Expositions — Montpellier

Montpellier : Madame d'Ora, entre luxe et dénuement, vers la photographie essentielle

Au Pavillon Populaire, l'exposition consacrée à la photographe autrichienne Madame d'Ora, qui s'illustra dans la photographie de mode avant la Seconde Guerre mondiale, révèle aussi un pan plus tragique de son œuvre. Un événement incontournable qui continue jusqu'au dimanche 16 avril inclus…

Il ne reste plus que quelques jours pour visiter l’exposition La surface et la chair, Madame d’Ora, Vienne-Paris 1907-1957, au Pavillon Populaire, consacrée à Dora Kallmus (1881-1983), également appelée Madame d’Ora.

Grandeur…

Aux cimaises se succèdent des portraits réalisés par cette star de la photographie de son temps, adulée des cercles culturels de l’époque. Son choix d’ouvrir son propre studio, en 1907, à Vienne, en Autriche, était en lui-même audacieux, quand on sait qu’elle fut la toute première femme photographe à le faire. Des peintres comme Gustav Klimt, la grande musicienne et compositrice Alma Mahler, les danseurs Anna Pavlova, Lizica Codreanu, Anita Berber et Sébastian Droste, sans oublier le dernier empereur d’Autriche Charles Ier, fréquentaient assidument son studio de photo viennois pour se faire immortaliser par cette artiste inclassable, qui savait à merveille mettre en relief un détail, une posture, un visage.

Madame d’Ora,
Madame d’Ora,” La danseuse Lizica Codreanu”, c. 1927 © Vienne, Photoinstitut Bonartes

Passionnée de danse, elle invita de nombreux danseurs à poser dans son studio. Les clichés de mode révèlent eux aussi la grande habileté photographique de Madame d’Ora : poses travaillées, jeux de lumières flatteurs, retouches… mettaient en valeur de façon subtile le galbe d’un mollet, la composition savamment travaillée d’un chapeau, la grâce du modèle. Elle exporta son talent jusqu’en France, à Paris, où elle s’installa en 1925, devenant l’une des photographes des magazines L’Officiel de la mode, Vogue, Vu et Die Dame, travaillant avec des marques renommées comme Chanel, Balenciaga ou encore Lanvin. Très demandée, elle réalisa aussi des portraits de célébrités de l’époque, dont Joséphine Baker, le chanteur Maurice Chevalier, la peintre Tamara de Lempicka ou le peintre Foujita. Dans une vitrine placée au centre de l’exposition, des robes de grands couturiers de l’époque ramènent aux modèles qu’elle fit passer à la postérité.

Madame d’Ora,
Madame d’Ora, “Chaussures en cuir verni noir par Pinet”, c. 1937 © Vienne, Photoinstitut Bonartes

… et décadence

Mais Madame d’Ora, qui était juive, fut rattrapée par l’irrésistible ascension du nazisme et de l’antisémitisme en Europe et en France. En 1940, voyant progressivement ses contrats se réduire, elle fut contrainte de céder son studio parisien, puis deux ans plus tard, dut quitter la capitale pour l’Ardèche, afin de se protéger contre l’occupation par les Allemands. Cette expérience, ainsi que la mort de sa sœur, qui avait été déportée, marqua un tournant dans sa carrière, lui faisant prendre un aspect beaucoup plus sombre.

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Madame d’Ora, “Dans le camp de réfugiés “Hôtel Europe” à Salzbourg”, 1948 © Vienne, Photoinstitut Bonartes

Oubliant le faste de la mode et délaissant la célébrité, elle focalisa en 1948 son travail photographique sur les terribles conditions de vie des réfugiés autrichiens dans les camps, dont celui de Salzbourg, et plus particulièrement sur les malades, les personnes âgées, les enfants. Ses portraits illustrèrent alors le déracinement, la perte de repères. La photographe se rendit aussi dans les abattoirs parisiens pour les besoins d’une série marquante, où elle documenta crûment l’étalage de chair, les cadavres d’animaux démembrés, ici une tête de veau, là une carcasse…

Madame d’Ora,
Madame d’Ora, “Tête de veau fendue”, c. 1949–1957 © Collection Fritz Simak.

Elle signa aussi quelques portraits du peintre Picasso et du réalisateur Jacques Tati, mais avec un regard différent, comme une ombre sur la splendeur passée. On lui connaît aussi une série poignante sur le milliardaire Georges de Cuevas, où le faste côtoie la déchéance physique et l’excentricité le dispute à l’étrangeté. Pour les besoins d’un cliché teinté de morbidité, elle fit poser le milliardaire à côté de têtes de moutons coupées. Les photographies de Madame d’Ora réalisées après la Seconde Guerre mondiale reflètent ses désillusions, sa fascination pour la mort. C’est ce qui la conduisit à photographier des personnalités dans leurs derniers mois de vie, comme Colette, en 1954, ou encore l’écrivain octogénaire William Somerset Maugham, marquant là la fin d’une époque…

On apprécie cette exposition très contrastée, où le faste et le luxe côtoient la pauvreté et la mort, illustrant une prise de conscience, par Madame d’Ora, des réalités de la vie.

Informations pratiques

Pavillon Populaire – esplanade Charles-de-Gaulle – Montpellier.
Exposition visible du mardi au dimanche inclus, de 10h à 13h et de 14h à 18h.

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