Montpellier : le marché des objets anciens vu par un vendeur et un collectionneur
Au sein des collections, les objets anciens tiennent une place particulière. Si le domaine apparaît comme suranné et réservé aux tranches d’âges les plus élevées, la réalité est bien différente…
Les collectionneurs ne représentent pas une communauté réduite : plus d’un tiers des Français tiennent une collection, et parmi eux, 44 % ont moins de 35 ans, d’après une étude de 2021 sur la collection et les Français, menée conjointement par l’institut de sondage IFOP et la plateforme Internet Ebay.
Objets anciens et valeurs
Jérémy Menut, 26 ans, est collectionneur depuis plus de quinze ans et revendeur depuis dix ans environ. Sa société Aym, basée à Montpellier, possède une boutique virtuelle de près de 600 objets de collection sur Ebay. Pourtant, il ne se définit pas comme antiquaire, car pour lui : “Le brocanteur ou antiquaire est associé aux meubles, aux objets volumineux et fragiles. Il vend souvent dans sa propre boutique. Pour ma part, je suis spécialisé dans les vieux papiers. Il y a quelque chose d’unique dans le papier. Une odeur, une calligraphie toujours différente, et surtout, beaucoup de types de papiers anciens”.
Ce passionné d’histoire depuis l’enfance s’est rapidement mis à faire de l’achat et de la revente pour financer ses propres collections de monnaies anciennes, car contrairement à une idée préconçue, collectionner n’est pas réservée à une élite fortunée.
C’est en tout cas l’avis de D.G., jeune retraité de l’ouest de la France et collectionneur depuis cinquante-quatre ans : “Être collectionneur ne demande pas forcément d’avoir beaucoup d’argent. On n’est pas obligé de créer des collections avec des choses qui valent très cher. Quand j’étais directeur d’exploitation, j’ai connu une personne qui était homme de ménage et collectionneur. On peut collectionner des tabatières par exemple. Il y a des objets historiques à tous les prix. Mais les personnes qui ont beaucoup d’argent vont effectivement se tourner vers des objets chers, comme des tableaux de maîtres. Chacun fait en fonction de son budget”.
Les objets anciens ont justement cette particularité de présenter à la fois une valeur d’échange (valeur monétaire), et une valeur historique. Néanmoins, ces deux valeurs sont interdépendantes. “En général, les deux valeurs vont de pair. Si l’objet a une importance historique, alors il est rare, précise Jérémy Menut. Prenons comme exemple un document signé de la main d’un roi de France. Si le contenu nous raconte un évènement politique majeur, s’il nous apprend quelque chose, alors il y aura toujours plus de collectionneurs qui voudront se le procurer. C’est la loi de l’offre et de la demande”.
La valeur historique d’un objet n’est pas seulement déterminée par l’utilité scientifique concédée par les scientifiques, car l’objet en lui-même est évocateur d’une époque. “Pour moi, un objet ancien est le témoin d’une époque révolue. Un morceau d’histoire. En tant que ‘témoins’, ces objets ont souvent des choses à nous raconter ! affirme Jérémy Menut. Comment vivaient nos ancêtres, quels étaient leurs modes de pensée, leurs croyances, leurs métiers. Ça nous renseigne sur tout un environnement. L’objet ancien n’a pas forcément de valeur historique. Un fragment d’amphore romaine n’aura pas de valeur historique pour les chercheurs, et pourtant il incarne une certaine histoire. En l’occurrence, celle du commerce à l’Antiquité, des potiers qui l’ont façonné”.
Combien ça vaut ?
La question de l’évaluation d’un objet ancien se pose aussi, pour le vendeur, comme pour le collectionneur. La difficulté réside dans le fait que certains objets n’ont pas d’équivalent sur le marché. “Pour évaluer le prix d’un objet, il faut se référer au marché en observant les ventes d’objets similaires en ligne, informe Jérémy Menut. Il arrive cependant de trouver des objets improbables qui n’ont pas d’équivalent à la vente. J’ai trouvé sur une brocante ardéchoise une sorte de reliquaire contenant un morceau de pain datant de la commune de 1870 ! Ce morceau de pain est un morceau d’histoire ! plaisante le vendeur. Mais il n’existe pas d’équivalent à la vente, alors il faut déterminer soi-même le prix en fonction de la bizarrerie de l’objet et de l’intérêt qu’il pourrait avoir”.
Côté collectionneur, même sentiment quant aux lois de ce marché particulier pour D.G. : “J’ai à peu près la notion des prix pour les collections qui m’intéressent de près. En ce qui me concerne, j’ai commencé à 8 ans par la philatélie (collection de timbres). J’en possède aujourd’hui près de 300 000. Je m’intéresse aussi aux médailles, aux casques, aux cartes postales, et autres documents des guerres de 1870, 1914 et 1945. J’ai un intérêt particulier pour Charles de Gaulle. Ainsi, sur toutes ces thématiques, j’ai des référentiels. C’est important d’en avoir car le marché de l’ancien reste un marché : il peut y avoir beaucoup de spéculation, parfois”.
La valeur personnelle
Il existe un troisième type de valeur que revêtent ces objets de collection : la valeur sentimentale et l’intérêt personnel.
D.G. avoue ainsi : “Cela fait plus de cinquante ans que je collectionne des objets. J’en possède désormais près de 500 000 et je suis plutôt conservateur… Pas dans le sens politique bien sûr ! Mais je garde tous ces objets, j’ai du mal à les vendre. Je le pourrais, mais j’ai l’esprit de collection : j’aime obtenir les objets que je n’ai pas pour la compléter. Je ne fais pas ça par profit mais par passion. On est éphémère, tandis que ces objets restent. Beaucoup de collectionneurs lèguent leur collection à des musées. J’apprécierais que mes enfants gardent ces collections car pour moi elles ont de la valeur. Les jeunes générations ont peut-être moins ce rapport-là aux objets aujourd’hui. C’est dans cette optique que j’envisage de créer un musée pour moi et mes proches, car c’est un peu mon patrimoine”.
Jérémy Menut ajoute : “La rareté d’un objet est importante pour sa valeur, bien sûr. Mais pas seulement ! Sa beauté compte beaucoup, ce qu’il renvoie dans l’imaginaire de l’acheteur. Ce qu’il raconte de son époque joue aussi. Mais au final, la valeur reste avant tout personnelle !”.
Canaux d’achats
Le marché des objets anciens a pour particularité d’être multicanal. Les canaux traditionnels – brocantes, vente en direct, revendeurs spécialisés – restent utilisés, mais de nouveaux canaux sont apparus et transforment ce marché. Des plateformes dédiées existent même en ligne : c’est le cas de Delcampe par exemple, un revendeur digital d’objets anciens. Mais c’est plutôt sur des plateformes initialement destinées aux particuliers que le marché des objets anciens représente des volumes d’échanges plus importants. Cela permet aussi aux acheteurs de bénéficier de prix plus compétitifs : “Des sites comme Delcampe peuvent être très chers, indique D.G. Le numérique permet d’avoir une offre plus variée de prix, même si certains sont parfois déraisonnables ; il y a surtout beaucoup de choix. On trouve les objets que l’on recherche plus facilement. Le système n’en reste pas moins compétitif car sur Ebay, par exemple, on est pratiquement obligé d’enchérir à la dernière seconde car si l’objet est intéressant il peut y avoir beaucoup de monde sur le coup. Le gros avantage du numérique pour les collections est surtout de pouvoir rencontrer d’autres passionnés, d’échanger et éventuellement de réaliser des ventes directes. Pour moi c’est un canal d’échange avant d’être un canal marchand”.
Pour les vendeurs aussi la numérisation du secteur représente une aubaine. Jérémy Menut effectue aujourd’hui la majorité de son activité via le canal numérique : “J’utilise principalement Ebay pour ma société Aym. Ce site est très bien organisé ! Je dirais que la plateforme représente 70 % de mes ventes, Leboncoin représente plutôt 10 %. Pour les 20 % restants, c’est du réseau direct : téléphone, mail… Il est intéressant de varier les médias de vente”.
Que peut-on trouver dans une boutique en ligne d’objets anciens ? “Sur ma boutique, on trouve une majorité de ‘vieux papiers’. Des livres anciens, des cartes postales, des photos anciennes, des autographes, des parchemins, répond Jérémy Menut. Mais aussi quelques pièces de monnaie anciennes, des billets de collection, des médailles… Parfois des objets plus volumineux comme des casques, des uniformes et d’autres objets militaires. Ma particularité est la vente par lot. Cela permet d’offrir aux acheteurs quelque chose de magique : le tri ! Les collectionneurs et passionnés me comprendront très bien : il n’y a rien de tel que de trier un lot en vrac, à la recherche de pépites”.
Objets insolites
Et la chasse aux objets anciens donne justement lieu à des trouvailles surprenantes. Pour D.G., passionné de Charles de Gaulle, il s’agissait d’une carte signée de la main du général. Jérémy Menut a aussi fait de curieuses découvertes. “Je pourrais citer des reliques d’ossements de saints, des jetons de bordel, etc. Mais si je devais en choisir un, ce serait une pièce de monnaie, un franc en argent frappé sous Napoléon III. Ce n’est pas la rareté qui rend cet objet le plus insolite, mais son emballage ! La pièce était enveloppée dans du papier sur lequel était il inscrit ‘empoisonnement par l’acide sulfhydrique, Hôtel dieu, 18 août 1868’. Serait-ce le témoin d’un assassinat en plein second Empire ? Pourquoi cette monnaie était-elle enveloppée dans ce papier ? Qui sait… Et c’est là la magie des objets anciens : ce sont des témoins qui ne racontent jamais tout ce qu’ils ont vu. A nous de l’imaginer !”