Montpellier : l’ACE s’interroge sur l’avenir du conseil et de l’accompagnement des entreprises
L’avocat n’est plus là que pour gérer les contentieux, son objectif est bien de les éviter. Lors du colloque Éthique et Toque, organisé par les Avocats Conseil d’Entreprise de Montpellier, c’est bien sur ces enjeux que les échanges ont porté, enjeux et nouvelles opportunités d’affaires pour les avocats.
François Girault, avocat au barreau de Montpellier et président de l’ACE de Montpellier lance la journée : « l’ACE mène des actions de lobbying au quotidien pour aider et améliorer la profession. Nous organisons des formations, des conférences, nous assurons le lien avec les instances économiques et de façon générale avec tout ce qui gravite autour de la profession d’avocat, les écoles ou les syndicats professionnels. Nous sommes donc surtout un rouage pour faire en sorte que demain, l’avocat soit au cœur de la cité et des enjeux économiques. Nous avons donc décidé de faire un focus sur deux points, chacun étant présenté et détaillé sur une table ronde. »
Mise en perspective du rôle de l’avocat
C’est Michèle Tisseyre, avocat au barreau de Montpellier, présidente de Face Hérault, ancienne bâtonnière et ancienne présidente ACE Montpellier, qui s’est brillamment prêtée à l’exercice : « l’ACE de Montpellier a souvent été force de proposition et initiatrice d’événement et de prise de position. La RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) est finalement assez récente. Jusqu’à peu, l’éthique était associée au paternalisme : le fonctionnement n’était pas tellement réglementé. Puis, sur des origines américaines, on a vu arriver la responsabilité des entreprises sur la communauté de ses salariés. Ces tendances sont devenues des règles, les règles sont devenues des directives. En France, nous avons commencé à traduire des règles d’égalité, d’équité, en droit du travail, en droit pénal, droit des sociétés, droit de l’environnement, mais nous avons dissocié la vision morale du traitement de ses collaborateurs et la capacité d’un avocat à lui expliquer, l’aider dans ses contentieux, puis un peu plus dans la vision juridique anticipatrice de sa gestion. Finalement on se rend compte que nous sommes légitimes à accompagner le chef d’entreprise dans sa façon de mettre en œuvre la règle de droit, mais également une vision plus globale d’un meilleur traitement des salariés, des partenaires économiques, des clients et des fournisseurs. Au milieu de tous ces acteurs, l’avocat était cantonné à l’application de la loi ; puis nous avons réalisé que l’accompagnement par un avocat, du fait de sa personnalité et de sa plus-value de vision de la stratégie globale, était plus qu’un atout pour être plus efficace. Même si notre place n’est pas toujours simple à garantir, nous devons apprendre à valoriser et aiguiller le client sur la bonne solution. L’avocat aujourd’hui a une parole juridique, technique, mais il a la capacité de donner à son client un éclairage plus que strictement juridique : un engagement de responsabilité, sociétal. Nous sommes un gage supplémentaire de performance réelle. »
Le rôle de l’avocat dans la stratégie RSE de l’entreprise
L’avocat est-il un acteur pivot de la politique RSE de l’entreprise ? À écouter les intervenants de la table ronde, oui, les compétences de l’avocat sont un réel atout pour ce sujet stratégique. Pourquoi, parce que développer une démarche RSE a un impact sur les ressources humaines, l’image et les engagements face à l’environnement de l’entreprise, ses valeurs, ses certifications, son positionnement sur les marchés publics, sur son avenir et sa pérennité. Les futures obligations et réglementations entrent également en compte. On voit donc aisément sur tous ces sujets, là où le rôle de l’avocat-conseil est particulièrement pertinent pour anticiper et éviter les contentieux. Effet Covid peut être, cette prise de conscience de faire évoluer les choses est une réalité : « répondre aux attentes des clients, répondre aux besoins des salariés, retenir les talents, avoir une raison d’être, attirer les investisseurs » précise Amandine Rossignol, avocate au barreau de Montpellier et trésorière ACE Montpellier. « La valeur ajoutée de l’avocat est qu’il connaît les dispositions légales des milieux économiques et l’environnement législatif autour de ses clients : il peut donc faire du sur-mesure pour conseiller au mieux son client, l’orienter et le sécuriser », rajoute Amandine Rossignol.
Pour Thomas Gaspar, avocat au barreau de Montpellier, « en matière de commande publique, je parle de 200 milliards d’euros de commandes publiques par an (cela représente 10% du PIB), les PME ont toutes leur place. L’État avance sur l’enjeu et la place du développement durable (environnemental et social) et l’intègre dans la commande publique et dans l’action publique. Cela veut donc dire que dans le cadre des appels d’offres publics, le critère pour l’aspect RSE d’une offre va prendre plus de place. Le critère prix restera important, mais pondéré par ces aspects et valeurs. On parle donc d’acheter plus durable et de valoriser les entreprises engagées. » Le rôle de l’avocat ici peut être par exemple d’accompagner son client dans l’obtention de certifications ou de labels officialisant la démarche de l’entreprise.
Côté droit social, pour Diwaelle de Albuquerque, avocate au barreau de Montpellier, « les salariés doivent s’emparer de la démarche RSE de l’entreprise, elle ne doit pas leur être imposée. Cela va du choix d’une cantine bio, au système de télétravail … Les CSE jouent aussi un rôle important dans ces démarches. Toutes ces questions sociales peuvent être accompagnées par l’avocat, car il peut anticiper et guider le chef d’entreprise en lui faisant prendre conscience des impacts des choix qui s’offrent à lui : comment le droit du travail aide ainsi l’entreprise dans sa démarche. »
Pour Benjamin Chevalier, président de Améliore conseil et vice-président de la CPME Hérault « la RSE cela commence par respecter ses clients et ses fournisseurs. Je prendrai l’exemple des délais de paiement dans le cadre d’achats responsables. Qu’est-ce qui est plus respectueux que de commencer par payer ses factures dans des délais raisonnables et convenus ? Et là-dessus, l’avocat a tout son rôle à jouer pour accompagner le chef d’entreprise. »
Pour Olivier Toma, président de Primum non nocere « l’entreprise a besoin de moyens pour atteindre ses objectifs, c’est maintenant inscrit dans la loi. L’entreprise à mission me paraît l’aboutissement ultime (de la démarche RSE). Nous, nous sommes 25 personnes, une entreprise ouverte. Nous respectons les règles, mais chacun est responsable par exemple au niveau de ses horaires. Nous avons instauré une liberté d’organisation. On s’est appliqué à nous même les principes de la RSE. Il faut rappeler la définition du développement durable « répondre aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs », c’est le concept de 1987. La RSE c’est la traduction de ce concept en plan d’action. La RSE c’est votre job (aux avocats), c’est le mien. »
Compliance, DPO et CCO externalisé, des opportunités
La présidente nationale ACE, avocate au barreau de Marseille, Delphine Gallin définit la ‘compliance’ : « l’ensemble des processus destinés à assurer qu’une entreprise, ses dirigeants et ses salariés respectent les normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables. À partir de ce moment-là, l’avocat est un sachant bien identifié sur ces questions. Nous passons notre temps à faire en sorte que nos clients se conforment avec ce qui leur est applicable. C’est donc quelque chose que nous faisons déjà, un marché ouvert à nous tous, des nouvelles missions à aller chercher. À l’origine de la mise en place de ce process, des objectifs définis par la loi dite ‘loi Sapin 2’ : lutter contre la fraude, lutter contre l blanchiment d’argent et lutter contre la violation des données personnelles. L’avocat peut donc réaliser par exemple des audits sur ces sujets-là, ou encore aider l’entreprise à rédiger son propre code de conduite. »
Pour Sophie Nayrolles, avocate au barreau de Montpellier, MCO, « la data c’est la valeur. Le DPO est donc une mission d’avenir (mise en place d’alertes et de recommandation), puisque toutes les entreprises peuvent externaliser cette fonction. » Isabelle Grenier, avocate au barreau de Marseille, membre du CNB, détaille le rôle de DPO (délégué à la protection des données) : « c’est le nouveau ‘correspondant informatique et liberté CNIL’. Mais nous sommes passés d’un système déclaratif à la responsabilisation des acteurs. L’externaliser en choisissant un avocat-conseil pour ce rôle permet d’introduire un tiers de confiance qui dispose du secret professionnel. Le RGPD est une bonne chose dans le sens où la donnée est la valeur réelle de l’entreprise et respecter la loi permet de la valoriser réellement. Notre déontologie nous permet de faire la différence avec des entreprises d’expertise informatique qui proposent ce service. »
« Pour une entreprise, bénéficier d’une mission de son avocat de Chief Compliance officer externalisé en complément de son CCO interne est une opportunité de conformité au cœur de la gouvernance, un tiers de confiance avec son éthique et sa déontologie pour toute situation. C’est également une prise de recul de fait » développe Éric Seassaud, avocat au barreau de Paris, Docteur en droit.
L’avis du CNB
Élue au CNB depuis un an, Isabelle Grenier travaille au sein de deux commissions : numérique et droit des entreprises. « Ce qui nous intéresse, ce sont les nouveaux débouchés pour les avocats. C’est de faire comprendre aux chefs d’entreprise qu’on n’est pas que dans le curatif, mais aussi dans le préventif et donc dans le conseil en amont pour qu’ils développent de nouvelles activités en toute sécurité. Le but de l’avocat est d’essayer d’éviter le contentieux. Nous sommes acteurs du débat public, donc les démarches RSE et mises en conformité, on est intéressé à double titre, en temps que chef d’entreprise nous même et en temps que conseil. Ce qu’on s’applique à nous, on essaie de l’appliquer aux autres. Notre profession a fusionné avec les conseils juridiques. Ce qui fait son socle c’est ce fameux secret professionnel qui est une garantie dans tout état de droit qui permet de parler en toute confiance à son avocat ; secret professionnel qui est aujourd’hui attaqué, mais que nous défendons tant dans les activités de conseil que dans celles des contentieux. La frontière entre la défense et le conseil est très fine. Mais il faut se rappeler que l’avocat n’est en rien le complice de son client, d’ailleurs l’avocat ne peut pas opposer le secret professionnel s’il est mis en cause. Il doit démissionner, mais ne dénonce pas. On ne doit plus être seulement perçu comme un recours en cas de contentieux. »