Expositions — Montpellier

Montpellier, MO.CO : la liberté d'expression, un art à défendre

A Montpellier, le MO.CO (Hôtel des collections) présente jusqu'au 5 février 2023 "Musées en exil", une exposition poignante sur des collections artistiques réunies malgré les guerres, à force de volonté, de ténacité et de solidarité…

Photo : “Théâtre d’ombres” de Christian Boltanski vu à l’exposition “Musées en exil” du MO.CO © Virginie Moreau. Reportage photo : © Virginie Moreau.

Comment mieux détruire la démocratie qu’en détruisant sa culture, son patrimoine artistique ? Les dictateurs l’ont bien compris, eux qui ont fait et font encore bombarder des musées et tuent ou musèlent des artistes et la liberté d’expression avec eux…

Protéger l’art des dictatures

C’est en substance cette guerre en faveur ou contre la démocratie, pour ou contre la préservation des œuvres, que retrace l’exposition Musées en exil. La première partie, essentiellement composée de panneaux explicatifs, fait œuvre de pédagogie en rappelant les grandes atteintes à l’art commises par le passé, et les gestes courageux de certains pour le protéger.

Vénus de Milo © Virginie Moreau
Vénus de Milo © Virginie Moreau

Musée du Prado à Madrid bombardé en 1936 sur ordre du général Franco, et dont une partie de la collection a été détruite, Musée du Louvre à Paris pillé par les nazis à la demande d’Hitler durant la Seconde Guerre mondiale (mais dont les œuvres majeures comme la Joconde et la Vénus de Milo ont été sauvées grâce à la présence d’esprit de son conservateur, qui les fit évacuer du musée dès 1939)… voilà pour le passé. Pour le présent, l’exemple de l’Ukraine, où l’on recensait pas moins de 204 sites artistiques endommagés partiellement ou entièrement détruits par les Russes au 17 octobre 2022, démontre que l’art non contrôlé est ressenti comme une menace par les autocrates.

anne lise coste
anne lise coste

Il faut dire que les artistes libres n’ont jamais modéré les messages qu’ils font passer au travers de leurs créations. A l’image du Guernica de Pablo Picasso, œuvre phare du maître réalisée en 1937, en pleine guerre civile espagnole, depuis la France, et dont le peintre refusa qu’elle soit présentée en Espagne tant que la démocratie n’y régnerait pas… Elle n’y fut pas exposée avant 1981, soit huit ans après la mort de Picasso, pour respecter sa volonté. Et inspira de nombreux artistes épris de liberté et des messages qu’elle véhicule. Comme la Sétoise Anne-Lise Coste, dont deux tableaux peints à l’aérosol de 2012 (photo ci-dessus), dénonçant la guerre en Syrie, sont présentés dans la première salle de l’exposition, ou un collectif d’artistes londoniens qui en ont fait une tenture-banderole de protestation pour les droits de l’Homme.

œuvres sans titre par l'artiste ukrainien Kinder Album © Virginie Moreau.
œuvres sans titre par l’artiste ukrainien Kinder Album © Virginie Moreau.

Certains organismes aident les artistes muselés par la guerre à exporter leurs œuvres loin de leur sol bombardé. C’est le cas de la fondation Artists Support Ukraine, qui diffuse largement leurs œuvres. Quelques-unes d’entre elles, notamment de l’artiste Kinder Album (photo ci-dessus) sont visibles dans la première section de l’exposition. Ou d’Artists At Risk, à laquelle le MO.CO a décidé de reversé une partie des bénéfices de la billetterie de cette expo.

Trois musées en exil

La seconde partie de cette exposition est dédiée à trois collections créées ou développées pendant ou malgré des guerres civiles ou des conflits armés.

Le Musée Salvador Allende (Santiago du Chili), entre protestation, jouissance visuelle et morbidité

Le Musée de la solidarité Salvador Allende fut créé à Santiago du Chili en 1972. Un an après avait lieu le coup d’Etat fomenté par le général Pinochet. De nombreux artistes chiliens furent contraints de s’exiler, et des œuvres du musée furent détruites. Les emprisonnements et autodafés d’œuvres d’écrivains jugés hostiles au pouvoir se succédèrent alors. En réaction, un Musée de la Résistance Salvador Allende fut mis en place depuis Cuba par Miria Contreras, soutenu par des artistes de 13 pays, qui lui firent parvenir des œuvres, données au titre du soutien à la liberté d’expression. Les œuvres purent ensuite être présentées au Chili à compter de 1991, lorsque la démocratie fut restaurée, et l’ancien musée reprit son nom et intégra de nouveaux locaux.

Tableau de Robert Forgas,
Tableau de Robert Forgas, “On n’arrête pas l’idée” © Virginie Moreau.

Une sélection d’œuvres issues de cette collection est exposée aux cimaises du MO.CO. Des œuvres réalisées par des artistes de toutes nationalités protestant contre la violence, la dictature ou l’arbitraire. A l’image de la sérigraphie L’Instrument de Philippe Carré, qui montre un dictateur au bras armé face à la population ; du tableau Tachée de rouge, de GAC, qui représente l’ambassade du Chili en France maculée de sang ; ou encore de cette main peinte par Robert Forgas, qui écrit à la craie “On n’arrête pas l’idée” à travers les barreaux d’une prison (photo ci-dessus).

Zoran Music, tableau
Zoran Music, tableau “Nous ne sommes pas les derniers” © Virginie Moreau

La mort est omniprésente dans certains tableaux : les ossements, silhouettes décharnées et autres cadavres de Ricardo Carpani, Jan Lebenstein ou Zoran Music (artiste slovène passé par les camps de concentration – photo ci-dessus) ne jettent aucun voile de pudeur sur les atrocités commises en ce monde.

Julio Le Parc
Julio Le Parc

D’autres œuvres de la collection, relevant du mouvement de l’art optique (Op Art), sont beaucoup plus lumineuses et colorées, évoquant un espoir possible, même si elles n’ont officiellement aucun message à délivrer. Celles de Victor Vasarely et Julio Le Parc (photo ci-dessus) illuminent les cimaises et captent l’œil des visiteurs, offrant une parenthèse plus légère. Tout comme, dans un style différent, la danse joyeuse du soleil et de la lune du stabile d’Alexander Calder.

Le Musée de Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), toute la noirceur du monde…

Il est inutile de chercher une quelconque note d’espoir dans les œuvres visibles au MO.CO, issues de la collection Ars Aevi. Il faut dire qu’Ars Aevi est l’anagramme de Sarajevo, ville assiégée pendant la guerre de Bosnie. Environ 10 000 personnes périrent durant ce siège qui dura près de quatre longues années. La collection fut constituée par Enver Hadziomerspahic à partir de l’été 1992. Plus de 150 artistes y participèrent par leurs dons en dix ans. Actuellement abritée dans l’hôtel de ville de Sarajevo, la collection attend toujours que soit bâti le musée qui l’accueillera, dessiné par le grand architecte Renzo Piano.

Christian Boltanski a offert à ce fonds un Théâtre d’ombres réalisé en 1994. La danse macabre en ombres chinoises multipliée sur les murs rappelle l’enfance et ses peurs, exorcisées par le jeu. De jeu il n’est nullement question dans la photographie de pierre tombale prise par Sophie Calle et placée au sol, pas plus que dans ce pauvre ours en peluche “assis” au sol par Dimitri Prigov et menacé d’écrasement par un bloc noir massif (photo ci-dessous), ou dans cette vidéo de nettoyage de squelette par Marina Abramovic.

L'installation
L’installation “Courageous Teddy Bear” de Dimitri Prigov © Virginie Moreau

L’oppression et la mort sont en marche. Ainsi, les civils deviennent du jour au lendemain des soldats, et les attitudes de liberté d’autrefois sont remplacées par d’autres, guerrières, semble dire le photographe Nebojsa Seric-Shoba, dans deux autoportraits.

L'installation
L’installation “Quarry” de Tony Cragg © Virginie Moreau

Autre évocation de la guerre, celle de Tony Cragg, qui a disposé des sacs de ciment en forme de barricade, protection illusoire et sommaire contre l’assaillant. Ou cette installation signée Boris Dimitrijevic : des portraits d’hommes derrière du verre brisé sont accrochés au-dessus de chaussures (de disparus ?) sobrement disposées à terre, signifiant la mort et l’absence. Deux thèmes également abordés dans une vidéo de Bill Viola réalisée après la naissance de son fils et le décès de sa mère. Avoir aussi, le Frozen Sperm 2 du subversif Andres Serrano, connu notamment pour sa photographie intitulée Immersion Piss Christ (1987), montrant un crucifix plongé dans un bain de sang et d’urine.

Musée national d’art moderne et contemporain de Palestine

Place enfin à la collection du Musée national d’art moderne et contemporain de Palestine, dans la dernière partie de l’exposition. Débuté en 2005 à l’initiative du Français Gérard Voisin, Artiste de la paix de l’Unesco, et de Mounir Anastas, membre de la Délégation de la Palestine, ce fonds non partisan constitué de dons est hébergé à l’Institut du monde arabe à Paris depuis 2015, en attendant de pouvoir éventuellement un jour rejoindre un musée qui ouvrirait à Jérusalem Est. 212 œuvres composent actuellement la collection.

Ernest Pignon Ernest © Virginie Moreau
Ernest Pignon Ernest © Virginie Moreau

L’œuvre Les Arts contre les armes de Gérard Voisin (proche du mouvement Cobra) ouvre cette section. Elle côtoie une photographie représentant le parcours de Mahmoud Darwich sur les murs de Ramallah en Palestine signée Ernest Pignon Ernest, l’un des précurseurs du street art. Et fait face à un accrochage monumental rassemblant 64 lithographies (sur les 80 que compte la série) de Rachid Koraïchi sur les vies et héritages de grands maîtres soufis. Un message de tolérance adressé au monde, un travail admirable sur le signe.

Une œuvre de Rachid Koraïchi © Virginie Moreau
Une œuvre de Rachid Koraïchi © Virginie Moreau

On remarque beaucoup de photographies sur l’ensemble de cette section. Henri Cartier-Bresson et Martine Franck explorent la thématique du mur en Espagne et en Irlande. Infranchissable, vecteur de séparation, les enfants s’en emparent néanmoins pour en faire un terrain de jeu. Pour sa part, Anne-Marie Filaire documente les abords d’un checkpoint en Palestine, où la foule se presse. Olivier Thébaud montre l’espace boisé situé après la frontière, à Lesbos. Et Mehdi Bahmed et Joss Dray captent des instants de vie privilégiés entre hommes ou entre femmes.

fromanger
fromanger

Aux cimaises, des tableaux de Gérard Fromanger (ci-dessus) et Antonio Segui portant respectivement sur les gros titres d’un kiosque à journaux et sur Bernard Madoff révèlent l’intérêt des artistes pour l’actualité.

Informations pratiques

L’exposition Musées en exil est visible jusqu’au 5 février 2023, du mardi au dimanche, de 11h à 18h.
MO.CO – 13, rue de la République – Montpellier – Tel : 04 99 58 28 10.

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