant que femme, mais en réalité elle est universelle, sans genre, sans frontière. A Abidjan, ce sera l’occasion de le vérifier !
Et à Avignon, où vous jouez cet été, également ?
Karo: Oui, je vais jouer au théâtre des étoiles du 3 au 21 juillet, à 15 h.
On ne l’imagine pas forcément, mais cette participation représente un investissement financier important ?
Karo : Tout à fait, surtout quand on est autoproduit comme moi. C’est pour ça que j’ai repris mon activité. Cela fait un an que tout une partie de mon salaire sert au financement de ma participation à Avignon. En parallèle, je réalise une campagne de crowdfunding, dont la cagnotte ouvre le 1er avril. Pour donner une idée, dans ce que j’ai chiffré, c’est 16 000 € avec salaire. C’est un budget énorme. J’ai d’ailleurs écrit un article à ce sujet sur LinkedIn, pour comprendre ce coût, et ce qu’apporte ce festival pour les artistes. Il y a beaucoup de gens qui ignorent que la participation est payante. Louer un théâtre, même petit, comme celui que j’ai choisi, avec 50 places, c’est 4 000 à 5 000 €. C’est sans compter la régie, le son et lumière, la billetterie, la communication… Dans l’article, j’ai vraiment décrit tout cela, et comment le financer. C’est simple, de mon côté je travaille 70 heures par semaine, et je mets la moitié de mon salaire de côté pour Avignon. C’est ça la réalité.
Passer par une boîte de production, ça serait une solution plus confortable ?
Karo : Oui et non. La prod fait gagner du temps sur l’organisation et la gestion des fonds. Si en plus elle a des contacts pour la programmation, ça permet vraiment de gagner en visibilité. Ça peut être un tournant dans une carrière, et permettre d’accéder à des choses qu’on ne peut pas obtenir seul. Mais à terme, je pense que ma liberté, c’est de gérer soi-même. Là, c’est autant l’artiste que la cheffe d’entreprise qui parle.