Economie — Montpellier

Montpellier, parole de photographe : l'intelligence artificielle va-t-elle nous remplacer ?

William Moureaux, meilleur ouvrier de France en photographie de portrait, membre de la FFPMI (Fédération Française de la Photographie et des Métiers de l'Image) et de la commission image, répond à notre interview sur l'intelligence artificielle.

Le fonctionnement de l’IA

L’entreprise spécialisée dans le raisonnement artificielle, OpenAI, mère du célèbre ChatGPT, a plus d’un tour dans son sac. Le réputé ChatGPT est une intelligence artificielle génératrice de texte ou encore de code. En bref, elle est spécialisée dans le dialogue. Une prouesse que l’IA est capable d’accomplir grâce aux technologies du traitement automatique des langues, aux grands modèles de langage et aux chatbots. En fait, ce dialogue est rendu possible grâce à un réseau de neurones artificiels, modélisés sur le cerveau humain.

Si les professionnels de l’écriture peuvent s’inquiéter de la popularisation de ChatGPT, les métiers de l’image ne sont pas en reste, parce que ChatGPT a un petit frère : DALL-E. Qu’en est-il du futur de ces professions ?

William Moureaux n’est pas inquiet. Pour lui, l’intelligence artificielle est un outil qui va faire évoluer la photographie : “Il faut parler au présent parce que l’IA existe déjà dans nos professions. Pas telle que nous la concevons aujourd’hui, mais elle est très présente, notamment dans Photoshop. Je pense qu’il faut concevoir les intelligences artificielles de cette manière, comme des outils.”

L’évolution du métier

En pratique, l’IA pourrait devenir une sorte de fond vert réaliste. Il explique : “Admettons que je veuille réaliser le portrait d’une personne en tenue ancienne, l’IA pourrait m’aider à créer un bel arrière-plan, une ambiance… J’y ajouterais mon portrait studio, en prenant en considération la lumière du fond et du portrait. Nous pourrions mieux travailler, l’IA pourrait être un atout dans la création. Parfois, en studio, nous avons des idées irréalisables techniquement, j’espère qu’elle nous fera passer ce cap.”

Basé sur le même système de fonctionnement que ChatGPT, DALL-E génère des images à partir de données textuelles. Elles sont ainsi créées de toute pièce par l’intelligence artificielle.

Cette dimension non plus ne gène pas le photographe, car “on ne peut s’improviser photographe grâce à l’intelligence artificielle, il faut déjà maîtriser la photographie, la lumière et les ombres. C’est un outil qui peut agrémenter le métier, mais pour parvenir à un bon résultat, dépourvu d’incohérence, il faut introduire un vocabulaire technique. Il faut être photographe pour produire de l’image. Afin de créer avec l’intelligence artificielle, il faut lui donner de la substance, c’est seulement un outil.

Il poursuit en expliquant que l’IA fait beaucoup d’erreurs, notamment dans les proportions ou les détails, comme le nombre de doigts. Donc, sans connaissance de l’image et de la retouche, nous produisons une mauvaise photographie. Cela fonctionne comme Photoshop, dont la dernière version est pleine d’intelligence artificielle. Pour réussir à appréhender l’intégralité du prisme de compétence de Photoshop, il faut suivre des formations et s’y connaître dans les métiers de l’image.”

L’intelligence humaine

Cependant, l’IA va encore plus loin, en 2019, une intelligence artificielle aidée de musiciens a même été capable de générer la fin de la légendaire Xe symphonie de Beethoven, tout en respectant le style et la sensibilité de l’artiste. Mais si l’IA est capable de “reproduire” une certaine émotion associée à une création artistique, quelle est la place de l’humain ? Dans quelle mesure le générateur d’images est-il capable de remplacer le photographe ?

“Dans ce cas de figure, l’IA n’a rien créé : elle a fini une œuvre en s’appuyant sur son début. Il n’y a rien de révolutionnaire, c’est seulement une recherche de données, ce pour quoi elle a initialement été programmée”, s’est exprimé le meilleur ouvrier de France. 

Selon William Moureaux, l’IA ne peut remplacer l’humain, elle manque d’émotion, elle manque d’humanité. “Pour l’instant, je ne suis pas inquiet pour mon travail quotidien. Notre clientèle aime savoir ce que nous lui vendons et être reçue par un individu qui les guide. Cependant, je prends conscience que nous en sommes qu’aux prémices, que nous entrons dans une nouvelle ère. C’est comme le passage de l’argentique au numérique, il faut prendre le train en marche, dévoile-t-il.

Il poursuit en affirmant que le public prône presque un retour en arrière : “À l’ère de l’IA, je refais de la chambre photo et cela marche très bien, parce que les gens sont de plus en plus à la recherche d’authenticité et d’artisanat. L’apport de l’humain réside dans l’émotion, quelque chose que l’IA est incapable de faire. Nous photographes, savons la créer dans le regard des gens, dans l’image générée, les visages ont toujours le même aspect.”

En réalité, le métier est éloigné du domaine de compétence de l’IA qui invente une image, le photographe capture un moment, qui le touche dans sa sensibilité.

Les métiers en danger

Certaines images générées ressemblent à s’y méprendre à de réels clichés. Si le photographe de guerre, de portrait ou encore d’exposition n’a rien à craindre, les spécialistes de la photographie publicitaire et médiatique seraient davantage en danger. En effet, l’IA semble capable de générer des photographies à destination des réseaux sociaux, des médias et de la publicité à moindre coût, sans main d’œuvre, ni équipe (ingénieurs lumière, photographes, monteurs, acteurs…)

Un avis que partage William Moureaux : “J’ai malheureusement conscience que, si ma profession n’est pas vraiment impactée, pour les infographistes ainsi que les photographes médiatiques et publicitaires, c’est un autre débat. Je reste tout de même persuadé qu’il faut avoir des connaissances en photographie pour maîtriser l’IA, il s’agira plus vraisemblablement d’une modification du métier, plutôt que d’une suppression.

Une ère où la photographie ment

Mais la réalité disparaît peu à peu : les arbres, les objets, les humains, les vies représentées sur une image générée n’existent pas. Si DALL-E peut s’approprier le rôle créateur du photographe, elle ne peut usurper son intention, qui dépend uniquement de sa perception et de sa compréhension. L’IA peut créer, l’artiste peut faire passer un message. En effet, l’IA invente une création, le photographe se sert du réel.

Une triste vérité qu’a essayé d’exposer le photoreporter Jonas Bendiksen, en réalisant un faux reportage avec de fausses images sur un vrai sujet. Il soulève alors un point sensible : la photographie n’est plus “l’arbitre impartial de la vérité”. Selon lui, les deep-fake et l’intelligence artificielle vont envahir la toile, et il sera de plus en plus difficile de déceler le vrai du faux. Un avis partagé par le photographe allemand Boris Eldagsen qui explique : “À l’avenir, nous devrons toujours supposer qu’une image n’est pas réelle”.

Sur ce point, le meilleur ouvrier de France est d’accord. Il émet cependant une nuance, ce n’est pas l’IA qui doit être remise en cause, mais l’intégrité du photographe. “Les retouches existent depuis 150 ans, raconte-t-il. L’IA n’a rien inventé, il s’agit seulement de l’honnêteté du photographe. Prenons l’exemple de Boris Eldagsen, qui a gagné un prestigieux concours de photographie grâce à une image générée par l’intelligence artificielle. Il a décliné la récompense lors des Sony World Photography Awards.”

Boris Eldagsen parle de l’intelligence artificielle

L’IA oblige à s’adapter

En tant que juge dans des concours, c’est une problématique à laquelle le photographe meilleur ouvrier de France est souvent confronté. “Certaines personnes maîtrisent très bien l’outil de génération et il devient parfois impossible de déceler le faux. Nous avons quand même un moyen, nous pouvons demander le fichier source non-compressé, le fichier RAW. S’il ne correspond pas au JPEG fourni, l’élimination est systématique. C’est pourquoi nous demandons à ce qu’ils soient conservés. Si nous voyons des incohérences à l’œil nu, nous le réclamons.”

À cause de l’IA, le doute est obligatoire. William Moureaux tient à rassurer les futurs participants : “Je ne parle pas de Photoshop, qui est notre outil de travail même s’il est parfois utilisé à outrance, mais quand cela ne se voit pas, c’est le principe de notre métier. Je considère que c’est une évolution, l’intelligence artificielle nous oblige à penser différemment, à nous adapter. C’est pourquoi, depuis l’année dernière, il y a des catégories ‘créations numériques’, qui permettent à ces artistes de s’exprimer face à une concurrence loyale.”

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