Montpellier : “La pire situation c’est la consultation d’une personne vivante au service puis l’arrivée de son corps sur la table”
La médecine de la violence, sujet brûlant en pleine montée des féminicides, trouve une réponse multidisciplinaire à l'Unité Médico-Judiciaire (UMJ) du CHU de Montpellier, dirigée par le Professeur Eric Baccino.
Alors que le monde s’apprête à célébrer la Journée Internationale de Lutte contre les Violences faites aux Femmes le 25 novembre, Eric Baccino, chef des légistes et figure éminente, dresse un bilan de l’évolution de la prise en charge des victimes et des auteurs.
“Une augmentation des violences estimée à 7%”
“Notre Unité Médico-Judiciaire, spécialisée dans la prise en charge la maladie de la violence, a vu passer 2 714 personnes vivantes en 2022, dévoile le professeur Eric Baccino. En 2023, en nous projetant avec les chiffres des dix premiers mois, nous observons une augmentation de 7% des consultations”.
À l’UMJ, les médecins légistes, psychologues, infirmières et associations spécialisées travaillent de concert sur des cas de violence, allant des coups de couteau aux agressions sexuelles, en passant par les violences intra-familiales. “Ce dernier cas est le plus compliqué car les études sont faussées par le fait que seulement 10 à 15% des victimes que nous recevons portent plainte, laissant 85 à 90% du phénomène caché”, reconnaît le médecin légiste, ajoutant : “La pire situation que nous pouvons vivre dans le cas de VIF, c’est la consultation d’une personne au service puis l’arrivée de son corps sur la table d’autopsie. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois.”
“Nous sommes le pays le mieux équipé du monde pour la prise en charge des victimes”
Si les chiffres et leurs évolutions semblent teinter de noir le constat de la lutte contre les violences faites aux femmes, le chef d’unité se veut optimiste au vue des transformations opérées au cours des dernières années. “Au départ, les légistes étaient employés pour rédiger les certificats d’autopsie, alors qu’aujourd’hui nous tenons un service qui prend en charge la maladie de la violence, constate Eric Baccino. Nous avons désormais une approche globale et pluridisciplinaire, appuyée par des infirmières, des psychologues, des médecins… En tant qu’ancien président de la société mondiale de médecine légale (IAFS), je peux le dire : nous sommes le pays le mieux équipé au monde en termes de prise en charge des victimes de violence.”
D’après lui, cette évolution s’est également poursuivie dans le monde judiciaire, aujourd’hui plus à même de prendre en charge les victimes ainsi que les auteurs : “Je trouve que les autorités ont appris à mieux prendre en compte les violences intra-familiales, ils y sont plus sensibles, notamment dans leur rapport avec les associations. Ils vont au-delà de la simple répression.”
“Nous recevons les auteurs en situation d’urgence”
Les médecins légistes interviennent souvent en urgence, récupérant les preuves médico-légales et prodiguant des soins aux auteurs, “dont 60% sont toxicomanes”, précise le médecin légiste. Ces individus nécessitent une évaluation médicale approfondie, suivie de la prescription voire de la fourniture de médicaments. “Lorsqu’observés en urgence, leur état de santé est généralement précaire, mais la prise en charge médicale des personnes en détresse est une pratique courante dans le domaine médical, ajoute-t-il. Le rôle du médecin légiste s’étend également à apaiser la garde à vue en normalisant les échanges, prescrivant avec discernement sans altérer la lucidité de la personne interrogée”. En cas de besoin, un suivi médical est assuré en milieu carcéral, avec des associations telles que Via Voltaire prenant le relais après les constatations initiales.