Montpellier : l'inconscient de Pascal Verbena livre ses secrets au Musée d'Art brut
Pascal Verbena expose jusqu'à la fin du mois d'avril 2023 ses habitacles et dessins au Musée d'Arts brut et singulier de Montpellier. Rencontre…
Photo : l’artiste Pascal Verbena devant ses dessins exposés au Musée d’art brut de Montpellier © DR.
A 82 ans, Pascal Verbena est un artiste singulier reconnu. La Collection d’art brut de Lausanne et le Musée de Lille (LAM) possèdent des œuvres monumentales signées de sa main. Le temps d’une exposition temporaire, il présente au Musée d’Arts brut, singuliers et autres de Montpellier une quinzaine de dessins et un peu moins d’une dizaine d’habitacles.
Ses habitacles, sculptures en bois flotté, peuvent être décrits comme des panneaux sculptés et ornés d’une multitude de petites portes, de tiroirs secrets, de targettes à soulever pour entrevoir les objets qui sont cachés derrière. Ses dessins sont réalisés sur du papier marouflé sur du bois. Du papier, ils sont prolongés sur le bois de telle sorte que l’on ne distingue plus le papier du bois. Entretien avec un artiste profondément humaniste, qui a su faire un art de ses blessures d’enfance…
Qu’est-ce que l’inspiration pour vous ?
Pascal Verbena : “L’inspiration est un mystère pour moi. Certains jours je suis dans la normalité, je ne ressens pas le besoin de créer ; d’autres jours, je me lève avec l’envie de dire quelque chose, parce que mon esprit a été marqué par un événement, par exemple. L’inspiration se transforme en habitacle ou en dessin. J’ai besoin de créer pour avancer dans la vie.”
Peut-on dire que vos habitacles, avec leurs cachettes secrètes, procèdent d’un retour vers l’enfance ?
Pascal Verbena : “J’ai eu une enfance extrêmement solitaire, ma famille étant désunie. J’ai dû tuer ma solitude. J’avais une sensibilité exacerbée. Dans des circonstances aussi difficiles, on se crée des havres de paix et de bonheur, même s’ils n’ont pas de sens pour les autres. Mon rapport aux cachettes est de l’ordre de l’intime. Cela remonte aux ouvertures, fermetures, aux caches de l’enfance. J’ai utilisé des cachettes entre mes 9 et mes 15 ans. Chez moi, il y avait des poutres. J’en descellais certaines et cachais mes trésors à l’intérieur pour me préserver des adultes. J’ai ainsi créé mon propre environnement. Par la suite, j’ai continué. Lorsque je propose au visiteur d’ouvrir une cachette, un volet, de soulever une targette, je lui offre la possibilité de toucher la sculpture, d’amener de la lumière, de la découverte”.
Photo : un “Habitacle” de l’artiste singulier Pascal Verbena, au Musée d’art brut de Montpellier © Virginie Moreau.
Et vos dessins ?
Pascal Verbena : “Avant de poser un trait sur la feuille de papier blanche, je la salis, je crée une multitude de nuances. Je laisse ensuite sécher le papier, puis je me sers d’une encre indélébile. Le premier geste est de l’ordre de l’écriture automatique : un trait se déclenche, suivi d’autres, et ça s’organise. A partir de là je laisse aller et je prolonge ce qui était suggéré dans des formes. Je considère qu’il n’y a pas de hasard. Si un trait malencontreux ne me satisfait pas, comme je ne peux pas l’effacer, je retourne dessus plus tard et mon esprit me permet de dépasser le trait laissé en suspens. A travers le chemin de fortune, je peux tomber sur une oasis”.
Photo : dessin “Posidonies” de Pascal Verbena.
Quelles sont les différences selon vous entre vos habitacles et vos dessins ?
Pascal Verbena : “Les habitacles nécessitent un travail physique et la recherche des matériaux. Il y a des lois dans les matériaux à respecter, il faut choisir le bois, le travailler… Les habitacles sont conçus comme l’intérieur d’un bateau, de façon très méticuleuse. Ce qui m’intéresse, ce sont les empreintes que le temps et les humains laissent sur le bois. Comme ces traces sur les tables en bois où des gens ont posé leurs affaires pendant des décennies. Les marques du bois retracent la vie humaine.
Mes dessins sont un peu l’esprit des habitacles, qui sont, eux, une expression matérielle. La structure de mes dessins – les parties pleines ou vides – peut être mise en relation avec la structure de mes habitacles. Alors que l’on peut toucher les habitacles, on ne peut que regarder les dessins. En ce sens, mes dessins sont plus proches de la méditation.”
On ressent une forme de rapport au sacré dans vos œuvres…
Pascal Verbena : “C’est le cas. Pourtant je ne suis pas pratiquant. J’ai fait le chemin de Compostelle de Marseille à Finisterra, par besoin de faire une cassure dans ma vie d’artiste. J’ai d’ailleurs écrit un livre dessus, appelé La Bise de l’âne. Je pensais que j’aurais peut-être une foi inébranlable en rentrant chez moi, mais cela ne s’est pas produit. Je suis un humaniste et je ne crache pas sur les religions. Le sacré est une chose importante pour moi”.
L’habitacle “L’ange gardien” de Pascal Verbena © Virginie Moreau.
En proposant au public de toucher vos habitacles en plein musée, vous faites œuvre de transgression…
Pascal Verbena : “Je l’ai toujours fait. Selon moi, ouvrir une porte dans un habitacle, c’est comme ouvrir le matin sa porte à la lumière. Le côté tactile a une grand importance pour moi. Je l’ai concrétisé pour le LAM à Lille, en créant une pièce pour les enfants malvoyants et autistes. Le jour de l’inauguration, les enfants la manipulaient avec une infinie délicatesse. J’ai senti leur bonheur charnel de pouvoir toucher une œuvre. Ça a été une récompense pour moi. Bien entendu, si elle est avant tout destinée aux enfants autistes et malvoyants, elle s’adresse à tout le monde…”
Cette délicatesse est aussi la vôtre quand vous vous adressez au monde à travers vos créations…
Pascal Verbena : “J’ai le désir profond d’adoucir les adultes par rapport au monde actuel. Il y a une idée philosophique derrière mes pièces. Je conteste l’éloignement des humains entre eux. A travers mes humbles petits morceaux de bois, j’essaie de les réunir avec chaleur. C’est comme lancer des bouteilles à la mer…”
Il y a une sorte de poésie dans tout cela…
Pascal Verbena : “J’existe grâce à ce travail. Au départ, créer était vital pour moi. Ensuite j’ai été récupéré par le système, les galeries, les musées. Je n’ai pas rejeté ce milieu, mais j’ai toujours travaillé avec acuité, un grand désir. Je ne fais que transmettre un regard populaire poétique. La poésie est accessible à tout le monde ; on n’a pas besoin d’être très éduqué ni de faire partie d’une élite pour faire de la poésie”.
Comment vous définiriez-vous ?
Pascal Verbena : “Je suis un sage. Ma vie a été une vie d’artiste même si je n’ai pas cherché à être artiste. J’étais comme ça. Au départ, je voulais être officier de marine. J’ai fait l’école de la marine marchande, voyagé le long des cotes d’Afrique à l”âge de 17 ans. J’ai été confronté à la misère humaine. Je me souviens qu’alors des Africains disaient de moi que j’étais ‘un tonton’, un sage. J’ai hérité ce mot très jeune…”
Informations pratiques
Musée d’Arts brut, singuliers et autres – 1, rue Beauséjour – Montpellier.
Ouvert du mercredi au dimanche de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00. Fermé les jours fériés.
Plein tarif : 8 euros, tarif réduit : 6 euros. Accueil des groupes sur rendez-vous.
Deux œuvres de Pascal Verbena issues de la collection permanente du Musée d’art brut de Montpellier © Virginie Moreau.